Il serait facile, en recueillant ici et là, dans cette oeuvre, des passages divers, de reconstituer tout un roman d'amour qu'on imagine mêlé de larmes et de joie, qui dut enfin se résoudre en amère tristesse :
Nous nous aimions comme deux fous,
On s'est quitté sans en parler
Un spleen me tenait exilé,
Et ce spleen me venait de tout.
Ses yeux disaient : « Comprenez-vous Pourquoi ne comprenez-vous pas ? »
Mais nul n'a voulu faire le premier pas,
Voulant trop tomber ensemble à genoux. (Comprenez-vous ?)
Où est-elle, à cette heure ?
Peut-être qu'elle pleure…
Où est-elle, à cette heure ?
Oh! du moins, soigne-toi, je t'en conjure !
Et il s'efforce de sourire, mais toujours revient l'horrible angoisse de la solitude ; et il sublimise sa douleur avec de la métaphysique et des argumentations idéologiques ; il tâche de se donner le change à lui-même, mais une nostalgie passionnée est au fond de son coeur, — « tout ça sans blague ! »
Cette ironie fine et discrète, qui n'est, en somme, que le déguisement d'une âme très jalouse d'elle-même et sensitive, est la manière propre de Jules Laforgue. C'est grâce à elle qu'il a pu revivre la vieille vie humaine comme toute neuve et recommencer l'éternel poème de la méditation sur l'Infini, de la mélancolie et de l'amour sans répéter la chanson d'autrui. Sa philosophie et son