combler les sources, encombrer les chemins, et de loin on devinait l'approche, dans le bruissement des sentes, du chasseur roux, l'épieu au poing, l'Automne. Dans un tumulte, hâtif et furtif, le chasseur roux était passé ; puis il avait étouffé sa torche dans les feuilles entassées, et un deuil s'était épandu sur la forêt et les champs voisins. La Mort s'installa sur la plaine... Mais la Mort et la Vie sont soeurs. Dans le triomphe des moissons sublimes et l'ivresse des hommes qui participent à la joie des choses, elles sont là toutes deux, tantôt graves et tantôt souriantes ; on ne les a pas vues se séparer, et elles s'avancent du même pas égal à travers la plaine, parmi les hommes, éternelles toutes les deux et sereines.
La poésie de Vielé-Griffin est, dans ces poèmes, plus colorée que dans les précédents. Les images en sont parfois gracieuses et charmantes, comme celle-ci : des feuilles jonchent la fontaine d'eau calme et claire où l'Eté étancha naguère sa soif,
Mais l'Automne pâle, au crépuscule, a trébuché, y laissant tomber sa couronne…
Parfois aussi elles ont une grandeur merveilleuse, une émouvante solennité. Ainsi cette épousaille, parmi les fleurs d'avril et l'herbe verte, de la jeune Mort et du bel Amour. Les cloches de Pâques sonnent à la volée, chantant les lèvres douces, la tiède chair et le fol émoi du Désir. Et ils s'avancent l'un vers l'autre au long de l'allée sombre, lui rose et elle pâle. Ils vont, muets, sans peur ni honte, les yeux ardents et, lui, sent en son coeur bouleversé la brulûre
d'un chaste amour sans but que son éternité…