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Titre : Revue de métaphysique et de morale

Auteur : Société française de philosophie. Auteur du texte

Éditeur : Hachette et Cie (Paris)

Éditeur : A. ColinA. Colin (Paris)

Éditeur : PUFPUF (Paris)

Date d'édition : 1912

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343491074

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343491074/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 39279

Description : 1912

Description : 1912 (A20,N6).

Description : Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail

Description : Collection numérique : La Grande Collecte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k11130m

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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SUR LES PREMIÈRES CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES DE MAINE DE BIRAN

Maine de Biran n'a eu sans doute une pensée philosophique véritablement constituée que vers le moment où il a entrepris de répondre à la question proposée par l'Institut, en octobre 1799, sur l'influence de l'habitude. Quel qu'ait été son apport personnel à la doctrine qu'il a alors présentée, il l'a conçue, d'après ses déclarations les plus catégoriques, sous l'influence prépondérante des idéologues. Avant cette époque cependant, il n'avait pas été sans réfléchir et sans s'essayer sur divers sujets; bien mieux, il avait déjà fait émerger de ses observations sur lui-même le problème qui fut toute sa vie le centre de ses analyses et de ses recherches. Seulement il était bien loin d'être en possession d'un ordre d'idées rigoureusement défini et suivi; il cherchait son chemin dans tous les sens, et n'était même pas fermement engagé dans la voie qui devait l'amener aux théories et aux méthodes de Destutt de Tracy et de Cabanis. L'insuffisance des documents 4 n'est donc pas la seule cause qui empêche de retracer, pour cette période, une formation régulière de sa pensée. On doit se borner, en se reportant à certains de ses écrits qu'il est possible de lire ou de consulter, à tâcher d'y apercevoir, sans trop vouloir les coordonner, ses premières tendances philosophiques. Cette tentative, si limitée et si peu systématique qu'elle soit, n'est pourtant pas sans intérêt. Elle permet. au moins de découvrir que l'adhésion de Maine de Biran à Condillac ne fut pas, même dès le début, sans réserve et sans critique, qu'elle laissa subsister et coexister en lui des façons de voir et des dispositions d'esprit qui manifestèrent plus tard contre la philosophie de 1. Outre que nous n'avons pas pu avoir en entier, comme l'on verra, l'un de ces documents, il se peut que d'autres documents se découvrent, dont nous ignorons l'existence. Par conséquent la présente étude ne doit être considérée que comme une esquisse qui pourra être retouchée et complétée. C°nS'deree

Revue de de Année a, 1912 Numéro 6

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̃̃II

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Condillac, et aussi contre celle des idéologues, toute leur originalité et toute leur énergie. 1_

C'est pendant la période révolutionnaire que Maine de Biran, incertain de tout avenir, :et parfois: peu rassuré sur le présent, sans aucune occupation de carrière, Sjtflpût avoir ou se promettre, se remit à l'étude, selon ses propres expressions, « avec une sorte de fureur », et « passa d'un saut de^la frivolité à la. philosophie »*. Aussi bien que les penchants impérieux de sa nature, les formidables événements qui étaient en traînée s'accomplir lui interdisaient de prendre la philosophie pour une simple affaiïe de curiosité ilinclma immédiatement à la concevoir; comme une source de sagesse autant que de science. C'est par des lectures très variées et même assez dispersées qu'il se fit son éducation philosophique. Ajoutons qu'il se la fit surtout par cette facultéjle ïéûexion qui, éveillée de si bonne heure et si fortement développée chez lui, l'empêchait d'accepter les notions tirées des livres sans leur imposer un contrôle attentif ou leur imprimer sa marque. Il s'intéressa donc aux mathématiques, aux sciences naturelles, aux auteurs classiques2, et par là peut-être il donna un heureux contrepoids à la tendance qui l'eût porté à s'enfermer en lui pour se- rendre compte à lui-même uniquement de lui. Il comprit quelles questions, d'une portée plus universelle, s'étaient imposées et pouvaient s'imposer encore aux intelligences. Il s'attacha surtout, pour entendre ces questions, aux écrivains duxvm* siècle, qui lui communiquèrent certaines de leurs maximes les plus importantes; mais irresta en contact avec des écrivains d'autres époques, en particulier, avec des écrivains du xvn° siècle, et il se préserva ainsi d'un assujettissement servile à la philosophie régnante. En tout caf il fut sérieusement préoccupé de l'influence que. peuvent avoir les idées sur les mœurs, et il demeura pendant ce temps non seulement étranger, mais encore résolument hostile aux expressions négatives et^aggressives de l'incrédulité 1. Ernest Naville, Maine de Biraln, sa vie etses pensées, 3e éd., p. il, 2. Ibid., p. 15. .•

3. Ibid. ̃ ,-i-. ,-j. ̃̃ r


Un des témoignages les plus anciens peut-être le plus ancien que nous ayons de l'état de ses convictions et de ses idées est sa Méditation sur la mort près du lit funèbre de sa sœur Victoire, écrit qui porte la date du 29 juillet 1793 l.

La mort de sa sœur, en l'affectant douloureusement, le porte à méditer sur la question de la vie future. Cette croyance à l'immortalité, que la nature suscite en nous, que la religion confirme, le vulgaire l'admet sans réfléchir, et le philosophe chrétien, qui incline sa raison, l'admet sans comprendre; l' « aveugle athée qui a dit dans son cœur, avec une impudence mensongère il n'y a pas de Dieu » la relègue parmi les fables; celui qui, privé des lumières de la révélation, se fie' uniquement à sa raison, n'ose ni la prendre à son compte ni la rejeter. Maine de Biran, qui dans cette épreuve en sent toute la vérité et toute la puissance de consolation, s'applique à montrer qu'avec les seules lumières naturelles nous n'arrivons sur ce sujet qu'à d'insolubles difficultés. Et il vise avant tout les explications qu'ont données des phénomènes psychologiques Ch. Bonnet avec son Essai analytique sur les facultés de l'âme et Condillac avec son Essai sur l'origine des connaissances humaines.

Assurément, aux yeux de Maine de Biran, la façon dont Bonnet « en physicien », et Condillac « en métaphysicien » expliquent le jeu de la mémoire, des sensations, des idées, des passions, constitue un ensemble d'hypothèses « assez satisfaisantes »; et il est juste de reconnaître que la plupart des phénomènes psychologiques tels que les liaisons des idées, l'origine des habitudes, etc. sont bien éclairés par la supposition de fibres du cerveau s'ébranlant réciproquement en vertu de la réaction de l'âme dans l'ordre où elles ont été primitivement ébranlées, soit par la présence des objets, ce qui constitue l'imagination, soit par les signes de ces objets et les circonstances qui les ont accompagnés, ce qui constitue la mémoire. « Mais quand même les expériences physiologiques, muettes jusqu'à présent sur ces hypothèses, parviendraient à les confirmer, qu'y gagnerait-on? On connaîtrait les ressorts de la machine, mais la puissance motrice en serait-elle mieux mIi^TbZ, M. le Chanoine Mayjonade dans ses Pensées et Pages inédites de Ylai~te de Bi~·an, 1396, p. 35-46.


connue? Expliquerait-on mieux commenUe mouvement d'une fibre ou d'un assemblage de fibres peut. exciter une sensation? Connaîtrait-on mieux comment, de plusieurs mouvements excites dans divers organes hétérogènes et. qui n'ont aucun rapport, il résulte cependant un sentiment; un et. indivisible qui constitue le moi humain»? Même si l'on imaginait, comme l'a fait un médecin du commencement du xvn« siècle,,Baumann,. que les. êtres organisés sont formés d'une infinité: d'éléments sensibles en eux-mêmes, mais qui perdent la conscience de leur première existence pour n'avoir plus que celle -du tout qu'ils composent, d'abord il suivrait de là que chaque partie d'un corps organisé, doit être douée de sensibilité, et ceci est contraire aux expériences qui ont établi que les nerfs ne sont sensibles, qu'autant qu'ils communiquent au cerveau; en outre il reste difficile, d'entendre comment des éléments divers et inégalement sensibles.ne forment qu'un sentiment unique et incapable de division'2.,

L'insuffisance de toutes les hypothèses physiques devait nécessairement conduire, « indépendamment même de la révélation », à l'admission d'une substance immatérielle,, distincte: du -corps, Mais de là surgissent d'aussi nombreuses-difficultés. L'âme-ne paraît avoir conscience d'elle-même que par ses. sensations pourquoi ne se souvient-elle pas du temps qui a précédé son union avec le, corps? En réalité, qu'elle se manifeste par l'intelligence ou par le sentiment, elle suit toujours le sort des organes. Comment donc aurait-elle pu avoir dans le passé une- existence indépendaate; de ^organisation ? Et comment pourrait-elle' avoir dans l'avenir une telle existence? 1 P -Î9 Je prie, dira plus tard Maine de Biran, qu'on lise dans l'Essai analytique rh Bonnet tout ceque dit ce: philosophe sur la.rémin.iscence. Qn verra combien il Bonnet toutj e q ue a pour v mécaniquement l'acte simple et intellectuel de la cJh£a il cumule- d'hypothèses vagues et sans fondement, combien il}I)1,agine::de jeux.de fibres variés. Quand même on pourrait expliquerphysiologiquemènt la manière dont les impressions laissent, dans les organes ou dans le cerveau, des traces qui se lient, se réveillent les unes les autres, etc., on*, -n'en.-serait pas plus avancé pour expliquer comment le moi peut se reconnaître, e)j,olndre aux images ou aux impressions renouvelées l'idée du passé. C'est un fait de sens intime ou de réflexion, bien plus inexplicable par les, lois de_ta physiologiB,que les,faits physiologiques ne le sont eux-mêmes par les lois de"la mécanique ordinaire. Il y, a hétéro- wmmmmm parer. Ilartley, Bonnet et Condillac; n'pnt'pas assez senti cette hétérogénéité. » Essai szsz· les fondemenls de la Psyc)eologie, Partie 11, Section 11, Ch. 1lI, OEuvzyes inédites, éd. Naville, t. II, p..S>5r56,,note.,

2. P. 40. ï -•.


Car entin les deux questions sont connexes, et une substance impérissable, si elle ne doit pas cesser d'être, n'a pas dû non plus commencer d'être. Nous ne pouvons, en raisonnant sur le rapport déjà incompréhensible d'une substance immatérielle et d'un organisme, dissiper les ténèbres qui s'épaississen-t à plaisir. Des notions « purement métaphysiques » peuvent-elles nous fournir plus de lumière? « La personnalité ou la' permanence de la conscience du moi n'est autre chose que la liaison des moments successifs de notre existence. Par cette liaison (malgré les changements divers qui s'opèrent continuellement en nous), nous avons toujours la conscience que nous sommes le même être. Il paraît évident que la mémoire seule lie ainsi les divers moments d'existence1. » Mais le siège de la mémoire est corporel, ce qui est suffisamment prouvé par la puissance qu'ont souvent les maladies d'annuler tout à fait nos souvenirs. La mort ne fera-t-elle pas plus encore que les maladies? Et s'il en est ainsi, si notre personnalité est détruite, qu'aura de commun notre existence actuelle avec l'existence future? « Nous sommes si fort attachés au moi, que toute modification qui excluerait l'identité personnelle ne peut nous intéresser en rien dans l'état où nous sommes présentement. Et si on disait que la même substance peut passer par plusieurs modifications différentes sans avoir conscience de ces divers passages, je répondrais que cela est possible, mais que si l'être est le même absolument et aux yeux de l'Auteur de ces changements, il ne se trouve pas le même; pour lui il ne peut plus dire moi. Ces modifications passées ou futures-lu sont donc étrangères et indifférentes, et le changement de modifiée tions dans la substance équivaudrait dans ce cas à l'anéantissement de cette substance et à la création d'une autre 2. » Sans doute, dans cette hypothèse, il ne serait pas impossible d'imaginer des migrations des âmes à la façon des Pythagoriciens; on pourrait concevoir que les âmes humaines sont destinées à passer par plusieurs degrés successifs de perfection mais outre que rien ne nous garantit qu'actuellement l'espèce humaine n'est pas en décadence plutôt qu'en progrès, qu'importent ces changements d'état à un être qui n'a pas conscience du moi d'autrefois 3?

Dans cette argumentation de Maine de Biran apparaît une idée à ̃I. P. 41-42.

2. P. 42.

3. P. 42-43.


laquelle il s'attachera plus taçd.très fortement: c'est, à savoir, l'idée que la conscience du moiest autre chose que la permanence d'une substance et ne s'explique pas.positivèment par elle notre identité personnelle est garantie par la- conscience que nous en avons, non par une réalité substantielle supposée, distincte de notre conscience1. Et la conclusion sur le problème qui,. devant le lit funèbre de sa sœur, occupait jusqu'à .l'angoisse; l'âme de Maine de Biran? Elle se tire avant tout de la foi en Dieu, – en .un Dieu sans lequel l'ordre de la nature serait inexplicable, qui n'a pu mettre en nous la soif de connaître le dernier mot des choses sans l'apaiser jamais, qui n'a pu produire en nous le sentiment de .l'existence et de toutes les affections qui y sont. attachées pour le faire aboutir au. néant. C'est là une croyance due au « sens intime,»; elle est indépendante de toutes les hypothèses physiques .et de tous les raisonnements métaphysiques elle vaut sufflsamm.eiit.par elle seule, Il se peut qu'alors une telle croyance confirme en; quelque mesure .dans,, l'esprit de Maine de Biran l'autorité de la Religion positive dans laquelle il a été élevé2; cependant la façoii dont elle est ici conçue et établie la rapproche singulièrement, d'un certain genre de Religion naturelle 3. Quelqu'un qui n'est pas nommé J.-J. RousSeau pourrait bien 1 II me paraît extrêmement probable que cette idée a été suggérée à Maine de Biran par la lecture de Locke. Locke; en effet, s'était appliqué à montrer que l'identité personnelle consiste, non pas dans l'identité de substance, mais dans l'identité de conscience; il avait déclaré. que des consciences de soi-qui seraient distinctes constitueraient autant de personnes diverses, même si on les supposait appartenant à une même substance et.que d'un autre -côté différentes substances pouvaient être unies dans, une.' seule personne si elles avaient part à la même conscience (Essai sur .l'entendement Jmmmn, Livre "II, Ch. xxvn). Lorsque plus tard Maine de Biran expliquera ce qu'il entend par cette identité, « dont Locke a si longuement parlé et à, quelques égards si profondément pensé » il lui reprochera, non pas, tant s'en faut, d'avoir fait de l'identité de conscience le caractère distinctif de lUdftntit.é^personnelle, mais d'avoir inutilement compliqué ses recherches, en. élevant ce sujet des questions insolubles, comme celle de savoir si l'identité personnelle peut subsister dans le changement de substance; et il lui reprochera surtout, conformément à -sa doctrine actuelle, d'avoir regardé l'identité personnelle, qui a son sens propre, comme une conséquence, au lieu de la regarder comme la condition de la mémoire, Essai sur les Fondements de la Psychologie, Partie 1, Section II, Ch. îv-v. Partie II, Section II, Ch. ui..Œuvre$.inédites, éd. Naville, 1. 1, p. 276-283, t. II, p. 52. Par les notes inédites de 1.194-95, on découvre au surplus à quel point Maine de Biran avait approuvé tout d'abocd ies,_vues. de Locke sur l'identité personnelle.

2. P. 37. ̃ 'r– '–– -̃:̃ '̃̃

3. Dans les notes qui constituent ge, qu'on a appelé son Journal de 1794-95, Maine de Biran insiste au moins une fois sur les difficultés que présente l'idée d'une révélation divine à un peuple privilégié.


avoir marqué de son influence la méditation religieuse à laquelle se livre avec plus d'élan que de discipline précise l'âme de Maine de Biran N'est-ce pas à Rousseau qu'il faut rapporter l'idée, nettement marquée, d'un antagonisme entre les démonstrations philosophiques, incertaines, inefficaces, et les affirmations immédiates, indiscutables, du sentiment intérieur? Il semble même que dans ce morceau composé avec émotion sans doute, mais non sans quelque apprêt littéraire, on discerne la recherche d'une éloquence et plus, d'un tour de phrase à la Rousseau. « Dès ce moment elle a employé à prier tout le temps que lui ont laissé les souffrances. 0 religion, que tu es consolante! Qu'il est infortuné celui qui, livré à toute la faiblesse humaine, ne cherche pas son appui dans le ciel! 2. » Et un peu plus loin « 0 philosophie, que tu es triste! Eh! si tu n'étais que mensongère 3 ». Et encore « Cette patience, cette résignation, ce sourire qui animait encore sa figure mourante et par lequel elle semblait vouloir consoler ceux qui s'affligeaient de sa perte Quel tableau! 0 philosophes, venez apprendre à mourir » 1) Toujours est-il que vers cette époque, nous en avons d'autres témoignages, Maine de Biran est porté à réserver au sentiment la suprême défense des grandes vérités morales et religieuses contre les tendances et les conclusions de la philosophie, au moins d'une certaine philosophie. Ce qu'il sait des théories de Hobbes et de Spinoza le révolte s'il y a là des démonstrations difficiles ou impossibles à réfuter logiquement, on doit leur opposer la protestation du cœur. « Tout ce qui enlève, dit-il, à la société les sublimes ressorts de la vertu, tout ce qui dégrade l'homme, en effaçant à ses yeux le 1. A une heure où le sentiment religieux commencera à se réveiller chez lui, Maine de Biran traitera d' « admirable la profession de foi du vicaire savoyard. Journal intime, 18 mai 1815 (inédit). Dans certaines de ses notes inédites de 1794-95. Maine de Biran revient à plusieurs reprises sur Rousseau et quelques-unes des idées de Rousseau. Il tient pour excellent le système d'éducation qui consiste à faire naître des choses la punition des fautes. 11 admet, lui aussi, que l'homme est actuellement dépravé, et que cette dépravation a la même cause que les sciences et les arts, à savoir la multiplication des besoins, mais non qu'elle a pour cause les sciences et les arts eux-mêmes. Ailleurs, s'il approuve en principe Rousseau d'avoir conseillé l'équilibre entre nos désirs et nos facultés par la diminution de nos désirs, il se demande pourtant si ce ne sont pas les désirs qui évoquent les facultés et en développent la puissance. Enfin il loue Rousseau d'avoir songé à écrire un ouvrage, qui eût été infiniment précieux s'il eût été écrit en effet, sur les variations que les hommes éprouvent au cours de leur existence.

2. P. 37.

3. Ibid.

4. P. 36.


mérite de ses bonnes actions, et ôtant de son coeur l'amour du beau moral par l'impuissance démontrée d'y parvenir, doit être combattu avec l'ardeur que l'on met à repousser un ennemi dangereux. Il faut chercher dans sa raison des moyens pour parvenir à la victoire, et si la raison ne nous prêtait pas des armes assez puissantes, nous trouverions toujours dans nos .cœurs une force qui rendrait vaines les séductions de ces principes^. » Ou encore « Les vérités' de sentiment sont à l'abri de tout sophisme2 »:.

Maine de Biran s'attribuait dès lors une vocation particulière pour les questions de métaphysique et de morale; mais, à propos de ces questions et en dehors d'elles, il dépensait sa curiosité dans les lectures et les études les plus variées, et il entassait, comme il le déclare, une « foule d'idées hétérogènes3 ». Il s'intéressait même à des problèmes purement spéculatifs comme en; témoigne un écrit de lui, inédit, de 10 pages in-folio, et intitule Réflexions sur les forces générales qui animent la nature1*. Ce court travail doit dater de 1793 ou 1794. Il commence ainsi « L'idée d'une force unique animant toute la nature, agissant sur' Les masses énormes comme sur les molécules ou éléments des corps, cause du mouvement général dans la matière brute, principe de l'organisation dans les êtres organisés, cette idée paraît sublime, et si nos connaissances encore trop bornées ne permettent pas de l'étâyer par des démonstrations rigoureuses, il faut avouer du moins qu'elle est extrêmement pro1. Cité par E. Naville, OEuvres inédites de Maine de Biran, Introduction, 1, p. xii.

