Ce qui, du reste, importe, dans cet essai linguistique, beaucoup plus que l'argumentation elle-même, c'en est l'esprit, et Gustave Kahn réclamait utilement en faveur de la liberté de l'écrivain, qui a le droit, s'il le fait avec discernement, de devancer l'usage et qui, en tous cas, a le devoir de ne se point astreindre aux vocabulaires reconnus par les Académies.
Quant à la métrique, l'évolution n'y nécessite pas de moins importantes modifications. « N'est-il pas étonnant, écrivait Kahn en 1888, dans la Revue indépendante (1), qu'au milieu de l'évolution perpétuelle des formes, des idées, des frontières, des négoces, des forces motrices, des hégémonies, d'un perpétuel renouvellement du langage, ...seul le vers reste en général immobile et immuable? » Or, suivant les époques, l'oreille a des besoins différents. De même que l'oeil, qui s'est plu longtemps à de certaines colorations, ensuite en réclame d'autres, le sens auditif lui aussi se modifie, les rythmes qui pendant longtemps l'ont charmé cessent de le satisfaire et il lui faut d'autres musiques. Car, à la différence des Parnassiens dont ce fut peut-être l'erreur principale de négliger le caractère essentiellement musical de la poésie, Kahn considère la versification comme une science dé l'harmonie ; il a défini la poésie « une musique spéciale »(2), et il fait cette remarque ingénieuse que la poésie romantique et la parnassienne furent influencées par la peinture, — et encore par une peinture antérieure à l'épanouissement complet de l'impressionnisme, — tandis que la nouvelle école, qui succédait au Parnasse, se recruta dans une
(1) Revue indépendante, sept. 1888, dans un article sur la traduction des poèmes de Poë, par Mallarmé.
(2) Revue indépendante, février 1888, dans un article sur Verlaine.