feuille). A la hâte. Vous embrasse comme vous aime. Je n'ai pas reçu le vieux marc.
ig janvier IQ15,
deuxième lettre de ce jour – 4 heures.
Chère, chère petite. Comme vos lettres me font du bien et comme je suis heureux de votre pensée constante au milieu des misères de l'existence du troupier en campagne A vrai dire, ces misères ont reçu aujourd'hui un arrêt très sérieux. Je me suis lavé à grande eau, changé, rasé même, et chose extraordinaire, nous avons la paix au cantonnement depuis ce matin. Un pareil jour retape admirablement. Demain, cette nuit peut-être, nous allons reprendre les tranchées, mais nous ne ferons plus de sitôt jamais plus, probablement de marche en avant. Le résultat piteux de la bataille qui vient de nous faire perdre la rive droite de l'Aisne a assagi le haut commandement. Il s'agit de fortifier les positions solides défendues par la rivière et de s'y maintenir. On installe ici à Vignolles des batteries de canon. On va bombarder la rive droite, et ça va être, cette nuit, un beau bruit. Un grand mouvement de troupes sillonne la rue miroitante de pluie. C'est tout à fait un tableau à la Neuville Les trains d'artillerie, les fantassins, les cyclistes, les estafettes, les infirmiers passent dans des accoutrements hétéroclites. Quelques-uns n'ont presque plus rien de l'uniforme. Les pantalons de velours, les pantalons de toile kaki, les capuchons versicolores, les sacs montés chacun d'une façon diverse mais toujours monumentaux, font des taches pittoresques et impressionnantes. Les fourriers s'occupent de l'approvisionnement. On voit des corvées aller à l'eau avec des seaux en toile, au bois ils portent de grands fagots ramassés dans les bois au pain des piles de boules dans les bras.