2. Ibid,

3. « Je me remets sous les yeux, .écrit Maine {le Biran le 25 décembre 1794, ce qui a successivement exercé mon activité depuis vingt-six mois jusqu'à ce moment. Deux années ont été consacrées à l'étude, je yeux dire aux livres, car j'en ai plus feuilleté que je n'en ai appris. L'envie de devenir savant m'a tourmenté longtemps; mais le désir de tout apprendre à la fois, joint au défaut de stabilité que j'ai dépeint, m'a. entraîné! dans bien des genres d'études qui n'ont aucun rapport j'ai perdu beaucoup de, temps' ,que, j'aurais pu employer d'une manière utile, sans .doute, si je m'étais livré aux parties qui me conviennent davantage et qui sont, je,; crois, la métaphysique et la morale. L'étude des mathématiques ^m'a pris bien du temps; j'ai .conçu beaucoup de choses dans cette science; mais je n'ai.pas une iôte à calcul, et ma santé est trop faible pour supporter l'extrême contention qu'exige cette, étude, » E. Naville, Maine de Biran, sa Vie et ses pensées, p. 123.

4. Bibliothèque de l'Institut de France, MSS NS, CXXXV.


bable, et qu'elle est bien conforme à la manière d'agir de la nature toujours simple, toujours économe dans ses moyens ». Les anciens, continue Maine de Biran, et il faut lui laisser, bien entendu, l'entière responsabilité de ses assertions historiques sont restés attachés à l'idée que l'impulsion est la cause première du mouvement ne pouvant imaginer d'autre cause de mouvement que l'application d'un agent externe, ils ont dû renoncer à rendre compte, par des causes naturelles, du cours composé des corps célestes; ils ont attribué à chaque planète un génie chargé dela diriger dans sa route. Si Descartes eut le mérite de renverser le vieil édifice que les scolastiques faisaient de si vains efforts pour étayer, il ne réussit pas à supposer non plus que la matière peut être mue autrement que par une impulsion étrangère de là son système des tourbillons, qui était tenu de satisfaire à cette double exigence expliquer les pliernomènes principaux, s'accorder avec les détails. Précisément la considération des détails eut pour effet de Je ruiner. II fallut donc recourir à un autre principe que l'impulsion. Ce fut le grand Newton qui découvrit ce principe; dans l'esprit de Newton vint éclore cette magnifique idée, que la même force qui pousse le corps vers le centre de la terre retient les planètes dans leur orbite. Après avoir trouvé la loi selon laquelle cette force agit, et l'avoir énoncée en des termes qui permirent au calcul d'en suivre exactement les applications, il restait à se demander si cette force est une propriété essentielle et primordiale de la matière, ou bien si les corps ainsi attirés vers un centre ne seraient pas plutôt soumis à l'action d'un agent externe, tel qu'un fluide ou une matière subtile. Newton, toujours circonspect quand il était question de remonter aux causes, n'osa pas décider; regardant l'attraction comme un effet général, qui à ce titre ne peut être comparé à aucun autre, il songea avant tout à déterminer les lois de cet effet sans en définir décidément la cause; il croyait en cela faire œuvre plus utile; et en vérité une philosophie de cette sorte est bien plus en rapport avec le pouvoir de la raison humaine qu'une philosophie plus ambitieuse. Cependant, s'il fallait opter entre la doctrine qui attribue uniquement à l'impulsion le mouvement des planètes et la doctrine qui admet l'attraction comme une force qui leur est inhérente, c'est cette dernière qui mériterait d'être choisie. Elle avait sans doute pour elle les préférences de Newton, puisqu'il a souffert que son disciple Cotes l'exprimât sans réserve dans la Préface de la deuxième


édition de ses Principes. Peut-être, en ne l'adoptant pas explicitement pour son compte, NewtqrLeuMLpeur des théologiens. Ceux-ci tiennent en effet pour très dangereux de considérer la matière autrement que comme passive, et de lui prêter des forces essentielles à sa nature. Mais pourquoi ne pas croire qu'il a pu plaire au Créa-; teur d'ajouter à la matière certaines qualités. comme l'attraction, le sentiment, la pensée même? « Celui qui la créa (si vous voulez qu'elle ait été créée) n'avait-il donc pas le pouvoir de lui donner' quelque qualité active ? Ne craignez-vous "pas en soutenant la négative, de borner un peu. légèrement. la puissance du souverain Être ? » Au contraire, la thèse positive paraît bien plus conforme au principe de la simplicité et de l'économie des moyens. Pour avancer, que telle ou telle qualité répugne, à l'essence de la matière, il faudrait connaître cette essence. La connaît-on, bien Et si l'on argue de la difficulté qu'il y a à concevoir comment un corps peut agir à distance sur un autre corps, -=- 'outre que la' difficulté qu'il y a à concevoir une opinion n'est pas une. raison de la rejeter comtprend-on bien comment un corps peut communiquer du mouvement à, un autre? N'y a-t-il pas. dans cette communication du mouvement un mystère qui nous confond? ̃

Maine de Biran, relevant un passage, de l'Optiqu.e dans.lequel Newton déclare que la nature produit tous les grands mouvements des corps célestes par l'attraction de la gravité qui agit sur les corps et presque tous les petits mouvements de leurs parties par quelque autre puissance répandue dans ces parties », ne veut pas admettre cette dualité d'explications. Il iny.oque l'autorité de Buffon pour prononcer qu'une seule force .régit la nature entière, pour voir dans l'attraction le principe de tous les mouvements et dans l'impulsion même un effet particulier, de l'attraction. Conception dont la simplicité, déclarait Buffon, n'égale «peut-être pas encore .la simplicité de la nature même1..

De cet écrit de Maine de Biran, ce qu'il nous faut retenir, c'est beaucoup moins l'originalité, des .idées, qui,.n'en est pas effectivement très grande, que la tendance, philosophique qui s'y manifeste, 1. On peut retrouver le passage de EuXfon que visent ces réflexions de Maine de Biran; c'est ^incontestablement, dans l'Histoire naturelle, le chapitre de nouvelle introduction intitulé, De la -Nature, seconde vue. Éd. de 1161, t. XXVI, p. XVII-XXVIII. Pour plusieurs de ces.idées, surtout pour cette idée que l'attraction est la force primordiale et- lïiië dont l'impulsion n'est qu'un effet particulier, Maine de Biran a suivi- fidèlement Buffon.


à savoir la répugnance à l'égard de toute conception de ,1a matière supposée essentiellement inerte et l'aversion pour le mécanisme. Cette tendance aura sous des formes diverses des effets considérables dans l'oeuvre ultérieure de Maine de Biran 1.

Jamais il n'aura été plus juste de dire que l'originalité d'un auteur est dans ce qu'il n'emprunte à personne et dans ce qu'il tire de lui-même. La philosophie de Maine de Biran a sa source profonde dans les réflexions et les analyses auxquelles il s'est livré de bonne heure, et par goût et par parti pris, sur son tempérament, ses façons d'être, les variations de sa sensibilité, les aspirations trop souvent impuissantes de sa volonté. C'est son moi qu'il met au centre de ses recherches, et auquel il rapporte plus ou moins directement, plus ou moins explicitement, les objets de ses autres études et de ses lectures. Ce mélange d'observations sur lui-même et d'aperçus sur différents sujets ou sur les pensées de divers écrivains apparaît dans des morceaux de '1794 et 1795 qui constituent comme le premier Journal intime de Maine de Biran, Ils ne sont pas, dans leur ensemble, à la disposition du public2. Relevons ce 1. M. Al. Bertrand a signalé un écrit de Maine de Biran, qui se trouve à Grateloup, et qui lui a été gracieusement communiqué. C'est un Discours sur l'homme, qui date probablement de 1794. V. La Psychologie de l'effort et les doctrines contemporaines, p. 13 et 22. Je dois moi-même la communication d'une copie de ce Discours à M. l'abbé A. de la Valette Monbrun, qui compte publier prochainement deux ouvrages concernant Maine de Biran, et que je remercie très vivement de son aimable obligeance. Dans ce Discours, Maine de Biran discute surtout les opinions de Montaigne et de Pascal sur l'homme; il expose que si l'un et l'autre ont eu pour but commun de prouver la faiblesse et la misère de l'homme en dehors de la Religion, Montaigne se borne trop à rabaisser l'homme en montrant notamment les avantages qu'a sur lui l'animal, tandis que Pascal, au moins, explique comment la conscience de notre petitesse est déjà une grandeur, et fait ressortir cette activité inquiète de notre nature qui nous pousse sans cesse à changer d'objets et nous empêche de nous contenter jamais. Sans aller jusqu'à l'adhésion absolue, Maine de Biran paraît incliner fortement vers Pascal. Il affirme sa foi dans la Providence; grâce à cette foi, il peut ensuite, dit-il, étudier avec plus de liberté les motifs naturels des actions des hommes. Dans la discussion des vues de Montaigne, il est amené à exposer par allusion et à examiner la théorie de Condillac qui explique les opérations des animaux par des idées acquises ou des habitudes. Cette théorie, qui a l'avantage d'éliminer des qualités occultes, lui paraît cependant tout à fait inconciliable avec certaines manifestations de l'instinct. A relever aussi la valeur que, dans ce Discours, Maine de Biran accorde aux intuitions et aux divinations des âmes sensibles

2. Ils sont demeurés, ainsi que toute la suite du Journal intime, la propriété de la famille d'Ernest Naville, laquelle a fait don à l'Institut de France des


qu'Ernest Naville nous en fait connaître « Ces fragments composent L, un cahier de 256 pages petit format, qui tire son importance de sa date. C'est un document de haut prix pour constater: le point de départ de la pensée de l'auteur. Les sujets traités dans ce recueil de notes et d'ébauches sont fort divers. L'examen des. opinions de Sénèque, Cicéron, Bonnet et ÇondiUa& s'y trouve juxtaposé à des observations psychologiques et à des fragments relatifs aux sciences naturelles. Mais la théorie du bonheur, formulée dans le sens du sensualisme, et la question de l'influence du physique sur le moral, résolue dans le même sens, sont les deux points qui reviennent sans cesse et font visiblement la préoccupation principale de l'écrivain. Ce cahier peut être considéré_cornmel le commencement du Journal intime 1 ». De ce: cahier, Ernest Naville a donné, quelques extraits dans son livre sur Maine-de,Biran, sa vie et ses pensées2, et nous allons tâcher de voir ce qui peut se dégager de l'examen de ces trop courts morceaux. Constatons d'abord ce que la note nous apprend. Elle nous apprend que les deux sujets qui occupaient à ce moment Maine de Biran, c'étaient la question de savoir en quoi consiste notre bonheur et quels moyens nous avons de nous rendre heureux, et ensuite la question des rapports du moral avec le physique. Indications précises et à coup sûr incontestables. Ce qui est peut-être moins instructif, parce qu'iL y a là l'emploi d'un terme un peu trop simple et trop susceptible d'interprétations équivoques, c'est l'avis que Maine de Biran donnait à ces problèmes une formule et une solution « dans le:sens du sensualisflig »

Si par sensualisme on entend en effet, pour la solution du problème moral, la réduction systématique de tout le contenu du bien à des objets directement ou .indirectement recherchés., en tout cas directement ou indirectement 4é_fmis par notre sensibilité, il n'apparaît pas, dans les, morceaux publiés du Journal de 1794 et de 179S, que Maine de Biran ait tenté très délibérément une réduction de cette sorte, et tout au moins qu'il en ait eu l'idée constamautres manuscrits de Maine de Biran. – M. l'abbé de la Valette Monbrun a bien voulu me communiquer également, aveTî. la même obligeance, d'assez nombreux extraits de ce premier Journal de Maine de Biran, qu'il avait été autorisé par E. Naville à transcrire en vue de ses travaux. Je m'y réfère dans plusieurs notes de cet article.

1. Notice historique el bibliographique sur les travaux de Maine de Biran, avril, 1851, p. 52. Catalogue raisonné de toutes les œuvres philosophiques de Maine de Biran, à la suite des OEuvres inédites, t. III, p. 556.

2. 3° éd., p. 109-130. jJL1


ment présente à l'esprit A coup sûr il ne sépare pas la perfection ou la vertu du bonheur, et il est convaincu que le bien moral est fait pour nous rendre heureux mais cette conception se retrouve chez des philosophes qui n'inclinent à aucun degré vers le sensualisme tout ce qu'on peut observer à ce sujet, c'est que Maine de Biran paraît souvent considérer le bien moral comme le moyen de donner du calme et de la stabilité à son âme troublée et inquiète; il n'en continue pas moins à prendre les qualifications morales dont il use dans leur sens et selon leur valeur propre, sans tentative méthodique pour en ramener la signification à celle des objets de nos penchants sensibles. C'est ainsi que, parlant de la misérable condition qui nous est faite par l'impossibilité de nous fixer à demeure dans quelque bon sentiment, il ajoute qu'il a l'idée d' « un état supérieur », « la conscience d'une dignité dont il a le modèle 2 ». « Ma volonté est droite, dit-il encore, je voudrais être vertueux, et je suis intimement convaincu qu'il ne peut y avoir de bonheur pour moi sans une conduite sage et conforme aux vrais principes de la morale 3. » Il demande avant tout des leçons de sagesse qui puissent l'exciter efficacement à la vertu; il les demande, sans se satisfaire pleinement, à Rousseau, à Montaigne, à Mably, à Pascal, à Fénelon, celui de tous qui le contente le mieux; mais c'est la parole d'un vrai maître qu'il voudrait entendre, d'un maître qui le soutiendrait également par l'ardeur de la conviction et l'autorité de l'exemple, d'un maître tel que fut l'incomparable Socrate

Dans toutes ces réflexions on n'aperçoit aucun essai de définir philosophiquement une fois pour toutes le bien moral. Est-ce à dire

1. Il y a sans doute des morceaux inédits du Journal de cette époque, dans lesquels Maine de Biran professe que les motifs de la volonté sont toujours des idées sensibles. Mais ce n'est point une thèse absolument et constamment admise. Maine de Biran paraît surtout opposé à la doctrine qui fait du bien' une connaissance purement abstraite, donc inefficace, ou une connaissance innée, donc chimérique. Mais son opposition n'est pas toujours déterminée par les mêmes vues positives. Parfois il fait appel, pour définir le bien, à l'intelligence qui raisonne sur l'expérience, qui réfléchit et qui compare, et il fonde, par exemple, l'idée du juste sur la science des rapports qui lient les hommes entre eux, ou encore, recourant à la notion d'intérêt général, il accentue, dans l'objet de cette notion, son caractère de généralité. Parfois il note l'influence immédiate qu'a le bien moral sur le sentiment. La pensée doctrinale de Maine de Biran sur ce sujet n'est donc pas arrêtée, et en outre beaucoup de ses observations sont en dehors de toute pensée doctrinale.

27 mai 1794, p. 114.

3. Ibid., p. in.

4. Ibid., p. 115-116.


qu'aucun problème philosophique n'y apparaisse? Il en est un, au contraire, qui y est nettement posé, en rapport du reste avec le tempérament de Maine de Bjran-; c'est celui du pouvoir que nous avons pour nous rendre heureux et vertueux. Ce problème, dont il reçoit les données de lui-même 'beaucoup; plus que de la lecture des philosophes, Maine de Biran ne le désertera, jamais, et il y subordonnera toutes ses méditations et toutes ses recherches.

On est tenté, obsêrve-t-il* de demander à l'excitation et à l'élan des passions ce' qui peut intéresser et mettre en mouvement l'activité mais lorsque l'on prétend se rendre hetnreux..par les passions, on ne tarde pas à ressentir une multitude de maux réels dont elles sont la source. « Mon organisation, et ma raison me défendent dé courir après leurs bien factices1. » Le; bonheur ne peut être qu'en nous; il ne peut jamais être évalué par les objets dont il paraît dépendre; il est dans l'état d'esprit plus ou moins accidentellement lié à ces objets2. Cependant cet état d'esprit même dépend-il dé nous? Est-ce assez pour nous rendre heureux que le pouvoir, si nous l'avons, de nous concentrer en riQus-inên\e? Évidemment non. En nous-même nous trouvons ce que nous ne cherchons pas'etnous s cherchons ce que nous Tle trouvons pas agités ou indifférents,' affaissés ou excités, tristes ou joyeux, mais toujours changeants, nous ne saurions reconnaître dans cette vicissitude d'états ni l'assurance du bonheur, ni une puissance efficace. Que par moments nous éprouvions un sentiment de calme parfait,- ce n'est qu'un accident; et il nous est impossible de le faire durer. Nous sentonsnous, à certaines heures, embrasés pour le bien? Les heures qui sonnent aussitôt après sont des heures de tiédeur et d'indifférence morales. « D'où vient cela?;se demande Maine de Biran. Est-ce que tous nos sentiments, nos affections, nos" principes ne tiendraient qu'à certains états physiques de. nos organes? La raison serait-elle toujours impuissante contre l'influence du tempérament? La liberté ne serait-elle autre chose que la conscience "d'un état de l'âme, tel que nous désirons qu'il soit, état qui dépend en réalité de la disposition du corps sur laquelle nous ne pouvons rien, en sorte que lorsque nous sommes comme nous voulons, -nous imaginons que notre âme, par son activité, produit d'elle-même les affections 1. 21 mai 1794, p. 111.

2. lbid., p. 117; 25 déc. 1794, p. 111.


auxquelles elle se complaît'? » Maine de Biran semble vouloir parfois se borner à poser le problème et admettre la possibilité des deux solutions opposées. Si le bonheur tient à un certain état de notre être, ou cet état est physique et dépend de la manière dont sont montés certains ressorts corporels alors il est trop évideat que nous n'exerçons aucune influence sur le mécanisme de notre organisation; ou bien cet état est intellectuel alors il est permis dé supposer que nous possédons un certain empire sur l'économie des affections de notre âme. « Je ne prétends rien décider à cet égard 2. » Cependant, s'il s'en rapporte à son expérience personnelle, Maine de Biran a toujours éprouvé que ses moments heureux tenaient à un certain état de son être indépendant de son vouloir. Et n'est-ce pas ainsi qu'il faut interpréter les expériences en apparence contraires? Un homme qui aura toutes les affections expansives pourra attribuer à sa raison cette heureuse disposition intérieure; mais elle dépend bien plutôt de l'équilibre de ses humeurs. Que cet homme soit dans le marasme ou atteint de consomption que deviendront ses beaux sentiments? « D'après mon expérience, que je ne prétends point donner pour preuve de la vérité, je serais disposé à conclure que l'état de nos corps, ou un certain mécanisme de notre être, que nous ne dirigeons pas, détermine la somme de nos moments heureux ou malheureux; que nos opinions sont toujours dominées par cet état; et que, généralement, toutes les affections que l'on regarde vulgairement comme des causes du bonheur ne sont, ainsi que le bonheur même, que des effets de l'organisation3. » Et Maine de Biran, en effet, ne cesse alors de dire qu'il se sent « absolument passif dans ses sentiments », que son activité « est nulle4 » d'où son inclination à croire que « le tempérament est ce qui unit ou plutôt qui identifie ce qu'on appelle le physique et le moral de l'homme ».

Mais cela même ne doit pas être affirmé uniquement par préjugé, doit plutôt donner lieu à une étude attentive et impartiale. « Je voudrais, si jamais je pouvais entreprendre quelque chose de suivi, rechercher jusqu'à quel point l'âme est active, jusqu'à quel point elle peut modifier les impressions extérieures, augmenter ou 1. 27 mai 1794, p. 117.

