J'ai, figurez-vous, une indigestion de boyaux et de sapes. Nous y cheminons quelque chose comme douze heures par jour. Quana la pluie, productrice de boue, sévit, c'est intolérable. Ce matin, il a plu maintenant, il bruine. Nous sommes dans une guitoune allemande, en ruines et à moitié défoncée. Nous attendons moins la fin de la pluie que celle d'un certain bombardement intensif qui miaule audessus de nos têtes. Nos canons grondent sans interruption. Pan, pan, pan, pan. Les parois de terre de la guitoune en tremblent. Médard est en face de moi et Salavert, à côté, et les bonshommes qui sont autour font des réflexions monotones sur la durée de la guerre. Leur face se mélancolise, jusqu'au moment où, par association d'idées, ils évoquent quelque épisode de la campagne, et on entend des phrases « Tu t'rappelles, la fois où on était dans le poste devant Cuffies tu parles d'un bombardement Je croyais toujours qu'une marmite allait me tomber sur le coin de la gueule » « Y en a même un qui creusait la terre avec son quart » « Oui, oui, c'était Boulangin, un copain à Parotte,, tu parles d'un mec qui se posait là » « II a tout de même été poiré par les Boches quand ils sont entrés dans la grotte de la plaine. » « Oui, mais c'jour-là, il était r'tourné comme une vieille crêpe (ivre) ». Je suis dans l'attente de vos photos celle du bois, celle de la table.
Il me semble aussi qu'il y a longtemps que vous ne recevez pas de lettres. Hy a eu évidemment un arrêt du service postal dont nous continuons à subir les effets. Au revoir, mon chéri.
18 mai 1915-
J'ai longuement regardé tout à l'heure le portrait que vous m'avez envoyé et dont je vous ai parlé hier déjà. Vous savez que je trouve cette photo de vous