2. Ibid., p. 118.

3. Ibid., p. 119.

4. Ibid., p. 112.

5. Cité par Naville, OEuvres inédites, Introduction, t. I, p. xi.


diminuer leur ihtensitépaf' l'attention qu'elle leur donne,- examiner jusqu'où elle est maîtresse- ,de, cette attention. Cet examen' devrait,*ce me semble, précéder un bon> traité; de morale. Avant de chercher à diriger nos affections,. il faudraitsans doute connaître ce que nous* pouvons sur elles. Je n'ai, vu cela traité nulle part. Les moralistes supposent que l'homme peut toujours se. donner. des affections, changer ses- penchants;, détruire ses passions;, à les entendre, l'âme est souveraine, elle commande aux, sens en> maîtresse. Cela; est-il bien vrai, ou jusqu'à quel point cela l'est-il? Comment cela peut-il se faire? C'est justement, ce qu'il faudrait bien établir *.̃ » « Les moralistes, remarque-t-il un peu, plus- loin,ï ne disent rien à cet égard. Dans leurs traitésils font toujours abstraction du physique;, on dirait qu'ils parlent. d.'un être: purement spirituel et immuablev tant ils tiennent peu de çompteidu, changement- que l'état variable apporte dans nos affectious>.ir serai t. bien à désirer qu'un, homme accoutumé à s'observer; analysât. la. volonté,, comme Condillac a analysé l'entendement2. »• Le vœu..que Maine de Biran énonçait ainsi, peut-être par une sorte depressenliment du caractère de son œuvre future, c'est lui-même qui devait l'accomplir,, mais 'dans un esprit tout différent de ses intentions actuelles, et en tournant contre l'analyse de Condillac, une.autre^sorte^ d'analyse. En attendant, comment conçoit-il cette étude de l'homme,. et que s'en promet-il? Il invite tout homme à s'observer à. différentes périodes de la vie, à se comparer à lui-même en différents temps, de façon à bien noter les changements de ses manières d'être, et à suivre les variations de ses états physiques qui correspondent aux' variations de ses états moraux8.. Si l'on étudiait les circonstances et les conditions des fluctuations continuelles auxquelles nous' sommes soumis, on se persuaderait «'que ce-qu'on appelle- coups de la fortune contribue généralemenfcbeaucoup moins à notre mal-être, à notre inquiétude,. que\les; dérangements insensibles (parce qu'ils ne sont pas accompagnés de douleurs). qu?éprouvè par diverses causes notre frêle machine4 ».ICèite: observation méthodique' de' ̃I. 27 mai 1794, p. 113. Cf. CiEMM'gs iné_dite's; IniooiLucüon·par E. Naville, p. xm. 2. Ibid., p. in.. ̃ :̃•

3. 25 déc. 1794, p. 120.

4. Année 1795, p. 125-126. Ces observations, _et de semblables, que l'on trouve dans le Journalde 1794 et 1795 préparent déjà nettement ce.qui seraplus tard chez Maine de Biran la théorie de la vie affective sans conscience! de soi. En développant cette théorie dans-la Mémoire sur .la décomposition de la pensée,


nous-mêmes nous rendrait donc l'inestimable service de nous guérir d'une foule d'illusions en rapportant à leurs causes vraies les états de trouble et d'anxiété par lesquels nous passons; nous les regarderions, puisque la source en est physique, comme des maladies, et nous chercherions les remèdes qui y sont appropriés. Même si par là nous n'arrivions pas toujours à remédier au mal, nous ne le subirions plus en aveugles, et, un moment entraînés, nous aurions au moins conscience de l'être, ce qui nous aiderait, dans une occasion meilleure, à prendre ou à reprendre l'empire. C'est en surveillant et en analysant ses affections que l'on devient un être moral car ce titre ne convient point à celui qui n'agit que d'après des sensations ou des impressions presque mécaniques Donc, si porté que soit alors Maine de Biran à considérer comme peu efficace le pouvoir direct de notre volonté et à reconnaître l'extrême influence de la sensibilité sur nos manières d'être et sur notre conduite, il ne paraît cependant admettre, ni que le simple développement de notre vie sensible doive nous amener au calme et à la vertu, ni que la suite naturelle de nos penchants et de nos affections constitue notre être tout entier la conscience et la réflexion, loin de se surajouter aux états affectifs et de les continuer en quelque sorte, se mettent plutôt, pour les étudier, en dehors d'eux. Il y a là la marque d'un dualisme qui se révélera sans doute avec plus de netteté et de force dans la pensée ultérieure de Maine de Biran, mais qui déjà s'oppose aux expressions trop unifiées du sensualisme.

Maine de Miran dira de même Ainsi se trouve cachée, dans des dispositions secrètes, la source de presque tout le charme ou le dégoût attaché aux divers instants de notre vie nous la portons en nous-mêmes, cette source la plus réelle de biens et de maux, et nous accusons le sort, ou nous élevons des autels à la fortune! » Ed. Cousin, t. III, p. 162.

1 Année 1795, p. 127-128. Il est arrivé à Maine de Biran, ainsi qu'en témoignent des fragments inédits du Journal de 1794-95, d'examiner la question de la liberté dans les termes où elle lui était en quelque sorte transmise par les philosophes. Son principal souci paraît être alors de la débarrasser de superfétations et de difficultés oiseuses pour la ramener à une question de fait, susceptible d être résolue par l'expérience interne. Que je sache ou non comment ma volonté est mue, comment s'unissent les deux substances qui me constituent peu importe. Dans un remarquable morceau, qui accorde beaucoup plus à la puissance humaine que les morceaux publiés de la même époque, Maine de Biran accepte comme incontestable en faveur de la liberté le témoignage de la conscience, des qu'il est entendu que la liberté, c'est avant tout la faculté d'échapper aux impulsions mécaniques par l'intelligence et la réflexion. Nous sentons tous s les jours que nous avons le pouvoir d'arrêter, de déplacer, de fixer notre attention, et de là dérive le principe d'un art pratique qui peut changer le naturel comme la médecine guérit les maladies.


Cependant, dans l'ordre.des questions plus spéculatives qu'avait particulièrement posées et 'résolue/ Condillac, quelles étaient les premières dispositions de Maine deBir.an? Ses notes de 1794, nous assure E. Naville, contiennent'bien nettement des thèses comme celle-ci,: « Quel que soit le. mécanisme par lequel nous avons des idées, il est démontré que leur origine est dans les sens1 ̃»• Et l'on peut lire tout à côté « Sans doute on n'expliquera jamais mécaniquement la simplicité de l'être pensant. Elle répugne à la composition de la matière. Le moi auquel je rapporte toutes mes sensations les plus variées, ,qui reste toujours^ un, toujours simple, toujours indivisible, aurait-il les propriétés de la matière? C'est ce qu'on ne saurait comprendre. » Remarquons que le principe de la doctrine de Locke et de Gondillae surjorigine de nos idées avait alors obtenu l'assentiment de presque tous les esprits, et qu'il n'avait pas paru à Condillac contradictoire, jpas plus qu'à d'autres l'explication physiologique de certaines opérations mentales, avec l'idée de la spiritualité de l'âme. Aussi la juxtaposition des deux remarques qui viennent d'être citées ne doit-elle pas être nécessairement interprétée dans le sens d^une inconséquence ou d'une hésitation entré des doctrines diverses. Mais sur l'un des sujets tenant essentiellement à l'analyse des idj^s,; telle qu'on l'entendait alors, il y a un document inéditvpostérieur de quelques années aux considérations que nous avons jusqu'à présent relevées, antérieur toutefois à la production de ces deux mémoires sur l'Habitude qui devaient rattacher Maine de Biran à l'école idéologique; et ce document est d'une intéressante signification.

Un concours avait été décidé, par l'Institut et était resté ouvert jusqu'au 13 germinal an VII (2 avril 1799) sur la question de l'influence des signes. A ce concoursile Gérando fut couronné. Maine de Biran, après avoir eu l'intention d'y prendre part, ne donna pas suite à son dessein2. Nous avons j.e lui, non pas même une ébauche de mémoire, qui eût supposé un plan.déjà quelque peu arrêté, mais une série non coordonnée de réflexions sur le sujet ou à propos du ̃1. Œuvres inédites, Introduction, p. xi. 2. E Naville, Notice historique et bibliographique sur les.travaux de Maine de Ciran,'p. 2. Catalngue raisonné de Joutes les œuvres philosophiques de Maine de Biran, OEuvres inédiles, t. III, p. 556-557.


sujet. Les feuilles sur lesquelles ces réflexions sont consignées forment 46 pages in-folio'. Au moment où Maine de Biran songeait à la question, il pouvait lire le tome premier des Mémoires de l'Institut national des sciences et des arts, Sciences morales et politiques paru en Thermidor an VI. Il était donc tout naturellement conduit à confronter sa pensée avec celle des idéologues proprement dits autant qu'avec celle de Condillac. Or, à l'encontre de l'opinion commune qui représente Maine de Biran comme ayant commencé à être le disciple de Condillac et des idéologues, ces passages nous apprennent que s'il ne méconnaît pas la valeur de certaines idées de Condillac, il le critique cependant sur des thèses essentielles 2, et qu'en outre à cette heure il se sent très vivement choqué par des formules de l'un des principaux représentants de l'idéologie, Cabanis. Maine de Biran commence par accepter le témoignage que Condillac s'est rendu à lui-même en déclarant que la supériorité de sa doctrine sur celle de Locke, c'est d'avoir établi le principe de la liaison des idées et le principe de l'influence des signes. Surtout Condillac a montré que c'est grâce aux signes que l'esprit a plus qu'une puissance passive de reproduction, qu'il possède une mémoire, une imagination et une réflexion volontaires, et, avec elles, la faculté d'analyser. Il a soutenu en conséquence que les signes ne sont pas seulement des moyens de communication entre les hommes, qu'ils servent à enregistrer les idées venues des sens, à les lier les unes aux autres d'une manière uniforme, donnant ainsi à l'entendement le moyen de les rappeler à volonté. L'idée et le signe sont plus inséparables dans ce système que dans celui de Locke; mais quoiqu'on ne pense pas sans signes dans le système de Condillac, les idées y ont cependant, au dire de Maine de Biran, une existence indépendante des signes.

Après Condillac il est venu des métaphysiciens qui ont outré ses principes sans perfectionner sa théorie. Et parmi eux, c'est Cabanis 1. Bibliothèque de l'Institut de France, MSS-NS, CXXXIII.

2. Dans le Journal de 1794-95 (morceaux inédits) Maine de Biran avait déjà exprimé assez fortement ses réserves sur certaines théories de Condillac. Il s'éleva.t énergiquement contre la thèse absolue, qu'il lui prêtait alors, de la réduction de la pensée au langage, et il réclamait la réalité propre des idées, antérieures à 1 usage des signes. Surtout il reprochait à Condillac, non seulement d avoir exagère le rôle des signes dans l'exercice du pouvoir volontaire de l'esprit mais encore d'avoir exagéré ce pouvoir volontaire même. Il montrait toutes les sortes de liaisons d'idées qui y font obstacle, et en outre l'influence du tempérament sur la suite comme sur la teinte des idées. P


qu'a en vue Maine de Biran. Il cite •̃ divers passages -du premier Mémoire de Cabanis à' l'Institut1.. « On nedistingue les sensations, disait Cabanis, qu'en leur attachant des s'ignes qui les représentent et les caractérisent on nej.es compare qu'en représentant et caractérisant également par des signes, ou' leurs rapports, ou leurs différences. Voilà ce qui a fait dire a Condillac .qu'on ne pense point sans le secours des langues, et que lesjangùes sont des méthodes analytiques. Pour que l'axiome; de 'Çondillae soit parfaitement juste, ce mot doit exprimer le systèmeméthodique-des signes par lesquels on fixe ses propres sensations. Sans signes il n'existe ni pensée, ni peut-être même, à proprement parler, de véritable sensation?. » Ce sont là pour Maine de Biran dés. àssertio_nsjnsoutenables avonsnous besoin d'autre chose- que de la différence des impressions pour juger que la couleur rouge n'est pasela couleur bleue ?; Condillac n'a point dit que l'on n'eût pas d'idée sans langage ou sans signes d'aucune sorte. Maine de Biran proteste donc vivement contre les thèses de Cabanis, et visant alors le fameux passage du second mémoire sur V Histoire physiologique des sensations dans lequel Cabanis déclare « que le cerveau digère en quelque sorte les impressions, qu'il fait. organiquement la secrétion de 'la pensée3 » « Aucun paradoxe, dit-il, ne peut étonner de la part -'de celui qui ose dire avec assurance qu'il faut considérer le cerveau comme un organe particulier destiné spécialement à prôduire la pensée, de même que l'estomac et les intestins à faire la digeslion,'le foie à filtrer la bile, etc. Ainsi Cabanis transforme une métaphore en une thèse physique: la pensée, une faculté, un être métaphysique, [est] comparée dans sa production par le cerveau aux aliments grossiers modifiés par l'action de l'estomac; le cerveau se fait des images de chaque impression particulière, y attache des^signes, les combine, les compare entre elles, en tire des jugements, des déterminations, par un mécanisme analogue,à celui de l'estomac qui, stimulé par les substances nutritives, les dissout et en assimile; les sucs à notre naturel 1 M. Cabanis a-t-il des idées bien jiettgf de ,ce singulier mécanisme du cerveau? On conçoit que ce viscère filtre un fluide particulier qui 1 Le titre de ce Mémoire est Considérations générales sur Vétude de l'homme, et sur les rapports de son organisation physique avec ses facultés intellectuelles et morales. (Mémoires de l'Institut national des sciences et, des ai'ts, Sciences morales et politiques, t. I, -p. 37 sq.).

2. -P ST R8 ̃–=- ̃ ̃

3. Mémoires de l'Institut national, Sciences- morales' et politiques,- 1. 1, p. 148.


sert on ne sait comment à entretenir la sensibilité physique; mais dire que le cerveau filtre des pensées, c'est bien la plus grande absurdité, la plus grande impropriété de langage qu'on puisse imaginer. »

Revenons à notre sujet. La question qui doit être posée avant tout est celle-ci L'esprit humain a-t-il reçu sa forme et ses facultés de la forme et de la nature du langage? Ou sont-ce les langues qui ont reçu leur forme de la nature originelle de l'entendement humain? On ne saurait contester que la portée du langage ne dépende du caractère de nos facultés. Si nous étions enfermés dans la connaissance des objets particuliers, les signes seraient simples comme nos perceptions et se borneraient à nous en faciliter le rappel. Mais parce que nous avons aussi le pouvoir d'abstraire et de comparer, nous avons un langage qui se compose de termes abstraits, capables de représenter des rapports. On dit que sans les signes d'institution il n'y aurait rien de volontaire dans les opérations de l'entendement; mais si la faculté de rappeler les mots est plus aisée que la faculté de rappeler les idées, cela ne prouve point que cette dernière ne soit pas la fin et que la première ne soit pas simplement le moyen; cela ne prouve point qu'il n'y ait pas là deux opérations distinctes, quoique ordinairement liées, et dont Tune, le rappel des mots, ne saurait être la cause suffisante de la seconde, le rappel des idées. Le principe sur lequel repose une grande partie de l'ouvrage de Condillac est bien loin d'être démontré. Si en effet, comme nous l'éprouvons, le principe pensant a la faculté de se modifier, pourquoi cette faculté serait-elle subordonnée à l'institution des signes abstraits? Le pouvoir qu'il a de se créer des signes prouve le pouvoir qu'il a de s'exercer indépendamment des signes. Des circonstances mêmes qui favorisent le développement des facultés on ne saurait conclure que ces circonstances sont tout, et que les facultés ne sont rien. S'il y a dans les opérations de l'entendement une action volontaire quelconque, ce que l'on se garde bien de nier, elle ne saurait être un simple effet du jeu des signes et des circonstances.

La conséquence enveloppée dans le système de Condillac, c'est Helvétius qui l'a tirée dans son livre de l'Esprit; et cette conséquence, c'est l'affirmation de l'égalité des esprits'. Du moment, en 1. Cabanis dans son premier Mémoire (Ibid., p. 63), combattait également cette affirmation, en reprochant à Helvétius d'avoir méconnu l'économie


effet, que l'art de penser :se réduit à l'art d'analyser et de faire un' bon usage des signes, il n'ya point d'idée," de quelque nature qu'elle1 soit, qui ne puisse être toise à la portée d'un esprit quelconque la marche de l'esprit est toujours-la même, et il n'y en a qu'une; le génie ne crée rien; l'inégalité des intelligences ne vient point de la nature, mais au contraire .du fait 'qu'on n'en Suit pas la marche, eu' abandonnant l'analyse, en se fiant-â dès notions confuses, en faisant un emploi vicieux du langage^ïïhbien malgré l'autorité de CoMiïïàc,' il faut reconnaître une inégalité naturelle dés intelligences; l'organe de la pensée, étant matériel, doit avoir, des1 dispositions originaires' essentiellement différentes selon les individus' toute idée ne peut entrer dans tout esprit. Les signes, certes, -sont d'un grand secours,; et sans eux il est impossible.de décomposer la pensée. 'Mais.la nais-t sance de la pensée, la force avec laquelle elle frappe l'entendement et le captive, la capacité qù'ellfe à de, conï'ëvoïr une foule de choses, tout cela est bien indépendant deTartifiCe dés signes, et c'est précisément dans la formation comme instantanée la pensée et pensées* d'un certain ordre, plutôt que dans leur développement analytique, que consiste la prééminence de certains esprits1. Condillac, rencontrant une vue nouvelle et juste, en exagéré laportée. Déjà, quand il veut prouver que les méthodes de raisonnement en métaphysique ne diffèrent pas des méthodes, de calcul en arithmétique et en algèbre, il oublie que l'esprit ne se laisse- pas entraîner en aveugle par la méthode, et approprie, successivement la méthode à ses divers objets. Surtout il oublie que, si même l'analyse et l'analogie des signes dirigent la marche dé l'esprit dans les sciences abstraites; elles ne gouvernent pas, tant s'en faut, l'esprit tout entier. L'enthousiasme, d'où viennent les chefs-d'ceuvre, n'est-il qu'une espèce d'analyse? Et Corneille ne fait-iLquë résoudre des problèmes, à la façon de Newton? "̃'

animale. Mais déjà auparavant, dans ses-notes de 1794-95, Maine de Biran dénonçait chez Helvétius l'erreur, singulière pour un matérialiste, qui consiste à expliquer la différence des esprits par une cause morale :comme l'éducation, sans rien donner à l'organisation.

1. Dans ses deux Mémoires sur l'Habitude, Maine de Biran critiquera l'extension donnée par Condillac à l'analyse,,de façon à l'entendre comme un instrument universel qui ferait raisonner l'esprit sans l'esprit; il défendra la méthode synthétique comme plus capable de suivre la li.ai.spn. et la génération naturelles des idées. Ed. Cousin, t. I, p. 275r2S9. Voir Victor Delbos, Les Deux Mémoires de Maine de Biran. sur l'Habitzide, Année philosophique, XXI8 année (1910), 1911, p. 164-166. ̃̃- '̃-+'


Maine de Biran se montre donc aussi opposé au mécanisme logique de la philosophie de Condillac qu'au mécanisme physique de certaines philosophies de la nature. Sous une forme encore très indéterminée, il réserve les droits de la force motrice interne, de la puissance originelle d'invention et de conception, du sens intérieur. Et c'est ce qu'atteste encore un curieux passage de ces fragments sur les signes, où il examine la question de savoir si la morale est susceptible de démonstration rigoureuse comme la géométrie. Locke, Condillac et d'autres « métaphysiciens » ont répondu affirmativement; ils ont prétendu que les idées complexes de morale, n'ayant point d'archétype qui existe dans la nature, mais étant formées d'idées simples réunies par l'esprit, et trouvant dans les signes l'unique lien de ces idées simples, permettent à partir d'elles, par le seul exercice de la pensée, un développement exact de conséquences; en raisonnant sur les signes complexes dont il a déterminé les éléments, le moraliste ne peut pas plus se tromper que le mathématicien'qui calcule avec des caractères dont il connaît la génération '.et les rapports invariables. Rien de plus insignifiant et rien de plus inutile, réplique Maine de Biran, que la morale ainsi réduite à un calcul. On rapproche les vérités morales des vérités mathématiques, soit; mais pareillement abstraites, elles n'auraient pas plus d'influence sur la conduite des hommes. « Eh! que nous importe la comparaison, l'analyse de ces signes arbitraires. La morale ne peut être une science abstraite, elle n'a pas pour objet seulement de convaincre l'esprit, mais surtout de parler à nos cœurs. Ses vérités sont moins l'objet du raisonnement que du sentiment. La connaissance des facultés de l'homme, voilà ses moyens, l'art de les diriger vers le bonheur ou la plus grande perfection des individus, voilà son but. Pour y parvenir, il ne s'agit point de former des collections d'idées et de partir des principes abstraits, pour parvenir à l'évidence, mais de connaître par voie d'expérience et d'observation ce qui peut influer plus puissamment sur le cœur humain, s'emparer de ses mouvements, et les diriger constamment au bien en lui créant des habitudes vertueuses, et développant, assurant son instinct moral que la corruption des sociétés tend à pervertir. Fondé sur cette considération je regarde la morale comme ayant beaucoup de rapports dans ses moyens avec la physique expérimentale, et point du tout avec la géométrie. L'expérience et l'observation doivent diriger le moraliste, comme le physicien. La


certitude que nous avons dans Tune; jojnmie dans l'autre de ces sciences, est une certitude-défaits plutôt que de principes, abstraction faite des principes religieux {qui sont l'unique sanction de la morale populaire, la meilleure de la morale pratique, mais qui n'entrent pas comme principes dans la morale scientifique) il est certain que nous n'avons que l'expérience et l'observation de- nousmêmes et des autres, pour connaître les 'devoirs, qu'il nous convient et qu'il est de notre intérêt ̃ de.rémplir, et l'emploi que nous pouvons faire avec plus de succès: de nos facultés pour nous rendre heureux-. L'expérience seule et non le raisojanement-ngus convainquent de la liaison de notre bonheuçavec celui ;des hpmmes^ avec qui nous vivons. Les désordres, les maux qu'entraînent les vices* la. nécessité indispensable de lajustice pour maintenir les sociétés, etc.. sont des vérités de fait, et rien moins que des. principes évidents par euxmêmes, qui puissent se déduire de la nature et essence de l'homme (inconnue comme celle de tous les êtres) de la même manière que l'égalité des rayons et les autres, propriétés du cercle se déduisent de sa notion abstraite dans laquelle èllessont enfermées. Les idées morales ne sont pas plus, ce me semble,- l'ouvrage de l'esprit que les idées générales des propriétés des corps. Elles ont été formées, il est vrai, par l'entendement etrevétues -de signes qui Représentent des idées très complexes;- mais -leur objet n'est- point abstrait comme celui des mathématiques; cet objet est l'homme, ses facultés, ses sentiments (ou leur direction) comme l'objet de la physique est la connaissance des corps 'et dejeursjpropriétés.' .Enfin la morale, comme la métaphysique, et. toutes Les sciences qui ont un objet réel et existant rentrent dans le domaine exclusif ;de l'homme, l'observation et l'expérience. Les philosophes de notre âge veulent tout soumettre à leur règles, à leur calcul,à,leur prétendue analyse; ils ne s'aperçoivent «pas que •traiter de ;la, même manière, par la même méthode, des objets d'une.nature absolument différente, c'est méconnaître l'étendue et Ja diversitédes fac.ultés de l'entendement ou de l'être sensitif, c'est i abuser d'une; partie de ces facultés pour laisser les autres sans exercice. Pour moi, je suis tellement disposé, que je ris de ceux qui prétendent- me démontrer avec- des mots l'immortalité de l'âme, l'existence, de: Dieu, la> beauté de la vertu, les charmes de la bienveillanceyetc. Combien j'ai- de grandes et douces pensées sur ces, objets (quand je me laisse entraîner à certaines rêveries, et que.je.suis d'ailleurs bien dispdsé),qui sont indé-


pendantes de signes, qu'il serait impossible de rendre, d'exprimer jamais par aucun mot oh! qu'alors les raisonnements de Condillac et autres sur l'influence du langage me paraissent pitoyables. II existe un sens intérieur qui raisonne très bien. On s'est moqué de Mallebranche, de Descartes; peut-être donne-t-on aujourd'hui dans l'extrême opposé. L'opinion de Condillac sur la nature des animaux n'est-elle pas une preuve de l'abus du raisonnement et un exemple de la manie de vouloir tout expliquer, tout rabaisser au niveau de nos courtes vues 1? »

Ces lignes sont de quelqu'un qui, en pensant à Locke et à Condillac, ne peut point ne pas se rappeler Rousseau, et qui, au surplus, a de la vie de l'esprit une conception trop intérieure pour ne pas la considérer comme foncièrement irréductible à des procédés abstraits de composition et de décomposition.

A coup sûr ces premières vues philosophiques de Maine de Biran, reproduites d'après des documents divers dont le rapprochement vient uniquement du fait qu'ils sont à notre portée, ne pourraient être présentées que par l'artifice le plus trompeur comme formant un ensemble homogène, comme constituant une première philosophie. Mais, en les retrouvant, nous pouvons du moins nous convaincre, contrairement à une opinion courante, que Maine de Biran n'a point commencé par être, qu'au reste il n'a jamais été un disciple strict de Condillac, qu'en acceptant le principe très général d'après lequel nos idées viennent des sens, il n'a point cru que l'élahoration des données sensibles fut réglée par une simple méthode logique sans intervention des facultés propres de l'esprit. Même quand il s'est trouvé pour la première fois en présence des idéologues, ce n'a pas été pour se donner à eux aveuglément, et nous avons vu qu'à l'égard de Cabanis son premier mouvement a été un 1. Dans les notes de 1794-9S, se trouve une critique assez détaillée de la théorie de Condillac sur la nature des animaux. Maine de Biran estime que réduire cette nature à des habitudes acquises, ce n'est pas pouvoir expliquer les mouvements si divers et si sûrs, les affections si précises et si fortes que l'on rencontre dans les différentes espèces animales. L'assurance de Condillac là-dessus est vraiment surprenante! Maine de Biran soutient déjà son dualisme il demande v admette au-dessous de l'âme raisonnable une âme sensid^iism? que l'on n'explique point par l'une ce qui appartient à l'autre. De ce dualisme on trouve d'autres expressions dans le Journal de cette époque.


mouvement de répulsion, D'autre, part, à l'occasion, il a manifesté, des tendances ou des idées qui resteront des dispositions ou des expressions essentielles de sa pensée. Non_ seulement il conçoit dès lors le problème capital qui fut l.esien, le problème de notre. pouvoir d'agir en face des impressions et des- penchants de notre vie affective; mais encore sa répugnance pour l'explication mécaniste du monde; son interprétation dualiste de la nature humaine; sa façon de distinguer de l'âme, substance ^l'identité, personnelle afin de la fonder uniquement sur la conscience; son opposition aux. théories qui éliminent de l'esprit tout pouvoir actif et toute faculté légitime de synthèse; jusqu'à cet -appel qu'il fait à la conviction intérieure et au sentiment pour que la vie mentale ne soit pas con-. fondue avec une simple œuvre, d^nalyse tout cela,, .c'est le Maine de Biran qui se trouvera ou se retrjp.uyera. plus tard, et qui par suite, ne pourra pas s'effacer entièrement pendant les années mêmes où il va paraître plus soumis à l'influence des idéologues.

VICTOR Delbos.


LA NATURE DE L'ESPACE ̃Ier article.

LES CONCEPTIONS EMPIRISTIQUES DE L'ESPACE

I. L'ESPACE CHEZ DESCARTES.

Nous ne rappellerons que pour mémoire la définition de ces mots empirisme et nativisme appliqués à la perception de l'espace ou d'une étendue. L'empirisme suppose qu'une étendue donnée, si petite qu'elle soit, est perçue successivement, et que la connaissance de la grandeur de l'étendue totale ne nous est donnée qu'après que cette étendue a été parcourue en entier, et par une synthèse des parties qu'opère l'esprit. Le nativisme soutient que dans notre représentation le tout est avant les parties, qu'il n'est donc pas la somme des parties mais leur principe, en ce sens que les parties sont en lui et non pas lui en elles. Il va de soi que ces deux conceptions de l'espace ne portent pas seulement sur la manière dont nous le percevons, mais aussi sur son être et sur sa nature, attendu que l'espace de notre perception et le véritable espace ne font qu'un. Il n'y a qu'une manière de concevoir nativistiquement l'espace, mais il y a bien des manières de le concevoir empiristiquement. On peut dire que chacun des philosophes empiristiques a sur l'espace sa conception propre.

Descartes parle très peu de l'espace, comme s'il l'ignorait; il ne paraît connaître que l'étendue, dont il fait la matière première créée par Dieu et la substance commune de tous les corps. D'ailleurs il ne limite pas l'étendue, ni ne la détermine qualitativement; il la solidifie seulement un peu, puisqu'il faut qu'on la perçoive, tout en lui conservant le caractère idéal, puisqu'elle doit rester parfaitement intelligible. Ces deux exigences de solidité et d'idéalité sont-elles conci-


liables ? Descartes ne paraît pas en douter puisqu'il n'examine même pas la question, d'ailleurs fondamentale dans son système, où le passage de l'idée à l'existence occupe une place importante. Il en faut au contraire douter beaucoup, à notre avis. La matière,.avant l'acte divin qui lui donne l'existence, se pénse^àla suite de cet acte elle se perçoit sans cesser de se penser. Descartes niera-t-il qu'elle se perçoive. Mais, si elle ne se. perçoit pas, comment sommes-nous informés de son existence, et,en.quoi cette existence consiste-t-elle du moment qu'elle demeure idéalité^ pure? Il faut donc, qu'elle sepense et qu'elle se perçoive tout à la fois. Mais cela se peut-il? du moins dans le système de Descartes, car dans celui d'Aristote cela se peut très bien grâce à la doctrine de 'la matière et de la forme. Une idée- pure, comme l'étendue, peut-elle, être objet de constatation par les sens;?, ,;La., nature peut-elle réaliser des idéalilés. Pourrait-on y trouver, par exemple, des triangles et des cercles? Descartes l'afnrMe;mais le contraire est évident. On dira que les triangles et -les, cercles réalisés sont tous, imparfaits. Mais un cercle imparfait n'est pas -un- cercle, parce, qu'il ne répond pas à la définition du cercle. -On peu t mettre l'idée dans la nature à titre deloi; maisUyinettre a titre.d'existence et de chose est une absurdité manifeste,; :qui pourtant tient une: place considérrable dans le cartésianisme.Descartes.a entrepris de se. passer de la sensibilité pour construire, rthéoriquement le monde, des phénormènes. Mais tenir de pareilles gageures, est impossible. La sensibilité s'impose, non pas comme résultat .d'une .relationnel choses à nous, mais comme élément, cpns|itutif, des. choses elles-mêmes; et alors que devient la/ doctrine /ie.rétendue à:a fois pure .idéalité et substance universelle. des .corps? 4; ̃. r ..s ̃. ̃ D'autres difficultés sont àlsignaler. Descartes parle beaucoup de l'étendue et presque pas de^ladjur^e, ni sdufc temps. Le.teinps a-t-il donc dans la constitution •îdej;pTdra;de;ia, nature en, général une importance moindre que f étendue ?.ELsi rétendue^sAla Substance des corps, le temps, idéal au même titre .et.tout aussi intelligible, si intimement mêlé d'ailleurs, au^drame de l'existence universelle, pourra-t-il être relégué au. second plan, et ne devra-t-il pas être considéré, lui aussi, comme étanUa substance de .quelque chose? Sans doute la dualité de substance. dans le monde des: corps est impossible; mais, justement, cette. -impossibilité du partage ne donne-t-elle pas à penser, qu'en attribuant la ,substantialité k


l'étendue le philosophe s'est engagé dans une mauvaise voie? L'analogie voudrait encore, puisque l'étendue est la substance des phénomènes corporels, que la pensée, qui lui est comparable et si semblable en raison de son opposition même, fût la substance des phénomènes intellectuels 1. Descartes ne songe pas à attribuer à la pensée un rôle pareil 2. On ne peut l'en blâmer assurément, mais il reste que, par ce côté encore, sa conception de l'étendue manque d'équilibre.

Quant au caractère empiristique de la conception cartésienne de l'espace, il est manifeste. Si l'étendue est, comme le veut Descartes, la substance des corps, elle est matière, et si elle est matière, elle est multiplicité pure et absolue; car la matière, dans son opposition à la pensée, et c'est par là seulement qu'elle peut se définir, est essentiellement multiplicité, tandis que la pensée est unité. Les anciens l'avaient bien compris. Leibniz le comprend non moins bien, et il insiste sur l'idée que la matière est « actuellement divisée et subdivisée à l'infini ». Du reste, le mécanisme cartésien est par luimême un principe de division et de dissolution sans fin ni terme. On a dit quelquefois que le mécanisme universel est la condition de l'unité de la nature. C'est une erreur; car l'unité que le mécanisme donne à la nature c'est celle de la loi mathématique par laquelle luimême est régi, et qui, par conséquent, se retrouve dans tous les phénomènes. Mais l'unité de la loi qui régit les phénomènes ne fait pas l'unité de la nature elle-même. C'est pourquoi Leibniz, voyant t la matière indéfiniment divisée et multiple en dépit du mécanisme, ou plutôt par l'effet du mécanisme même, cherche dans la finalité un principe de cohésion, et pour cela crée la monade. D'ailleurs, si l'empirisme de Descartes est évident quant à l'espace, il est plus plus évident encore, s'il se peut, quant au temps, dans sa théorie de la « création continuée », où il refuse à la nature le pouvoir de subsister par elle-même seulement deux instants consécutifs; car il 1. C'est ce qu'a bien vu Spinosa qui rétablit le parallélisme en mettant entre nos faits de conscience et la pensée en général le même rapport qu'entre les corps et l'étendue en général. Il est vrai que chez Spinosa l'étendue et la pensée sont, non pas des substances, mais des attributs de la Substance unique et universelle. Mais peu importe ici. L'étendue et la pensée, dans le cartésianisme, doivent avoir même fortune si la première est substance, il faut que la seconde le soit également.

2. Il l'attribuerait plutôt à l'àme comme chose qui pense » mais la chose qui pense et la pensée ne sont pas la même chose, surtout chez Descartes, quoi qu'on en ait dit.


est impossible de dire avec 'plus de .clarté que la durée de chaque existence se crée par morceaux, e^par morceaux infinitésimaux. II: L'espace' Newton.

Newton considère l'espace comine une capacité sans limites, subsistante en soi ou plutôt en Dieu, réceptacle^ de tous les corps, mais ayant son être indépendamment d'eux. Leibniz, dans. sa correspondance avec Clarke, a réfuté cette doctrines s'appuyant, pr,esque exclusivement sur le principe de la «raison-suffisante », La réfuta- tion est bonne; mais, si l'on veut, .passer du point de vue emp.ns,tique, qui est celui de Leibniz, au point de vue natiyistique, on y peut ajouter plusieurs choses utiles, non pas pour prouver définilt vement que Newton se trompe, car nul n!en peut douter, mais pour éclairer certains aspects duproblème de l'espace que les philosophes ont trop souvent, laissés dans l'ombre..

Newton est empiriste; non pas qu'il affirme la division infinie actuelle de l'espace telle que l'empirisme le comporte; car il la nie au contraire, et soutient que « l'espace.infini est essentiellement et absolument indivisible et c'est une contradiction dans les.termes. que de supposer qu'il soit.diyisé,, car il faudrait qu'il y eût un espace entre les parties que l'on .suppose divisées, ce qui est supposer que l'espace est divisé;et. non divisé en même temps », Mais, après avoir affirmé ains.Uué l'espace n'a point de parties, contraint de s'expliquer .a ce sujet^Clarke, son porte-parole déclare que « les parties, dans le-sens. que l'on donne à..cemot. lorsqu'on l'applique aux corps sont séparables, désunies, indépendantes les unes des autres et capables de mouvement. Mais. comme dans l'espace infini. les parties, improprement ainsi dites, sont essentiellement immobileset inséparables les unes des autres,- il s'ensuit que cet espace est essentiellement simple et absolument indivisible»- » Or il est évident au, contraire que L'immobilité et l'inséparabilité des parties n'empêchent pas les parties d'exister. Il y a des parties partout où il y a de la-multiplicité, et l'espace est, du moins par son côté empirique, incontestablement multiple. Pourtant la raison que donne Clarke en faveur de l'indivisibilité de l'espace n'est 1. réplique rie Clarke,. 3.

2. 4" réplique, 12. ̃


pas tout à fait dépourvue de valeur. Il est certain qu'il y a de l'unité dans ce dont les parties sont inséparables, et ceci est déjà une condamnation suffisante de 'l'empirisme. Mais condamner l'empirisme n'est rien si l'on ne sait pas en sortir. Clarke n'en sort pas. II se fait de l'espace une conception contradictoire, et il s'y tient avec assurance. Son espace est à la fois empiriquement multiple en tant qu'il a des parties, et empiriquement un en tant que ses parties sont inséparables. Mais l'unité et la multiplicité sont deux contraires qui ne peuvent pas coexister dans le même objet et de la même manière. Que tout ce qui est soit à la fois un et multiple, on ne peut le contester, mais c'est à des points de vue différents. La caractéristique de l'empirisme c'est justement de vouloir faire de l'un avec du multiple et, par conséquent, de tenir l'un et le multiple pour homogènes l'un à l'autre. Nous avons montré ailleurs que c'est là une prétention insoutenable. Newton et Clarke ne parlent pas de donner même nature à l'un et au multiple; ils se contentent de les poser l'un en face de l'autre sans se demander ce que peuvent être leurs rapports. II est évident que, dans ces conditions, il est impossible qu'ils aient de l'espace une conception satisfaisante. Sans doute l'opposition de l'un et du multiple ne les avait pas frappés beaucoup; mais Clarke note que les parties de l'espace sont inséparables, et il en conclut avec raison que l'espace est indivisible. Or, en fait, cet indivisible se divise. Sous cette forme au moins l'antimomie de l'un et du multiple devait lui apparaître. Comment se fait-il qu'il ne l'ait pas aperçue? F

Sa clairvoyance est en défaut sur d'autres points encore. Il conçoit le monde matériel comme un tout fini au sein de l'espace infini, lequel est vide par conséquent dans celles de ses parties où il n'y a point de matière. Or il est clair que le vide absolu c'est l'indétermination absolue. Cependant entre les parties de cet espace parfaitement indéterminé, Newton reconnaît des différences et des oppositions telles que celles du droit et du gauche, du haut et du bas, de l'avant et de l'arrière; et Clarke soutient contre Leibniz, et contre toute raison, que Dieu a placé le monde dans telle région de l'espace, mais qu'il eût pu le placer dans une région différente. Que l'espace, en effet, soit différencié dans toutes ses parties, ce n'est pas nous qui le nierons, et même nous pensons pouvoir montrer bientôt comment il peut l'être; mais ce n'est que dans le nativisme que des différenciations dans l'espace peuvent se comprendre. Chez Newton


les parties de l'espace ne différent les unes des autres que par les positions qu'elles occupent en lui. Mais comment peut-on dire- que deux parties de l'espace s'opposent par leurs situations alors qu'en elles-mêmes elles sont indiscernables? Pour s'opposer il faut être deux, et pour être deux il faut n'itre pas le même. intrinsèquement. Il faut même différer radicalement: et à, tous égards, puisque, si l'on ne différait qu'en partie, On serait deuxjar l'on diffère, un par où l'on est le même, ce qui est absurde. Le vide absolu et la différence des lieux que Newton .jigsocie dans sa conception de l'espace sont donc en réalité; incompatibles. ̃ Une première conséquence démette indétermination absolue de l'espace c'est que le mouvement; y sera impossible, parce' que tout mouvement implique une direction, et qu'il ne peut y avoir de directions dans un espace supposé indéterminé. Dira-t-on que, si la direction d'un mouvement ne; peut pas se déterminer par rapport à l'espace lui-même, toutpur et parfaitement vide, puisqu'un tel espace n'admet point de régions qui soientdistinguables les unes des autres, elle peut se déterminer par rapport aux directions de mouvements différents? Mais cette solution est encore inacceptable. Considérons en effet dans l'espace deux. mouvements seulement, et faisons-y par la pensée le vide absolu pour touUe reste. On ne peut pas dire que ces deux mouvements .se déterminent l'un l'autre en direction, car, pour déterminer autre chose, il faut être soi-même quelque chose, et l'être indépendamment de ce qu'on détermine; Si un. terme A n'est que par un terme B, il est impossible que A engendre B, car il faudrait pour cela que, Blleût auparavant engendré lui-même. Et il ne servirait à rien d'alléguer, que Vàuparavant ici n'a pas de sens, les deux termes A et B, pouvant être donnés simultanément; car, à défaut d'antériorité chronologique, il. y a toujours une antériorité logique de ce qui engendre à l'égard de ce qui est engendré; de sorte que, dans la supposition faite jçi,. chacun des deux termes A et B devrait être considéré comme, logiquement au moins, antérieur à l'autre, ce qukest absurde. Au lieu de deux mouvements prenons-en trois, quatre, un nombre quelconque, ce nombre fût-il indéfiniment croissant, :ce sera toujours la même chose. Par conséquent, supposer l'espace donné antérieurement, ne fût-ce que d'une antériorité logique, aux 'phénomènes qui nous apparaissent comme se déployant dans son. sein, c'est ^mettre dans l'impossibilité de comprendre comment se produit la direction d'un mouve-


ment quelconque, et par suite l'existence de ce mouvement luimême.

Bien d'autres difficultés encore sont à signaler. Les corps, selon Newton et Clarke, baignent dans l'espace qui les contient. Leur théorie de l'espace impose cette conception, mais en même temps elle la rend inintelligible. Dira-t-on qu'un corps baigne dans la partie de l'espace qu'il occupe? Ce serait dire qu'il baigne dans son étendue propre, ce qui n'a aucun sens. Dira-t-on qu'il baigne dans tout le reste qu'il n'occupe pas? C'est impossible, car un corps ne baigne que là où il est, et dans toute la portion de l'espace qu'il n'occupe pas le corps n'est pas. Newton ne prend pas garde à la difficulté que cependant Héraclite avait signalée vingt siècles avant lui en disant « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve » à quoi il faut ajouter qu'on ne se baigne pas même une seule fois, attendu qu'il n'y a pas de fleuve du tout, le fleuve n'étant fleuve qu'à la condition d'être un, et le fleuve n'étant pas un puisque tout est multiple. Telle est la vraie logique de l'empirisme, reconnue par les anciens, rejetée par les modernes parce que sophistique, disent ceux-ci, en réalité parce que trop embarrassante pour des gens à qui manquent la droiture et le courage intellectuels. Il faut le fleuve pour qu'on s'y baigne, et, si le fleuve existe, on pourra s'y baigner réellement autant de fois qu'on voudra. Il faut l'espace pour que les corps y prennent place, et dans l'empirisme l'espace disparaît comme le fleuve lui-même. Comment donc l'un et l'autre se retrouveront-ils? Zénon posait le même problème, en réalité dans ses quatre arguments, mais surtout dans la Flèche. Un corps, disait-il, ne peut se mouvoir que dans un espace plus grand que lui-même or l'espace qu'un corps occupe ne peut être plus grand que lui. C'est exactement la pensée d'Héraclite. Mais Héraclite se trompe, et Zénon avec lui. Il est très vrai qu'un corps ne peut se mouvoir que dans un intervalle plus grand que lui-même; mais c'est bien dans un intervalle plus grand que lui-méme qu'un corps se meut; et, cet intervalle, il l'occupe tout entier en tant qu'il se meut, parce que, s'il n'en occupait qu'une partie, cette partie serait nécessairement réduite à ses dimensions propres, et que dans un intervalle qui n'est que celui de ses dimensions propres un corps ne peut se mouvoir. De même un corps immobile n'est dans l'espace universel qu'à la condition de l'occuper entièrement d'une certaine façon, attendu que, s'il n'en occupe qu'une partie, il est dans cette


partie et non dans l'espace. Mais pour que l'intervalle puisse être occupé tout entier par le corps en mouvement il faut qu'il soit un et indivisible; pour que l'espace universel puisse être occupé en totalité par le corps immobile, iL faut de même qu'il soit un et indivisible; car s'il comportait des divisions, comme ces divisions nécessairement iraient a- l'infini,, le corps ne pourrait les totaliser pour lui-même, ni par conséquent. occuper 'l'espace tout entier. Ainsi un corps, en tant qu'il est dans ï espace,– non autrement, est adéquat à l'espace total. Et que l'on ne dise pas que cette occupation de l'espace total par tous. les corps la fois est impossible parce que la loi d'impénétrabilité s'y oppose. En eux-mêmes, dans la complexité de leur nature à la fois une, et multiple, les corps sont en effet impénétrables les unsiaux. autres; mais ce n'est pas ainsi que nous avons à les considérer maintenant. Si chacun d'eux est adéquat à l'espace total, cen'estpas en tant que chacun d'eux est un et multiple à la fois, mais uniquement en tant qu'il est un;: car chacun d'eux, en tant qu'ilest un, est Mée pure, et l'espace aussi, dans son unité, est idée pure; et, si les corps ne se pénètrent pas, les idées pures se pénètrent très bien, parce que c'est la multiplicité seule qui donne lieu à l'ajititypie. Ainsi les corps peuvent être dans l'espace à la condition qu'ils soient uns et que l'espace soit un également. C'est du reste uniquement en tant qu'uns qu'ils appartiennent à l'espace, ou que Fespace leur appartient, car l'un est aussi vrai que l'autre. Mais, comme leur unité leur est essentielle, comme elle est leur être même envisagé sous un certain aspect, on peut dire qu'ils sont dans l'espace, non pas en un certain sens ni jusqu'à un .certain point, mais réellement et absolument. Et, parce que l'espace de son côté est un en même temps qu'il est multiple, on peut dire que ce qui est dans l'espace est dans tout l'espace, bien qu'il soit localisé en quelqu'une de ses parties. De même le mouvement n'est possible qu'à la condition que ce qui se meut occupe entièrement,, mais idéalement, l'intervalle où il se meut, ce qui suppose l'unité de ce mouvement et l'unité de l'inter-' valle où il se produit. C'est ainsi que les faits les plus patents et les plus simples demeurent, incompréhensibles à qui- repousse les idées, parce que les idées jouent un rôle considérable dans la structure des faits eux-mêmes. On peut et l'on doit s'abstenir de métaphysique tant que l'on ne cherche qu'à établir les rapports des phénomènes c'est ce que fait la science. Mais si l'on ne se contente


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pas de prendre les phénomènes comme des données brutes qu'il faut accepter sans les comprendre, si l'on pense que ce qui est ne peut manquer d'être rationnel en soi, le recours à la métaphysique est indispensable.

Enfin on demandera comment, identifiant l'espace au vide pur et simple sous des dimensions infinies t, Newton et Clarke peuvent le concevoir, car c'est bien le moins que l'on conçoive ce que l'on affirme. Quand il s'agit du vide fini on peut avoir l'illusion d'une conception effective, parce que pour un tel vide il y a des parois qui permettent de se représenter quelque chose; mais dans l'espace infini qui n'a point de parois qu'y a-t-il où l'imagination puisse se prendre? Pourtant il est sûr que l'on ne conçoit rien sans imaginer.

On demandera encore comment peuvent se comprendre les rapports de l'espace newtonien avec les étendues des corps qui prennent place en lui. Faut-il ne voir dans l'une de ces étendues qu'une portion de l'espace lui-même? C'est impossible, car les corps se déplacent, et dans leur mouvement ils emportent avec eux leur étendue, ce qui suppose que celle-ci', tout en étant dans l'espace, subsiste indépendamment de lui. Du reste, si l'espace constituait les corps quant à leurs étendues, il faudrait lui attribuer un caractère dynamique tout à fait contraire à la conception purement statique que s'en fait Newton; ou plutôt il faudrait le considérer comme statique et dynamique à la fois, dynamique dans celle de ses parties qu'occupe le monde des corps, statique dans tout le reste, puisque hors du monde des corps il n'y a point pour lui d'action à exercer, et qu'un dynamisme qui n'agit pas, n'est pas un dynamisme. A cela on peut ajouter que, si l'espace fait l'étendue des corps, il ne fait pas leur matière, et que cette matière a une autre nature et une autre origine. Mais alors l'étendue n'est donc pas constitutive de la matière elle-même? La matière peut se concevoir inétendue? Pour toutes ces raisons, il faut renoncer à l'idée que l'étendue d'un corps ne soit rien de plus que la portion d'espace qu'il occupe les corps auront leur étendue propre, et cette étendue sera dans l'espace. Mais comment ne pas voir ce qu'il 1. Clarke dit (4° Réplique, 9) « que l'espace est sans corps mais que cependant il y a en lui quelque chose car Dieu y est présent» On conviendra que c'est une singulière façon de remplir le vide de l'espace que d'y mettre la présence de Dieu.


y a d'absurde dans ce dualisme de l'espacé et des étendues? D'abord, quel besoin les corps, étendus enwtu^une loi de leur nature propre,.ont-ils d'un espace extérieur à eu^et subsistant en Dieu, comme le dit Clarke, pour les contenir? Ils se. rapprocheront; leurs étendues en se juxtaposant ne suffiront-elles pas à former l'espace? Si cependant on tient iElBË»^ dans un, espace différent d'elles, comment les y introduirai Mettre de l'étendue pleine et limitée dans de l'étendue -nd^tjnfinie, cela a-t-il un sens- et n'est-il pas évident que ^ceux qui l'entendent ainsi sont dupes de leur imagination, se fon^n^ur ceque-l'on peut remplir de matières solides ou liquides un yase. dit vide parce qu'il ne contient que de l'air, pour penser qu'on peut verser de même dans le vide universel et absolu? Le sens commun n'hésite pas à mettre l'espace avant les corps, 'en dehors d'eux, et a. le prolonger au delà de la région qu'ils occupent; à mettre le temps avant et après les événements comme une sorte ,.dejit dan^ lequel coule et. passe le torrent qu'ils forment; mais la raison dit que l'espace et les corps, le temps et les événements n'ont point d'être à part les uns des autres et sont rigoureusement coexteosifs.

La conception newtonienne de, l'espace laisse, on le voit, beaucoup à désirer. Cette conception .pourtant .est inévitable dans l'empirisme. Ceux même des empiristes.qui la condamnent y sont ramenés par la force des choses, Leibniz la combat avec une certaine vivacité de ton y retombe; Kant de même, ainsi que nous l'allons voir, et de même encore tous ceux qui, depuis une cinquantaine d'années, ont traité dé l'espace sans parvenir à se dégager du préjugé empiristique. Il y aura lieu de montrer plus tard comment on y peut échapper.

III. L'ESPACE CHEZ LEIBNIZ.

La doctrine de Newtpn;relatiyement àJ'espace peut se résumer dans les trois propositions suivantes

L'espace est vide et infini ̃?, il e§t le contenant du monde des corps, lequel est fini, et ce monde le fait plein dans une certaine partie de lui-même. i -t- r 9. L'espace est différencié dé par sa nature propre en toutes ses parties, c'est-à-dire qu'il y a en lui du haut et du bas, du droit et


du gauche, de l'avant et de l'arrière, des directions, des distances plus ou moins grandes de partie à partie, etc.

3° L'espace est le sensorium de Dieu, c'est-à-dire que c'est par l'espace que Dieu est présent au monde.

Leibniz rejette ces trois thèses.. L'espace, d'après, lui n'est pas vide on ne peut là-dessus que lui donner raison. Malheureusement, il ajoute, ou du moins toutes les considérations qu'il expose impliquent la thèse contraire l'espace est plein. H eût mieux fait de s'en tenir à la contradictoire; car la logique nous apprend que deux propositions contraires peuvent être fausses ensemble, et c'est ici le cas, croyons-nous. Poser le vide et le plein en opposition l'un avec l'autre, et mettre les gens en demeure de choisir entre ces deux termes, c'est avoir dans l'esprit que le vide est où il n'y a. rien, le plein, où il y a quelque chose. Mais ce il n'y a rien, suivant Newton, il y quelque chose, suivant Leibniz, est une chose, car dans ce qui n'est pas une chose il n'y a pas lieu de dire qu'il n'y a rien; et c'est une chose qui a sa réalité en soi sans être remplie, ou indépendamment de ce qui la remplit. Une chose qui se caractérise par la propriété d'être vide ou pleine est une capacité. Celle dont il s'agit en ce moment est ce que l'on nomme l'espace. Voici donc Leibniz et Newton d'accord, implicitement au moins, sur cette proposition qui peut être fausse, qui l'est, mais qui est au fond de toutes leurs discussions sur le plein et le vide, qui peutêtre même en est la base, que l'espace est une capacité infinie qui reçoit des corps, en quantité limitée selon celui qui admet le vide, illimitée selon celui qui le rejette.

Leur accord va plus loin, et jusqu'à l'identité. Ce qui les oppose l'un à l'autre c'est, sans parler du rapport de l'espace à la nature divine, que pour Newton l'espace est à la fois vide et déterminé par lui-même, tandis que pour Leibniz il est plein, mais indéterminé par lui-même et déterminé seulement par les corps qui le remplissent. En fait, une discussion de ce genre est sans fondement aucun, car les deux thèses ainsi opposées sont également et corrélativement contradictoires elles-mêmes. L'espace de Newton ne peut être déterminé du moment qu'il est vide; celui de Leibniz ne peut être que vide du moment qu'il est indéterminé. Le vide et l'indétermination s'impliquent, ou plutôt c'est la même chose sous deux noms différents. Le vide c'est la forme spatiale du néant; l'indétermination c'est le néant lui-même, car pour qu'on'ne puisse absolument rien


dire d'une chose il faut que cette chose ne soit absolument rien. Que nos deux auteurs' se mettent donc d'accord chacun avec soimême ils seront ensuite d'accord entre eux.

L'antécédence logique, ou, si l'on veut, l'indépendance quant à son être, de l'espace à" l'égard des corps, est incontestable, et d'ailleurs formellement reconnue chez Newton. En ce qui concerne Leibniz on pourrait être tenté davantage d'en douter. Elle s'accuse cependant chez lui avec force de plusieurs manières, et d'abord dans le fait qu'il distingue, qu'il oppose même l'espace et l'étendue des corps. Pour que l'espace n'eûtpoint d'être en dehors des corps, il faudrait qu'il fût l'étoffe dans laquelle Fétendue des corps est découpée; autrement il sera toujours pour les corps un réceptacle. Cette condition nécessaire est du reste suffisante; car il serait incompréhensible que l'étoffe dont l'espace, est fait servit pour partie à constituer les corps quant a leur étendue, et pour le reste, à ne rien constituer du tout. Nous trouverions, donc parla dans J'espace, non pas le plein, mais l'absence de -vide,, Leibniz est fort éloigné de l'entendre ainsi « II paraît, dit-il, qu'on [Clarke] confond l'immeñ site ou l'étendue des choses avec l'espacé selon lequel cette étendue est prise. L'étendue infinie n'est pas ^immensité, de Dieu; l'espace fini n'est pas l'étendue des corps (en totalité) La raison de cette opposition de nature entre l'espace" et l'étendue_c'est que, « si l'espace occupé par un corps est l'étendue de ce corps, c'est chose absurde, puisqu'un corps peut changer d'espace mais qu'il ne peut point quitter son étendue ». Il est impossible.de dire .plus clairement que l'espace ou la place, et l'étendue d'un corps sont détachables l'un de l'autre. Dès lors on demandera, où est la- différence entre l'espace de Leibniz et celui de Newton.

La différence, répondra Leibniz, c'est que chez- Newton toutes les situations de l'espace sont indifférenciées les unes à l'égard des autres, quoique Newton prétende le contraire, tandis que chez moi la différenciation est réelle, et donnée à chaque partie de l'espace par le corps qui l'occuper Mais cette différenciation de l'espace par son contenu est impossible pour plus "d'une raison.

1. 5e écrit, 46.

2. Ibid., 39. ̃-̃

3. « Les parties de l'espace sont déterminées et distinguées par les choses qui y sont. Mais l'espace pris sans les choses n'est rien de, déterminant, et même il n'est rien d'actuel. » (5° écrifi 67). ̃ 'F


D'abord les places sont déterminées dans l'espace les unes par les autres, puisqu'elles sont corrélatives entre elles, et que même elles ne sont que corrélations. Leibniz ne contestera pas ce point, lui qui veut les places et l'espace total purement idéaux. Alors que sert-il de faire intervenir les corps pour les déterminer?

De plus, le contenu d'une partie de l'espace variera nécessairement puisque les corps se déplacent. Si ce contenu détermine comme place la partie qu'il occupe, la place variera avec lui. Or une place est invariable par essence; car une place qui n'est pas la même place n'est pas une. place. Les choses peuvent changer de place, mais les places ne changent pas, et c'est la condition pour qu'on puisse dire que les choses changent de place. Voici donc l'essentiellement mobile, car telle est chez Leibniz la condition des corps, déterminant l'essentiellement immobile. Et voici les corps, qui ne sont en soi que des groupements de qualités sensibles sans rien de spatial, puisque Leibniz tient pour hétérogènes l'espace et l'étendue, apportant à l'espace des différences d'ordre évidemment spatial. A quoi l'on peut 'ajouter que, si l'espace n'a pas de détermination avant que les corps lui en apportent, il n'en aura jamais, parce qu'un espace constitué indépendamment des corps, comme Leibniz le suppose, n'a rien à recevoir des corps pour compléter sa nature qui n'a pas besoin d'être complétée. Donc l'espace, indéterminé avant les corps, demeure indéterminé après. Les corps viennent trop tard; et leur présence n'est pour l'espace qu'un accident qui ne modifie pas plus sa nature que le fait d'avoir endossé un vêtement noir ou un vêtement gris ne modifie le caractère d'un homme. Mais, dira-t-on, l'espace indéterminé n'est rien. Sans doute, et c'est une raison de plus pour que les corps soient impuissants à le déterminer; car on peut déterminer ce qui est, non ce qui n'est pas.

Ainsi il est inutile de compter sur les corps occupant les places pour déterminer ces places et l'espace avec elles. L'espace, par conséquent, n'est pas seulement pareil chez Leibniz et chez Newton, il est le même, puisque deux indéterminés absolus, à supposer qu'ils soient quelque chose, sont identiques. Dès lors toutes les objections que Leibniz oppose à Clarke, et celles que nous y avons ajoutées, vont retomber sur Leibniz lui-même. Son argument tiré de l'impossibilité des indiscernables, argument excellent d'ailleurs, est le premier à se retourner contre lui. Il n'admet pas que Newton mette


l'espace avant les choses. « L'uniformité de l'espace, dit-il; fait qu'il n'y a aucune raison, ni interne ni externe, pour en discerner les parties et pour y choisir. Car cette-raison externe de discerner ne' saurait être fondée que dans l'interne; autrement c'est choisir sans discerner » Quant à lui, il met l'espace après les choses. Mais l'espace après les choses, tel du moins qu'il le conçoit,, n'est pas moins indéterminé que l'espace avant les "choses; et si dans celui-ci il y a impossibilité de choisir pour assigner des places, dans celui-là il est impossible de discerner les unes des autres les places assignées. Clarke avait dit que « si le monde a une étendue bornée il peut être mis en mouvement par la puissance de Dieu (au sein de l'espace infini 2) ». Leibniz repousse l'idée qu' un univers matériel fini pourrait se promener dans l'espace 8, parce que ce serait, dit-il, agendo nihil agere »..Mais peut-il nier que les corps s'y promènent et quand il dit que « les choses en gardant leur étendue ne gardent pas leur espace », cela ne revient-il pas à dire que les corps promènent leurs étendues en des lieux différents?

11 est vrai que le mouvement d'un corps peut se déterminer par son changement de relations avec d^autre.s corps, si ces derniers sont supposés immobiles, et même s'ils ne le. sont pas, ce qui n'est pas possible pour l'univers total, fût-il fini. Mais alléguer cette raison c'est déplacer la question, non résoudre la difficulté; car, si l'univers total ne peut se mouvoir dans l'espace, comment se fait-il que les corps le puissent, puisque la possibilité du mouvement de chaque corps pris à part entraîne évidemment celle du mouvement de l'univers total? Leibniz à cela répondrait peut-être que dans la pensée de Clarke l'univers est fini tandis que dans la sienne il est infini, et que d'est de son point de vue, non de celui de Clarke, qu'il faut raisonner. Mais peu importe ici que l'espace soit fini ou infini. Leibniz conçoit l'espace comme indifférencié, du moins en luimême. Cela suffit, comme il le dit, parlant de l'univers total, pour y rendre le mouvement impossible, aussi bien celui des .corps que celui de l'univers.. .nu

C'est que, si l'espace newtonien est vide, l'espace leibnizien l'est tout autant. « L'espace, dit Leibniz, n'est autre chose qu'un ordre ou rapport, et n'est rien du tout sans les corps que la possibilité d'en 1.4° écrit, 18.̃•̃

2. 4' réplique, 13.

3. 5° écrit, 52. ̃ ̃_•" ̃


meure. 1 Mais alors l'espace c'est le vide, car quelle est la chose qu'on peut qualifier de « possibilité de mettre des corps », sinon le vide relatif ou absolu? Et c'est aussi une capacité, exactement comme chez Clarke. Dira-t-on que l'expression là a trahi la pensée de Leibniz? Mais pas du tout. Leibniz reconnaît que les corps se meuvent dans l'espace; c'est donc que l'espace les contient. Quant à dire qu'un système de rapports peut constituer une possibilité de mettre des corps, c'est une proposition à laquelle il est impossible d'attacher un sens quelconque. Un rapport est une idée générale et abstraite. Qu'un système de telles idées puisse contenir la raison de l'existence positive d'un corps, et surtout lui servir de cadre et de réceptacle, c'est une pensée qui ne peut assurément venir à l'esprit de personne. La définition que Leibniz donne de l'espace nous ramène donc au vide. Sans doute il y a un vide que la doctrine de Leibniz exclut réellement; c'est celui des atomistes, l'absence de corps entre des corps. Mais le vide n'est pas seulement où les corps manquent, il peut encore se retrouver dans le plein absolu. Du moment où l'on fait de l'espace autre chose que l'étendue même des corps l'espace prend nécessairement le caractère du vide, car en lui les corps se meuvent, et, considéré, à part d'eux, ce qui est toujours permis, ou bien l'esprit n'a plus droit à l'abstraction, c'est un contenant, et un contenant vide. Peu importe que l'espace soit toujours occupé dans toutes ses parties. Il est vide par essence et plein par accident, sans qu'il y ait en cela aucune contradiction, attendu qu'il reste vide alors même qu'il est complètement rempli. Le vide des atomistes a, dans ce cas, disparu; mais le vide essentiel subsiste. Ceux qui discutent la question du plein et du vide ont toujours en vue le vide des atomistes; et, quelque parti qu'ils prennent au sujet de ce dernier, ils admettent toujours, implicitement au moins, le vide essentiel; parce qu'il faut nécessairement supposer celui-ci pour avoir à se demander s'il est rempli ou non. Tel est le cas de Leibniz opposant au vide de la thèse newtonienne le plein de la sienne. Newton est vacuiste deux fois en ce qu'au vide essentiel de l'espace contenant il ajoute le vide accidentel résultant de l'absence de corps. Leibniz ne l'est qu'une fois, puisqu'il s'en tient au vide essentiel, mais ç'en est assez pour que sa doctrine soit condamnable, même à ses propres yeux.

1. 3° écrit, 5.


L'espace newtonien et l'espace leibnizien se ressemblent, on le voit, comme deux frères. Il y a pourtant entre eux une différence que Leibniz juge capitale et qui doit tout sauver, c'est que le premier est réel, et le second, idéal. Nous croyons, aùcontraire, qu'il n'y a là qu'une illusion.

On dira que l'espace leibnizien ne saurait être vide s'il n'existe pas et s'il est une idée. Il semble, en effet, que le reproche de vacuité ne puisse tomber que sur un espace existant une idée n'est ni pleine ni vide. Sans doute il serait absurde d'attribuer à un espace idéal ce que nous avons ;appelé le vide accidentel; mais le vide essentiel, en lui-même et partout, même chez.les philosophes qui comme Newton réalisent l'espace, est une idée non une chose; Une boîte est pleine de .cailloux je. dis qu^lje est vide, non pas seulement dans les interstices .qu'il y a entre les cailloux, car ces interstices sont pleins d'air; non pas-dans les interstices qui existent entre les molécules deTair, lesquels peuvent encore être remplis; non pas même dans les interstices.,derniers décidément il n'y aurait rien, mais dans son contenu tout entier y compris les cailloux et l'air. Car le fait qu'il y a en cette boite de l'air et des cailloux ne change pas sa nature; et si tout ce qu'il y a de plein en elle est la plénitude de quelque chose qui n'est pas elle-même, il ne,reste pour elle que le vide absolu. S.eulemeaLcs vide est idéal, non pas assurément à la manière dès idées .de: Platon, mais comme toutes les conceptions limites auxquelles: donne_ lieu pour -l'esprit le besoin d'achever une expérience inachevable. Si donc on vient dire que le vide essentiel de l'espace leibnizien_est d'une autre nature que celui de l'espace newtonien parce que celui-ci est réel tandis que l'autre est idéal, il sera facile de répondre qu'ils sont aussi idéaux, l'un que l'autre, attendu que ce que nous venons de dire de la boîte de cailloux s'applique parfaitement à l'espace de Newton. Par conséquent, idéaliser le vide de l'espace leibnizien ne. sert à rien et.ne change rien à la nature des choses, Une fois.de plus Newton et Leibniz se rejoignent, tout en proclamant, l'un l'espace réel, l'autre l'espace idéal.

Du reste, comment pourrait-on croire que, l'espace newtonien soit purement existant, pas du tout idéal; l'espace leibnizien purement idéal, pas du tout existant? L'homme est à la fois sensibilité et intelligence, et il n'est pas double. Il est donc impossible qu'il perçoive avec ses sens sans que sa pensée intervienne, ou qu'il


pense sans se représenter rien. Tout ce qu'il pense est par conséquent sensible en même temps qu'idéal, tout ce qu'il perçoit, idéal en même temps que sensible; et ce qu'il pense et perçoit c'est ce qui est. Les idées donc ne vivent pas en marge de l'existence elles pénètrent l'existence et elles en sont pénétrées. Tout idéal est un idéal-réel, tout réel, un réel-idéal. Dès lors c'est dire peu de chose que d'opposer l'idéalité de l'espace leibnizien à la réalité de l'espace newtonien. Et ce peu pourrait bien n'être pas à l'avantage de Leibniz. Chez les deux auteurs l'espace sert de carrière aux mouvements des corps, et, par conséquent, de réceptacle à ces mêmes corps c'est une nécessité à laquelle on n'échappe pas. Pour remplir cet office mieux vaut encore, ce semble, un espace qui existe qu'un espace qui n'existe pas. Un mouvement réel se produisant dans un espace réel mais vide est une absurdité. Un mouvement réel se produisant dans un espace également vide mais idéal, idéal ici voulant dire imaginaire, a toute l'absurdité du précédent, à laquelle il ajoute quelque chose qui ressemble un peu au ridicule de la chimœra bombinans.

L'idéal et le réel sont inséparables, mais Leibniz, qui s'inspire de Descartes beaucoup plus que d'Aristote, ne l'entend pas ainsi. Quand il dit que l'espace est idéal, il parle d'une idéalité pure. Cela peut-il se comprendre? Idéal, un espace dans lequel les corps se meuvent! 1 On dira peut-être que le mouvement aussi est idéal, que les corps mêmes sont idéaux; et il y a là une vérité. Mais l'idéalité ainsi entendue c'est l'idéalité au sens de Berkeley, et l'idéalité au sens de Leibniz est tout autre. Une idée, pour Leibniz, c'est un intelligible pur. Dès lors notre question reparaît comment dans un espace idéal peut-il y avoir des corps et des mouvements de ces corps? Il est vraisemblable que Leibniz n'eût pas accepté la question ainsi posée, qu'il eût nié le rapport de contenance trop évidemment incompatible avec l'idéalité de l'espace telle qu'il la conçoit. Il faudrait donc renoncer ou à l'idéalité ou au rapport de contenance. Le rapport de contenance c'est le point de vue du sens commun, c'est l'évidence sensible, c'est la structure même du système de nos perceptions. Pouvons-nous abandonner cela en faveur d'une thèse philosophique? Qu'on interprète, qu'on épure même nos conceptions, fussent-elles des plus fondamentales, rien de mieux, mais on n'a pas le droit de les détruire. Nier que les corps soient dans l'espace afin de pouvoir faire de l'espace une idée pure, c'est aller contre


l'évidence; d'abord parce que le, mot espace désigne dans la pensée de tous les hommes l'étendue. uniyersgUe^ et que dans l'étendue universelle sont manif.estement..eomprises les étendues particulières ensuite, parce que l'espace est quelque chose, non seulement pour notre esprit mais aussi pour nos sens. Et prétendre le réduire à l'idéalité pure, de sorte qu'on ne puisse plus voir en lui d'étendues ni de mouvements, ce n'est pas le définir ni l'expliquer, c'est le construire, c'est créer un espace à soLen, laissant de côté l'espace de tout le monde. Or, pour qui prétend traiter de la nature de l'espace, c'est la notion que tout le mondes lait de l'espace- qui seule est à interpréter. "• Il y a du reste contradiction, ji joulqir^ comme le fait. Leibniz, faire de l'espace un idéal, et en même temps le. rendre coextensif au monde des corps. Un idéal c'est un. Intelligible,' donc une raison. Mais, si l'espace est une raison, il jdéborde forcément les. choses; car les choses n'existent qu'à la condition.d'être représentées, tandis que les raisons peuvent être, et souvent sont en .elles-mêmes sans être pour nous. C'est la conscience du sujet qui fait surgir les choses, qui les conditionne et qui les^rée. Cette même conscience fait surgir aussi la connaissance des vérités de l'arithmétique et de la géométrie, mais non pas ces wités; elles-mêmes. Ici il n'y a plus création, mais simplement découyerte. Si donc le contenu de notre conscience est fini, et c'est ce qui n'est pas douteux, même s'il y a du vrai, comme nous Ae croyt>ns~dans la théorie leibnizienne des « petites perceptions », il faudra reconnaître que le monde des corps n'est pas adéquat à l'espace. ï i ̃̃̃

Voyons pourtant comment Leibniz entend l'espace idéal. Si l'on considère plusieurs QoexLsJajits^ÂCDE, que l'un de ces cœxistants, A par exemple, vienne à disparaître et soit remplacé par un autre, B, sans que rien sqit changé dans l'ensemble CDE, en dira que B occupe la place de A. Expliquer ce que c'est qu'une place serait difficile ou impossible; mais Leibniz, à l'imitation d'Euclide, pense pouvoir se faire entendre suffisamment en définissant ce que c'est que la même place: Quant à l'espace, il est « ce qui comprend toutes les places », c'est-ardire l'ensemble qu'elles forment; de sorte que l'idée de l'espace ne se rapporte nullement aux choses mêmes, mais seulement à leurs situations1.

i Enfin espace est ce qui résulte des places prises ensemble. Et il est bon ici de considérer la-différence entre la place et entre le rapport de situation


Ici, une première observation. Un ensemble ACDE est donné, le terme A disparaît, les autres termes demeurant les mêmes, et il est remplacé par le terme B on dit alors que B a pris la place de A. C'est juste, mais à une condition, c'est que le rapport entre les termes ACDE soit un rapport d'espace; car, s'il était d'autre nature, comme il arrive lorsque, par exemple, dans une administration, un employé est remplacé par un autre, on ne pourrait plus parler de place, sinon en un sens métaphorique. Ainsi les places présupposent l'espace. Leibniz dit expressément le contraire dans le texte que nous venons de citer, puisqu'il définit l'espace « ce qui résulte des places prises ensemble ». Ainsi sa thèse suppose l'antécédence de l'espace par rapport aux places, et il affirme l'antécédence des places par rapport à l'espace.

Nous remarquerons ensuite qu'il n'y a rien chez Leibniz dans l'idée d'espace qui se rapporte à l'étendue. L'espace c'est la place qu'occupe une étendue, mais ce n'est rien d'extensif en soi. C'est uniquement « un ordre des situations, ou selon lequel les situations sont rangées' ». Cette exclusion de l'étendue, de tout rapport même à l'étendue, dans la notion que Leibniz se fait de l'espace est étrange. Une place est la place de quelque chose, et de quelque chose d'étendu. Comment ce qui est la place de quelque chose d'étendu peut-il ne participer en rien à la nature de l'étendue? C'est, dira Leibniz, qu'une place n'est qu'une idée. Mais, s'il n'y avait pas d'étendues, il n'y aurait pas de places. Il est donc impossible de séparer tout à fait l'idée de place el "idée d'étendue, bien qu'il faille reconnaître qu'elles sont distinc .s. Puis, dans les places, il y a des étendues, l'ordre des places est donc en même temps un ordre des étendues; dès lors l'espace peut-il n'avoir rien de commun avec l'étendue? S'il en était ainsi, les étendues pourraient se ranger comme n'importe quoi; or elles ont une manière de se ranger qui qui est dans le corps qui occupe la place. Car la place d'A et de B est la même; au lieu que le rapport d'A aux corps fixes n'est pas précisément et individuellement le même que le rapport de B (qui prendra sa place) aura aux mêmes fixes; et ces rapports conviennent seulement. Car deux sujets différents comme A et B ne sauraient avoir précisément la même affection individuelle; un même accident individuel ne se pouvant point trouver en deux sujets, ni passer de sujet en sujet. Mais l'esprit, non content de la convenance, cherche une identité. une chose qui soit véritablement la même, et la conçoit comme hors de ces sujets; et c'est ce qu'on appelle ici place et espace. Cependant cela ne saurait être qu'idéal, contenant un certain ordre où l'esprit conçoit l'application des rapports. 5° écrit, 47.

1. 5' écrit, 104.


tient à leur nature propre, et qui diffère de-l'ordre.dans lequel se rangent des nombres, des états de conscience, enfin tout ce qui n'estpas elles. Du reste, un ordre qui est l'ordre: dé n'importe quoi n'est. pas un ordre, parce qu'il .est impQss.ible, qu'un ordre ne tienne en rien à la nature des choses ordonnées, à moins qu'il, ne s'agisse de l'ordre tout à fait absEKtifedes. nombres.; Ajoutons que Leibniz luimême trahit sa thèse lorsqu'tE ® qu> «- Us (les hommes) considèrent que plusieurs choses existent à la Msy el ils ^trouvent un certain ordre de coexistence, suivant lequel le rapport des unes et des autres est plus ou moins simple. C'est leur situation oudtstanee '•».» D'abord situation et distance ne sont-pas la même chose, carilyadans l'idée de situation quelque chose qui se rapporte à l'orientation ou à la direction, et qui ne se retrouve pas dans l'idée de distance. Puis, comment comprendre qu'il 'y ait. des distances dans l'espace, si l'espace n'a rien de la. nature de l'étendue? Sans doute une distance est un rapport, mais c'estun rapport d'étendue; iL est donc impossible que la distance existe, l'étendue n'est pas. Leibniz oppose encore à « l'immensitél'étendue des choses l'espace selon lequel cette étendue est prise*». Cette étendue,est prise selon Vespace: quel sens cela peut-il avoir si l'étendue est constituée indépendamment de l'espace, et si l'espace n'est rien que la place où elle réside. C'est pourtant tout ce que dit Leibniz au sujet des relations de la place et de l'étendue. ̃ ̃ ̃•-̃-–

Leibniz veut que l'espace soit un « rapport », et il ne peut être que cela, en effet, du moment vu'il est une idée pure. Mais l'espace comporte deux catégories de rapports, situations et distances3. Or Leibniz parle une fois, en passant, comme par hasard, des rapports de distance, et s'en tient-defait aux rapports_.de situation. Les rapports de distance ont pourtant à entrer en ligne de compte, car on ne peut pas poser des places sans ^envisager des distances entre les places. Mais comment éliminer l'étendue de quelque chose où l'on reconnaît des distancesîL'ëffftrtquefajt Leibniz pour constituer l'idée d'espace indépendamment de toute, considération d'étendue est donc vain, et le genre d'idéalité qu'il attribue à l'espace est impossible. Il définit l'espace par les places;, mais les places 1. 5° écrit, 47.. ~l. '̃̃̃

̃2. Ibid., i&, texte déjà cité, ̃. ̃̃ '.X-'

3. Leibniz dit « ou distances » -d&n§_ llavanttdernjer; des textes que nous venons de citer. t" ̃̃ ̃


entrainent les distances, les distances impliquent les étendues, les étendues supposent les corps; de sorte que, non seulement dans toute partie de l'espace il y a des corps, ce que Leibniz d'ailleurs est loin de contester, mais encore l'idée de corps et l'idée d'espace sont connexes, si bien qu'on ne peut concevoir le corps sans l'espace ni l'espace sans le corps. Oui, l'espace est un rapport, mais un rapport qui, comme tous les rapports, n'est rien en dehors des termes qu'il unit. On peut accorder à Leibniz l'idéalité de l'espace; c'est, du reste, un point sur lequel nous nous sommes expliqué déjà; mais ce que nous ne lui accorderons pas c'est la séparabilité, même purement idéale, de l'espace et des étendues, qui ramène ce vide essentiel dont il a été parlé plus haut, ce vide qui ne permet de comprendre ni la présence des corps dans l'espace, ni la nature de l'étendue, ni le rapport de l'étendue à l'espace, ni la différenciation des parties de l'espace, ni bien d'autres choses encore.

En somme,1 tout le grand effort de Leibniz pour constituer une théorie de l'espace aura servi à montrer que la doctrine de Newton et de Clarke, un peu trop dociles aux suggestions du sens commun, contient au sujet de la nature de l'espace et du temps des erreurs graves. Mais lui-mème quelle solution positive a-t-il apportée? L'inconsistance de sa pensée est extrême. 11 nous laisse en présence du problème initial demeuré tel quel, et l'on ne voit point qu'il y soit entré. Où est la cause de cet échec? Leibniz ne veut pas reconnaître l'unité métaphysique de l'espace, d'où il résulte que, faisant de l'espace un ordre, ce qui est très juste, en réalité il n'en fait rien. Il voit l'espace du point de vue exclusif de la science, c'est-à-dire comme une pure multiplicité. Or rien au monde ne peut se traiter du point de vue exclusif de la science, sinon la science elle-même: Partout ailleurs que dans la science la métaphysique a ses droits qu'on ne méconnaît pas impunément.

La théorie de l'espace n'est pas objet de science il est donc vain de prétendre la traiter empiristiquement. La tentative manquée de Leibniz démontre une fois de plus que la vérité, non pas scientifique mais intégrale, est dans le nativisme.

IV. L'espace SELON Kant.

Descartes et Newton avaient fait de l'espace une réalité existante; de même pour le temps, chez Newton au moins. Leibniz, négligeant


un peu le temps, comme Descartes, voit dans l'espace une pure conception de l'esprit, sans rien d'actuel, sinon en tant qu'elle se rapporte aux corps existants. Aux yeux.de Kant le temps et l'espace sont, non des réalités objectives, ni des créations de la pensée, mais des lois de structure pour le monde phénoménal. Il prétend, comme on sait, que l'espace est la forme a pnori des phénomènes du sens externe, le temps, la forme a priori des phénomènes du sens interne; ce qui veut dire que, pour lui, les phénomènes de l'un et de l'autre sens ne peuvent se constituer qu'à la condition de revêtir les uns la forme d'espace ou plutôt d'étendue, les autres la forme de temps ou plutôt de durée. Il semble que, dès lors, nous n'aurons plusl'espace avant les corps, comme chez Newton, ni les corps avant l'espace comme chez Leibniz; qu'au contraire, l'espace et les corps vont se constituer corrélativement, sans antécédence de l'un ou des autres; que, par conséquent, nous évitons jLîécueil du vide essentiel. Et cet obstacle écarté, nous devons avoir, sinon la ,solution du problème de l'espace, du moins quelque chose qui en approche beaucoup. Mais il n'en est pas ainsi. _L

Qui dit forme dit loi de structure, ou même loi d'une manière générale, car, à le bien prendre, toute oi est une loi de structure. Une forme a priori c'est donc une loi priori, c'est-à-dire une loi imposée par l'esprit à la nature, un acte législatif du sujet-pensant. Nous retrouvons ici Kant, fidèle âson habitude de voir partout dans la nature le résultat d'une législation née de l'esprit, législation morale qui s'exprime par l'impératif catégorique, législation intellectuelle qui pose les catégories de l'entendement, et prétendant faire légiférer l'esprit dans l'ordre de la sensibilité même. On va voir que cette nouvelle application d'une méthode en soi bien contestable donne des résultats peu satisfaisants.

II s'agit de constituerl'intuition sensible. Pour cela il faut unir les éléments épars qui en sont la matière, c'est-à-dire en faire la synthèse. Cette synthèse, évidemment, ne peut se comprendre que selon le mode empiristique. Kant concevra J'étendue justement comme Bain et Stuart Mill, avec cette différence que chez lui la synthèse précède l'expérience, tandis que chez les philosophes anglais elle la suit. Mais cette différence n'empêche pas que la nature de la synthèse demeure la même dans lés deux cas.- Or la critique qui a été faite de l'empirisme porte exclusivement sur la nature de la synthèse, et ne considère en aucune façon la part que peut y prendre


soit l'expérience, soit la pensée pure. Quant à dire que la synthèse a priori n'est pas empiristique parce qu'elle ne résulte pas de l'agglomération des éléments, mais d'un acte de l'esprit qui est un, on ne le peut pas; attendu que, si la synthèse n'est pas dans les éléments seuls, elle n'est pas non plus dans l'acte seul de l'esprit; elle résulte de l'action unifiante de l'esprit sur les éléments, et la prétention d'obtenir l'unité par une action unifiante exercée sur les éléments est justement ce qui fait l'empirisme. Nous voici donc en présence d'un empirisme bien caractérisé, et l'empirisme, ici comme partout, ne peut manquer de donner ses fruits naturels qui sont des fruits amers. Nous avons fait ailleurs la critique de la synthèse a priori dans le jugement, qui est encore une application de la méthode empiristique S et nous n'avons pas l'intention d'y revenir. Mais acceptons cette synthèse pour un moment. Kant suppose qu'il existe un a priori pour la sensibilité pure, nous voulons dire pour la sensibilité en dehors de tout exercice de l'entendement. Il semble que la synthèse a priori se rapporte exclusivement à la faculté de juger; car une synthèse c'est un rapprochement, et un rapprochement veut une raison, autrement il n'est qu'un fait brut qu'il est impossible de rattacher à l'esprit ni même à quoi que ce soit. On ne voit donc pas du tout comment la synthèse a priori pourrait se transporter à la sensibilité. Quant à introduire le jugement dans la constitution de l'intuition sensible, il n'y faut pas songer, Kant lui-même réservant expressément le jugement pour la synthèse d'intuitions sensibles déjà constituées. Il faudrait dès lors, à côté de la synthèse a priori attribuée à la faculté de juger, en supposer une autre aussi irréductible à la première que le sont chez Kant la sensibilité et l'entendement. Mais de celle-ci il sera nécessaire de se faire une idée, ou bien elle ne sera qu'un mot. Et quelle idée s'en faire, étant donné que toute synthèse opérée par l'esprit nous apparait nécessairement, ainsi qu'on vient de le dire, comme un acte de la faculté de juger? Il semble donc impossible de concevoir intelligiblement la constitution synthétique a priori de l'intuition sensible.

11 est une autre raison encore pour laquelle on doit réserver la synthèse a priori, supposée possible, à la faculté de juger. La faculté de juger lie des intuitions. Elle a donc quelque rapport avec 1. Dans Les Deux Idéalismes, chap. m, § 4.


la conscience, quelque substrat dans le, sujet conscient. Du moment que des intuitions sensibles sont^données la conscience existe; et, l'on conçoit, mal, comme on conçoit mal que des points s'unissent pour former une ligne, mais enfin l'on conçoit ou l'on croit con-; cevoir. que la loi d'unité de l'aperception fasse la synthèse de ces intuitions. Quand il s'agit de la formation de ces intuitions mêmes c'est autre chose; la conscience n'existe pas encore puisqu'elle ne peut naître qu'avec les intuitions. Où donc placerons-nous la puissance effective et agissante à laquelle il appartient d'opérer la synthèse a priori de cette poussière yenue on ne sait d'où qui, dans l'intuition sensible, joue, le rôle de matière?- La placer dans l'esprit pur et nu, dans l'esprit avant, la conscience, serait absurde. Quelle idée se faire, en effet, d'un esprit qui, dans son fond, et en dehors de toute conscience, serait encore quelque chose; et comment à un tel esprit attribuer une nature, une. disposition, une, exigence quelconques ? Ainsi la question demeure sans solution possible. Elle est légitime pourtant, à lamanière dont le problème est posé. Si le fond des choses était idée, comme chez les-vrais idéalistes, le problème ne se poserait pas. Mais chez Kant, comme chez Descartes et chez Leibniz, le fond des choses, du moins des choses de l'ordre naturel, est existence. Dès lors l'embarrassante question est inévitable. Et que l'on ne dise pas qu'il n'y apas lieu de chercher des antécédences réelles à la loi suivant laquelle les intuitions sensibles prennent les formes d'étendue et de durée; car Information d'une de ces intuitions est un fait, et un fait, pour s'expliquer, appelle un autre fait. Kant du reste rattache les catégories de l'entendement, et l'application qui en est faite aux intuitions sensibles, à un esprit positivement constitué et opérant même d'une façon qu'il croit détermi^nable puisqu'il essaie de la déterminer., Il n'y a aucune raison qui puisse le dispenser d'une obligation semblable â l'égard des intuitions sensibles elles-mêmes.

Maintenant il va falloir expliquer, comment se fait l'application de la loi aux éléments de l'intuition sensible pour constituer celle-ci. Un schématisme sera pour cela nécessaire, et ce schématisme, qui sert à la fois à la sensibilité et à.FejJtendenient, doit être rattaché à une faculté d'imaginer a priori. Mais l'imagination a priori est-elle une conception admissible? Le seul fondement que Kant puisse lui donner c'est le besoin qu'il en a pour être en état de poursuivre le développement de son système.Laraison est insuffisante. Inventer


CH. DUNAN. LA NATURE DE l'kSPACE. 80i entités pour rendre compte de faits positifs esh un nr^.

~o~ .mwu. 9V1 des entités pour rendre compte de faits positifs est un procédé commode, qui fut longtemps en usage, mais dont on a fini par reconnaître l'abus, et auquel il ne faudrait pas revenir; surtout lorsque, comme ici, ce n'est pas à des faits positifs, pas même à des faits hypothétiques, pas même à des faits du tout que l'on a affaire, puisque l'application d'une loi transcendentale à une matière dont l'origine et la nature sont inassignables n'est assurément pas un fait, bien que ce doive être, dans la pensée de Kant, quelque chose qui arrive, qui se produit incessamment. Lorsque Leibniz recourait à une harmonie préétablie pour expliquer la formation des organismes, les rapports de l'âme et du corps, l'unité du monde et l'action providentielle de Dieu, il commettait la même faute que nous reprochons ici à Kant, puisque, pour étayer son système, il inventait une hypothèse qui, étant sans appui au dehors, n'avait de raison d'être que le système lui-même; mais du moins il échappait à la nécessité de fournir une vérification expérimentale de celte hypothèse, puisque évidemment il ne pouvait y en avoir aucune. Mais pour l'imagination a priori il en est autrement. Cette imagination n'est point cachée dans le sein de Dieu comme l'harmonie préétablie. Elle est en nous si elle existe, et, si elle existe, nous devons la connaître. Ce n'est pas parce qu'elle est a priori qu'elle peut échapper totalement à la conscience, d'autant plus qu'il y a en elle un élément représentatif puisqu'elle est à la fois transcendentale et empirique. Alors qu'on la montre.

Cet hybride au surplus est un monstre logique, car il est une contradiction dans les termes. Imaginer, au sens que d'après l'expérience commune on attache à ce mot, c'est se souvenir. On ne se souvient pas a priori. Voilà la contradiction. Dira-t-on que dans le l'ait d'imaginer il y a aussi l'ordre dans lequel se rangent les souvenirs? Soit; mais ce n'est pas dans cet ordre que l'a priori se trouvera. Cet ordre vient du caprice, de l'habitude, de la tendance. La fantaisie et le hasard, même s'ils construisent l'avenir, ne sont pas de l'a priori. Il arrive d'ailleurs à la pensée imaginative de créer des combinaisons nouvelles que la raison approuvera; mais ces combinaisons naissent de l'activité spontanée de l'esprit, et ne se rattachent nullement à une loi transcendentale. A priori c'est nécessité, et même nécessité rationnelle c'est pourquoi nous disions tout à l'heure qu'il ne peut y avoir d'a priori que pour la faculté de juger. L'a priori n'est donc ni dans les choses ni dans


l'ordre des choses. Mais ne peut-on bjoncevoir un ordre des.ehoses qui soit a priori? Non, parce qutf Tordre des choses.ne .peut être- donné sans les choses; et les choses, d'autre part, ne peuvent être qu'a priori si l'ordre l'est, par la raison que, si l'ordre ne. va- pas: sans les choses, les choses non; plus ne vont pas sans l'ordre; à moins qu'avant la synthèse qui forme les intuitions sensibles on ne suppose un pur chaos plus inintelligible encore et plus absurde que celui des anciens 1. Ainsi, .pour que: l'ordre des souvenirs pût se constituer a priori, il faudrait que les>ouvenirs eux-mêmes fussent a priori. Quant à nier que l'imagination implique le souvenir, il est clair qu'on ne le peut pas, à moins de créer sous le nom d'imagination une faculté de l'esprit que personne ne connait, et qui n'a rien de commun avec l'imagination véritable. >

Veut-on, malgré tout; que sous l'empire d'une loi de l'esprit les intuitions sensibles se constituent en formes d'étendues et dé durées, et déterminent par là en nous les deux conceptions de l'espace et du temps? Il nous fautjexaminer alors quels caractères l'espace et le temps vont prendre.

Toute loi est uniformité; c'est-à-dirë qùe: ce qu'une loi commande, elle le commande le même. La loi qui commande la structure des phénomènes du sens externe en forme d'espace constitue donc l'espace à l'état d'homogénéité et d'indifférenciation absolues, Kant, à un certain moment de sa carrière, ne l'entendait pas ainsi. Dans l'article qu'il publiait en' 1768, intitulé Du premier, fondement de la différence des lieux dans J'espace,, il faisait remarquer que, dans l'espace, le droit et legauèhe ne. sohtpas susceptibles d'interversion comme on pourrait le croira JEt il s'appuyait pour le prouver sur cette considération que, si l'univers tout entier était aboli, et qu'il en restât seulement une main, cette main ne pourrait être ni droite ni gauche, puisque la droite. suppose la gauche et réciproquement qu'on ne peut pas la supposer droite, par exemple, en opposition avec une main gauche, imaginaire, parce que la supposa tion contraire peut être faite ave^Je même droit; que, par conséquent, la main en question ne pourrait être ni droite ni gauche, et que cependant il faut bien qu'une main soit l'un ou l'autre; de 1 II suit de là que l'ordre 'a priori imposé aux souvenirs détruit la sensibilité à laquelle Kant tient si fort et avec mison; de sorte que cette hypothèse, qui paraît seule capable de sauver le schématisme, ruine la doctrine par un autre côté. °


sorte que la supposition faite d'une main unique créée par Dieu dans l'espace est une impossibilité. La conséquence était que l'espace, considéré en lui-même et abstraction faite de ce qui le remplit, s'il est une multiplicité homogène et amorphe, abstraite et morte, indéfiniment diffuse comme le veut l'opinion commune, est aussi autre chose et même tout le contraire, c'est-à-dire une multiplicité différenciée, dont tous les éléments sont corrélatifs entre eux, et forment ensemble par leur corrélation même une unité dynamique et concrète; si bien que l'espace, par ce côté, est, non plus une poussière de choses sans réalité aucune, mais une réalité véritable et presque un être. Il y avait là une pensée très forte et dont la portée était immense. Mais cette belle conception ne pouvait avoir tout son prix qu'à la condition de prendre corps dans un système dont elle serait l'armature. Elle préoccupa Kant longtemps, et peut-être jusqu'à la fin de sa carrière. Cependant, lorsqu'il traita de l'espace dans ¥ Esthétique transcendentale, dans la Dialectique transcendenlale, dans les Prolégomènes, Kant présenta l'unité de l'espace comme consistant simplement en ceci que l'espace est un tout que ses parties divisent mais ne constituent pas. C'était un demi-abandon de la thèse de 1768, et même, au fond, un abandon complet, car ce qui divise constitue une vraie unité n'a pas de parties, et du moment qu'on admet des parties on renonce à l'unité. Cependant la formule, tout inadmissible qu'elle est, atteste au moins un regret et un espoir. Dans l'Analytique transcendentale ce regret et cet espoir mêmes disparaissent; il n'est plus question du tout de l'unité de l'espace. « Je ne puis pas, écrit Kant, me représenter une ligne, si petite qu'elle soit, sans la tirer par la pensée, c'est-à-dire sans en produire successivement toutes les parties d'un point à un autre, et sans en retracer enfin de la sorte toute l'intuition. Il en est ainsi de toute portion du temps, même la plus petite'. » Ainsi l'unité d'une ligne résulte de la réunion des parties, l'unité de l'espace, de l'agglomération des étendues; c'est-à-dire que l'espace est un composé, non pas un composé où les parties composantes ne se retrouvent pas, comme on suppose que sont les composés chimiques, mais un composé où les parties se retrouvent. Or un tel composé n'est rien qu'une juxtaposition de parties; et dans.une juxtaposition de parties ce sont les 1. Critique de la Raison pure, Tr. Barni, t. I, p. 222.


parties seules qui sont des réalités^ existantes,, non leur juxtaposition. Comme, d'autre part,. les éléments aveçie5quelson.peuf songer à composer l'espace ne sont eux-mêmes que des assemblages de parties plus petites, et que ces parties, plus petites sont des assemblages encore, sans qu'on puisse atteindre une réalité positive qui serait pour toute cette série de compositions une. base non fuyan.te, il s'ensuit que dans l'espace il n'y a rien qui soit, rien. de quoi l'on puisse dire quelque chose, de sorte qu'il est l'inanité et l'indétermination absolues. L'espace se réduit à l'extension pure et simple. Il est, comme dit Leibniz, partes extra partes, rien de plus. Cherchez après cela son unité. Ainsi reparaît chez Kant l'empirisme traditionnel. Après avoir reconnu la nécessité d^une conception métaphysique de l'espace, après ̃avoir- essayé même de la former, Kant, dans l'étude des problèmes transcendentaux où s'applique l'idée d'espace, revient à la conception empiristique^ et raisonne partout appuyé sur cette "conception. Il ne reste plus trace de l'autre. »- »- »-

Nous voici donc en présence; d'un i3_space absolument homogène et indéterminé. Cet espace, contrairementaux intentions formelles de Kant, est détaché, ou,, ce quirevient au même, détachable des choses. Il réalise le vide essentiel cômme^l'espace de. Newton, et celui de Leibniz, parce que dans un espace indifférencié le mouvement des corps se produit comme est, ou paraît être, le, mouvement d'un homme qui se promène dans une chambre. Dès lors toutes les objections qu'on a pu opposer en commun à. L'espace de Leibniz et à celui de Newton vont réapparaître, avec quelques contradictions de. plus tenant à la manière particulière dont Kant a. conçu le sien. L'espace de Kant, parce qu'il est amorphe, est nécessairement réversible. Or, en réalité, l'espace est irréversible; nous en appe-. Ions là-dessus à l'auteur de l'article de 1768. S'il ne l'était pas, le temps, constitué exactement dans les mêmes conditions que lui,. ne le serait pas davantage., Or l'irréversibilité du temps est évidente.. Du reste l'irréversibilité "du. temps implique directement celle de l'espace, puisque l'espace créé dans le temps par l'esprit, et subissant dès lors la loi du temps, ne peut manquer de participer à sa. nature. Ainsi le temps et Tespacë doivent être irréversibles tous. deux, et ni l'un ni l'autre ne peuvent l'êlr& à la façon dont les conçoit, Kant.

II nous faut un espace irréversible, et, tranchons le mot, orga-


nique, parce qu'il y a des organismes dans l'espace, et que rien d'organisé ne pourrait subsister dans un milieu qui ne le serait pas. Leibniz le savait bien, lui qui faisait commencer l'organisation du corps de sa monade aux mouvements premiers de la matière élémentaire, et qui, dans le corps de chaque monade faisait entrer l'univers tout entier, comprenant qu'un organisme ne peut être qu'universel et infini. La chose, du reste, est évidente. Voit-on un être organisé aux prises avec un milieu cosmique qui ne lui serait adapté en rien, et dont cependant il faudrait qu'il vécut? Il arriverait alors de deux choses l'une ou bien ce milieu cosmique subirait rigoureusement les lois physico-chimiques qui président à ses transformations, et, dans ce cas, réfractaire aux exigences de l'être organisé qui ne s'accommode pas de n'importe quoi, alors que c'est n'importe quoi qu'il apporte, il rendrait à cet être la vie impossible; ou bien, doué d'une puissance transcendante et capable cependant de s'exercer dans la nature, l'être organisé briserait les résistances du milieu cosmique, forçant la matière à réaliser des phénomènes qui sont à sa convenance à lui, mais qui sont aussi des infractions aux lois physico-chimiques, et alors nous tombons dans les aberrations du vitalisme. Ainsi le corps vivant en s'organisant organise nécessairement toute la matière cosmique, y compris l'espace qui en est inséparable. L'espace séparé c'est l'espace amorphe. Nous avons vu plus haut que dans l'espace amorphe ni le mouvement, ni les qualités qui font les corps, ne sont possibles. La formation d'un organisme quelconque y serait plus impossible encore. Kant, dans son Esthétique transcendentale, nous donne tout le contraire d'un espace organique, puisque la loi a priori de l'esprit à laquelle il rattache la constitution des phénomènes en forme d'espace n'a rien d'organique assurément. Il avait eu pourtant une idée heureuse, celle de faire naître l'espace, non avant les corps, comme Newton, ni après, comme Leibniz, mais avec, et de le faire réel au même sens et dans l'exacte mesure ou les corps le sont. Ce qu'il cherchait au fond c'était même l'espace organique; car l'espace organique seul répondait à sa pensée de 1768 qu'il n'avait pu totalement oublier. Mais l'esprit empiristique dont il était imbu sans le savoir, car l'empirisme n'avait pas été signalé de son temps comme il l'est à présent, paralysa son effort. Nous essaierons dans un prochain article de montrer comment l'espace est organique en effet, et quel rôle il joue dans la constitution générale du monde des corps.


M. Léon Brunschvicg, dans le très savant _ej îtrès solide ouvrage qu'il a publié récemment sur Les étapes de la 'philosophie mathématique, relève avec beaucoup de~pénètration les graves difficultés auxquelles donne lieu, dans la doctrine kantienne de l'espace et du temps, la thèse selon laquelle. le nombre est le schème de la quantité en général, thèse qui ne permet pas de « concevoir le rapport du fini et du discontinu qui sont les caractères apparents du nombre, avec V in fini- et le continu Jiui sont les caractères de la quantité »; et il conclut ainsi « Assurément, d'un point de vue. dogmatique, toutes ces indécisions, apparaissent ruineuses; la fînité et la discontinuité de la synthèse numérique sont incompatibles avec l'infinité et la continuité de la grandeur spatiale; de là, selon l'expression favorite de Renouvier-, lin dilemme que le philosophe- devrait trancher sous peine de morU Mais la pensée critique a cetavantage qu'elle n'oblige nullement Kant- à supprimer l'un des termes d'une opposition qu'il considère comme essentielle à la nature de l'esprit humain, comme en ^caradérisant la physio-* nomie. Au contraire, si l'évolution de Kant fut constamment dominée, comme il le dit lui-même, par l'idée de l'antinomie,c'est que l'intelligence de cette opposition devait servir à' découvrir« la ligne de partage » entre le domaine de la science positive et le domaine de la métaphysique. La science positive échappe à la nécessité de choisir, en vertu.de cette relativité, qui, là restreignant au domaine du sensible, en fonde la rationalité. C'est la métaphysique seule, c'est sa « cosmologie rationnelle », considérée comme partie de la métaphysique, qui apporte avec elle l'exigence d'un choix; car l'espace et le temps doivent _êtce_aiors, sinon des choses, du moins le cadre des choses. Entre 'Je 'fini et l'infini, entre le discontinu et le continu, il deviendra nécessaire, et, cependant, il apparait impossible de tràhcher l'alternative. L'idéalisme de l'antithèse tient en échec le dogmatisme de la thèse 4. » Ainsi « les faiblesses apparentes du kantisme seront peut-être des forces 2 ». Il ne nous semble pas que cette conclusion soit tout à fait celle qu'impose là logique.

M. Brunschvicg reconnaît que la théorie kantienne de l'espace est inconsistante, et il fait honneur à Kant de cette inconsistance qui confirme sa thèse de l'impossibilité de toute cosmologie rationnelle. i. P. 274. L~

2. P. 271. ̃ ̃:̃.̃̃


Mais, si Kant échoue dans sa tentative de constituer une théorie de l'espace, ce pourrait être pour d'autres raisons que le caractère objectivement antinomique de l'espace; car il n'y a pas que les problèmes insolubles qui donnent lieu à des échecs de ce genre. Un vrai rationaliste dira même qu'il n'existe pas de problèmes insolubles du tout; qu'il y a seulement des problèmes mal posés, ou posés indûment parce qu'ils ont leur origine dans certaines suppositions fausses que l'on prend pour vraies; de sorte qu'il n'existerait pas d'antinomies réelles, tout problème métaphysique pouvant être résolu, à la condition seulement qu'on voie les choses comme il faut les voir, sans subir l'influence d'aucune mauvaise habitude de l'esprit, d'aucune idée fausse antécédente, ce qui d'ailleurs n'est pas facile. L'échec reconnu de Kant peut donc et doit tenir à d'autres causes qu'une antinomie. Du reste il est à remarquer que, lorsqu'on discute une antinomie, les termes qu'on met en opposition, thèse et antithèse, sont toujours présentés comme hypothétiques il le faut bien, puisque ce que l'on veut démontrer c'est que thèse et antithèse sont également fausses. Mais, lorsqu'il traite de l'espace dans l'Esthétique transcendentale, Kant ne donne pas sa doctrine comme une hypothèse, il la donne comme une vérité certaine il dogmatise, au point même de déclarer que la conception qu'il se fait de l'espace est la seule qui soit compatible avec l'existence des mathématiques. Il repousse donc d'avance la condamnation suivie d'absolution que lui offre M. Brunschvicg. Il y a pour lui une conception vraie de l'espace, et c'est la sienne. Il se trompe, mais où donc est le principe de son erreur?

Comme un mathématicien qui suppose son problème résolu, et qui détermine ensuite les conditions de la solution qu'il avait posée d'avance, Kant, en 1768, découvre la vraie nature de l'espace qui est d'être un et indivisible à la manière d'un organisme, et il cherche les moyens d'expliquer et de démontrer cette conception. Il ne les trouve pas, et passe à la conception contraire, celle que nous appelons aujourd'hui l'empiristique, et il raisonne imperturbablement dans le sens de celle-ci. Quoi d'étonnant s'il n'aboutit pas, et faut-il, parce qu'il échoue, accuser le problème qu'il traite d'être creux et sans solution possible? L'antinomie est une impasse où l'engage une idée inexacte qu'il a dans l'esprit, l'idée que l'espace est la somme finie ou infinie des étendues existantes, et qu'une étendue est la somme d'un nombre fini de parties très petites ou d'un nombre


infini de parties infiniment petites. Mais cette jdée dont il ne doute pas, qu'il ne songe nullement à mettre en question, n'est pas une idée qui s'impose. Or, cette idée mise de côté, il n'y a plus lieu de, se demander si l'espace est. quantitativement fini ou infini, si les parties dont se compose une étendue sont en nombre fini ou infini. Les deux questions même perdent tout sens, et l'antinomie est levée. Ainsi ce n'est pas la,nature,-des choses qui crée. les" antinomies, c'est l'esprit de l'homme. La cosmologie rationnelle est donc légitime et nécessaire. s^v" rr

D'ailleurs il est singulier de voir Kant condamner la cosmologie rationnelle quand lui-même en fait tant, et mêmene fait guère que cela, sauf la partie morale^de son œuvre elle se retrouve encore.Toute la doctrine transcendentaleej3t-elle~. donc autre chose qu'un ensemble de propositions dogmatiques concernant la nature, les virtualités, le fonctionnement deHesprit? Et quel est le caractère de ces spéculations? On a changé un mot; mais dans ce que,, depuis Kant, on appelle criticisme, il est impossible de.voir autre chose qu'une métaphysique. Le criticisme prétend déterminer a priori les lois et les fonctions de l'esprit, et il nous interdit de chercher dans l'expérience, dans une interprétation rationnelle des faits que nous constatons, une connaissance de, la nature plus intime et plus profonde que celle que peut noùsdojiner la science. Où est l'audace excessive? Où est l'imprudence ?-Où_ est l'illusion? Au nom des conditions de l'expérience scientifique seule, alors qu'il est si manifeste qu'il en existe une autre, et d'après -des idées théoriques sur la nature de cette expérience scientifique,, idées qui peuvent être fausses comme toutes les idées théoriques, on. construit de la manière la plus artificielle des hiérarchies de facultés, des édifices de « concepts transcendantaux », qu'on. présente comme.des réalités existantes, donc comme des faits, alors que l'expérience interne ne nous en a jamais rien révélé; et l'on soutienLque l'on ne fait pas de métaphysique, et l'on interdit à d'aùtim d'en faire Ouvrons les yeux, et reconnaissons que le criticisme, c'est de la métaphysique, et de la moins avouable qui soit..

Si, comme le pense M. Brunschyicg, et comme nous le pensons avec lui, la conception kantienne de.l'espace soulève des difficultés 's à la fois insolubles et dirimantes, c'est YEsthétique-transcendantale tout entière qui s'en va. Mais Y Analytique, transcendantale est liée à Y Esthétique et la suppose •expressément du reste, l'idée maîtresse


de l'Analytique, le jugement synthétique a priori, n'est qu'une autre application du principe empiristique qui, dans Y Esthétique, a présidé à la formation de la théorie de l'espace et du temps. La Dialectique est tout entière dominée par la pensée de l'antinomie, et l'antinomie sauverait tout peut-être; mais, s'il faut accorder que l'antinomie n'existe pas, cette planche de salut disparaît, et alors que restera-t-il de la Critique de la raison pure?

Charles Dunan.


ESQUISSE D'UNE THÉORIE 1 COMPARÉE DU SORITE

La présente étude voudrait être un essai de logique comparée. Nous prendrons pour point de départ un type de raisonnement qui se rencontre dans le Confucéisme, et nous le con'ronlïrons avo3 d'autres raisonnements que fournissent la spéculation iudiena; et la philosophie grecque. La déterminais dejLanaio^ies et c-ï'e dc3 différences entre des faits similaires de séries indépendants est, croyons-nous, le seul moyen de pénétrer le sens positif, objectif, historique des doctrines, et.en même temps d'atteindre à des inductions quelque peu solides sur les fonctions de cet esprit humain que prétend étudier la philosophie 1. ̃̃

Les trois sortes d'arguments que nous voulons examiner offrent certains traits communs qui les rendent aisément comparables. Ce ne sont ni des tautologies, ni des successions de termes absolument différents, car dans l'un et dans l'autre cas le raisonnement serait purement verbal, et, à vrai dire, inexistant. Ce ne sont pas davantage de simples métaphores; la transition s'effectue sous le couvert d'un certain schème sinon 'd'identité, du moins d'homogénéité moins élastique, moins capricieux que celui qui préside aux assimilations que se permet la poésie. Ce n'est pas, ou du moins, ce n'est pas essentiellement d'un rapport entre idées qu'il s'agit; l'extension ou la compréhension des concepts ne, sont pas, ou du moins ne sont pas les seuls principes que régissent ces argumentations; elles consistent bien plutôt à noter des rapports entre des conditions objectives. Aussi ces raisonnements revêtent-ils, ou peuvent-ils revêtir la forme hypothétique si A existe, B existe,- etc. Enfin, à la différence du syllogisme, et quoiqu'on prétende, ici. encore, opérer une démonstration, l'attribut du dernier jugement devant convenir au sujet du premier, le nombre des termes mis en relation est indéterminé il 1. Nous nous sommes efforcés. de justifier ce .point de vue dans notre article « Objet et Méthode de la Philôsophie comparée », B.. de Métaphysique et de Morale, juillet 1911, p. 541-548. '̃


dépend non pas de certaines exigences de la pensée, mais de la nature des choses, dans laquelle toutefois on n'envisage que ce qui intéresse la preuve à fournir. Résumons-nous ce sera toujours un passage du même à l'autre, à la faveur d'une certaine homogénéité, entre des conditions objectives connexes, en nombre indéterminé. Faute d'un mot spécial qui connoterait cette signification, et en raison de l'existence dans la logique grecque d'un vocable technique s'accomodant de cette définition, nous adopterons le nom de sorite, auquel nous prêterons le sens que nous venons d'indiquer, acception plus vague que celle qu'il comporte, par exemple, dans la logique stoïcienne.

I. LE SORITE CHINOIS.

L'argument que nous appellerons sorite confucéen n'a été employé en Chine d'une façon systématique, à notre connaissance du moins, que dans les textes de Confucius et de Mencius; encore n'en font-ils usage que d'une manière spontanée, sans jamais chercher à en étabir la théorie, à déterminer, par exemple, à quel prix cet enchaînement de données d'expérience peut être concluant. Quoiqu'on puisse signaler chez Confucius plus d'un trait susceptible d'intéresser le logicien, il ne s'agit toujours que de cette logique latente, qui est un tour de pensée coutumier aux démarches d'un certain esprit, mais jamais d'un effort pour constituer une logique abstraite. Voici la liste des textes où nous relevons ce genre dé raisonnement; nous empruntons nos citations à l'édition Couvreur des « Seu chou » (Ho kien fou, 1895).

Le « Ta Hio » tout entier.

Dans le « Tchoung Young », au § 20, deux sorites, §§ 23; 26; 29. « Liun Yu »,VII, 13, §3.

Mencius, IV, i, § 9 début p. 471 § 12, p. 473 § 27.

Ces sorites sont sans doute en petit nombre, si l'on songe à l'ampleur des « seu chou ». Mais leur fréquence importe peu il est très remarquable qu'ils apparaissent chaque fois qu'une démonstration devient nécessaire, et que c'est alors le seul type de raisonnement qui intervienne. On 'n'en relève qu'un dans tout le « Liun Yu », dont le style, tantôt anecdotique, tantôt aphoristique, n'est pas dialectique. En revanche le « Ta Hio », dont l'importance doctrinale est si grande, se compose presque exclusivement de trois sorites.


Les commentateurs s'éverUièjcéntà élucider leurs diverses étapes; mais ils n'eurent guère souci de la forme-même du raisonnement. Tseng Tseu (ibid., Ta Hio, §10) construit pour son propre compte un sorite, sans s'interroger sur la valeur probante de ce procédé. On peut classer les textes indiqués :sous. deux rubriques ici la marche est progressive, là elle estrégressive. La plupart des sorites progressifs marquent la transition par l'expression tse, alors, cf.T. Y., § 20, 2° sorite, p. 47:, § 23; § 26; Liun ,Yu,VII, 13, § 3. Le schème du raisonnement est « Ceci, alors cela ». Ainsi s'exprime. en chinois le jugement hypothétique, rendu en français par si ou quand (exemples T. Y., § 21; série d'exemples, p. 47-48; Mencius, IV, 2, § 3, § 28, p. 499; V, 1, 1, p. 510; dans le commentaire, ibid. p. 517, §4; V,,l, 2, p. 511). Tse peut-être suppléé par ses synonymes tseu (cf. Tseng tseu sur4e JaJHiosJ 10 du commentaire) ou sëu (Mencius, IV, 1, § 9, p.471)^Dâns lé premier, et le troisième sorites du « Ta Hio » figure -l'expression eulhieou, « alors ». DansT. Y., § 20, p. 45, la .connexion s'affirme très énergiquement par la formule A ne peut pas aller sans B (pou k'o i pou), A ne peut pas ne pas être suivi de B. Dans tous ces exemples la condition première fait pour ainsi dire tache. d'huile_et se propage en des conditions nouvelles issues les unes des autres. Ainsi, dans Mène. IV i. §27, chaque terme s'unit au suivant par l'expression *̃«̃ le-principal fruit (cheu) de A est B ».

Du sorite régressif nous ne connaissons.que trois exemples. Le deuxième sorite du « Ta Hio », celui dont.le-troisième est la contre-partie exacte, dans le sens progressif, indique-les transitions par le mot « auparavant (sien) ». Traduisons littéralement le.passage, pour donner un exemple concret. « Les.anciens (rois) qui voulaient faire briller les brillantes vertus dans: l'univers; auparavant gouvernaient leur (propre pays). Voulant gouverner leur pays, auparavant ils faisaient régner l'ordre dans-leur maison. Voulant faire régner l'ordre dans leur maison, auparavant ils se cultivaient eux-mêmes. Voulant se cultiver eux-mêmes, auparavant ils corrigeaient leur cœur. Voulant corriger leur coeur, auparavant ils. rendaient sincère leur pensée. Voulant rendre sincère Jeiïr pensée, auparavant ils tendaient à développer leur connaissance;1 Tendre à développer sa'connaissance, c'est saisir la nature. des choses. » et 3°. Les autres sorites régressifs (Menc. IV, 1, § 9, p. 471 et § 12, p, 473) s'appliquent à des cas dénués d'intérêt philosophique, mais où le raisonnement est


mixte, tour à tour régressif et progressif. Chaque pas en avant représente une anticipation qui se justifie après coup, grâce à la formule « en vue de B, il y a un moyen, une voie à suivre (yeou tao); A étant donné, alors (seu) B est donné ».

Maintenant que nous connaissons la forme logique de ces raisonnements, essayons d'isoler le ressort qui fait fonctionner leur mécanisme. Chacune de ces argumentations, sans exception, exprime un enchaînement de moyens mis en œuvre par l'activité humaine en vue d'une fin. Il ne s'agit jamais de phénomènes naturels qui se commanderaient les uns les autres. Cela tient assurément à l'orientation morale et politique de la pensée confucéenne, que préoccupe fort peu l'étude désintéressée des faits extérieurs; mais cela explique aussi, dans une certaine mesure, l'usage et la nature de cette sorte de raisonnement. On pourrait être tenté, dans le sorite que nous venons de citer tout au long, de penser que la discipline imposée par le monarque à son esprit est au fond identique à celle que finalement il impose au monde; la fonction cosmique de l'empereur, la nécessité de faire régner l'ordre en soi-même avant de l'établir au dehors, la politique patriarcale fondée sur l'assimilation de l'État et de la famille voilà autant de lieux communs du confucéisme qui, dans ce sorite particulier, étendent une certaine apparence d'homogénéité sur les divers stades de l'argumentation. Mais dans la plupart des cas le nerf du raisonnement réside uniquement dans le rapport de condition à conditionné, ou inversement; et toujours condition signifie moyen, conditionné signifie fin. Des relations de ce genre ne se fondent en aucune façon sur l'identité, mais sur une sorte de courant d'action qui se propage entre des termes hétérogènes. Leur ordre ne saurait être brouillé sans que le raisonnement devînt impossible, et pourtant ce n'est pas une hiérarchie selon l'extension ou la compréhension. Cette inférence si simple de moyen à fin, ou réciproquement, employée si naïvement par le vieux moraliste chinois, déconcerte l'Européen moderne qui voudrait la traduire en son propre langage logique, mais qui se trouve impuissant à y réussir, faute de concepts appropriés.

On s'en convaincra si l'on cherche à confronter les sorites progressif et régressif avec nos notions de synthèse et d'analyse. Le sorite confucéen ne se meut pas entre un plus abstrait et un plus concret, ni entre un plus général et un plus particulier. La nécessité qui intervient n'est pas analytique, car les termes sont sans com-


mune mesure; elle n'est pas synthétique ni-a posteriori, car on sait d'avance où l'on s'achemine; ni_g,_ priori, car l'expérience seule, atteste que A est bien, en fait, la condition de B. On pourrait allé-» guer que les relations sont plutôt « indispensables » que nécessaires et qu'il s'agit d'action, non d'intelligibilité. Cependant le complexus des termes forme une ordonnance quisatisfait l'esprit, si bien qu'il est toujours loisible de parcourir la série dans les deux sens. Au cours du « Ta Hio », Confucius le montre expressém.ent dans les deux textes indiqués de Mencius, régression et progression sont de pair, alternent, s'enchevêtrent1.^

Ne nous hâtons pas de conclure que ces tâtonnements de l'èsprit logique témoignent d'une certaine gaucherie, d'une inaptitude b, discerner ce qui pour nous est-distinct notre syllogisme lui-même comporte subrepticement ces deuxi.points de vue, puisque si l'on ne savait à l'avance le but, le résultat de la démonstration, jamais on ne l'entreprendrait; aussi la pure analyse ou la pure synthèse ne constituent-elles, pour notre logique même, que des cas limites, irréalisables. Par contre, la'progression et la régression désignent des démarches bien réelles de la pensée; l'oscillation entre l'une, et l'autre, telle qu'elle apparaît dans. ces textes, traduit cette réaction réciproque entre la fin conçue et les moyens mis en oeuvre, réaction qui semble inséparable delà vie de l'esprit. La logique confucéenne, si rudimentaire, si inconsciente soit-elle, représente une attitude, originale, singulièrement proche de celle que plus d'un nos contemporains conseillerait a. nos logiciens :,elle;n'est ni conceptuelle 1. Il peut même arriver qu'un sorite offre une signification aussi acceptable lorsque les termes étant envisagés "dansun prdre unique, on suppose tour à tour que le deuxième est une copséquençe_du premier, etc., ou. que le deuxième est un moyen du premier; etc.. Tel.esile. cas^.d,e T. Y., § 20,.p.45 « Un prince sage ne peut pas ne pas se' perfectionner soi-même; soucieux de se perfectionner soi-mème, il ne peut pas ne pas remplir ses devoirs envers ses parents; soucieux. il ne peut pas ne pas chercher à connaître les hommes (afin de savoir le degré d'affection ou de respect dû à chacun); -soucieux. il ne peut pas ne pas connaître le ciel (auteur, des lois;. qui règlent les relations sociales) », L'ambiguïté de l'interprétation atteste que l'esprit reconnait une certaine parenté entre les divers stades par -lesquels 41 s'achemine. Remarquons d'ailleurs que notre mot « donc » s'ac.commo_dej.ou.t_aut_ant d'une conséquence immédiatement prochaine, que d'une. condition immédiatement antérieure; il n'indique rien de plus qu'une connexion;, si l'on symbolise la régression par une montée, la progression par une descente, on dira que dans le cas actuel la connexion est comparable à une marche plane à propos de laquelle le marcheur se suggérerait à lui-même, tour à tour, qu'il monte ou descende. Des considéra» tions de ce genre permettraient d'isoler le sentiment abstrait de processus ou de démarche logique, indépendant des étapes qu'il parcourt. et de leur ordre respectif. .–~ ^–


comme celle d'Aristote, ni réaliste comme voulait être celle de Stuart Mill; elle est simplement humaine, c'est-à-dire relative à l'action d'une pensée qui s'exerce en la société d'autres esprits et qui s'insère au sein des choses.

II. LE SORITE INDIEN.

L'usage instinctif d'un raisonnement qui fait pressentir le sorite peut être observé aux Indes dès l'époque où s'éveilla la spéculation abstraite. Les plus anciennes Upanisads fournissent en abondance des cas où plusieurs concepts sont sériés sous un vague schème d'identité. De telles manières de penser sont apparentées à la fois à celle qui préside à l'élaboration de généalogies mythiques, dans lesquelles l'ordre des termes est fixe; et à celle qui inspire aux poètes leurs métaphores dans lesquelles l'ordre des termes ne présente aucune importance, chacun pouvant, par un certain biais, être envisagé comme le symbole d'un autre. C'est là, sans doute, le règne de l'imprécision; mais ce sont pourtant les premiers symptômes d'une tendance logique capable de quelque rigueur, lorsqu'elle ressentira le besoin de forcer la conviction, d'opérer une démonstration.

Cela se produisit quand s'édifia le plus ancien système proprement dit de philosophie, le Sâmkhya. De même que l'on a pu concevoir le spinozisme, ou à plus juste titre le système imaginé par Taine, comme un théorème unique développant ses conséquences, la « Weltanschauung » du Sâmkhya apparaît comme l'ébauche de quelque sorite gigantesque où s'offrant en spectacle à l'esprit impassible, la matière, primitivement implicite (avyaktam), s'explicite (vyaktam) en principes (tattvâni) qui s'engendrent les uns les autres l'intellect, le. fondement du moi, les éléments subtils, les organes des sens, les organes d'action, le sens interne, les éléments grossiers. Prendre conscience de cette classification doublée d'une évolution, c'est connaître la nature; résorber en sens inverse chaque principe dans celui qui le précède, c'est s'affranchir de l'illusion. Nous n'avons pas affaire ici à un sorite, car ni le point d'aboutissement n'est spécialement la chose à prouver, ni les stades intermédiaires ne sont les moyens de démonstration une hiérarchie d'émanations disposées selon une dignité décroissante, une série de dégradations d'un même principe ne constituent pas une succession


d'équivalences. Il faut pourtant reconnaître _là une manière de penser apparentée au sorite, On^ salirait donc s'étonner si, sous l'influence hautement vraisemblable du Sâmkhya, de véritables sorites se rencontrent de temps à autre -dans la vieille littérature indienne. L'un d'entre eux, pour des raisons extra-logiques, et parce qu'il est le fondement même 4jtbouddhisme, eut une immense fortune; d'autres, épars dans_ M «̃ Mahâbhàrata », témoignent, malgré leur inégale portée dogmatique, d'une forme logique analogue. Reconnaissons d'ailleurs, comme nous l'avons proclamé à propos du confucéisme, que cette forme n'a pas attiré, pour .ellemême, l'attention des esprits auxquels s'adressaient.ces sortes d'argumentation. Sans' doute,tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du bouddhisme, une logique théorique, abstraie slest constituée ultérieurement aux Indes; mais, les, textes^que nous allons passer en revue ne paraissent pas. avoir influé directement sur.la formation de cette discipline spéculative. -̃•, :̃––•̃'̃̃̃ Voici quelques sorites, plus ou.moins rudimentaires., que nous relevons dans le « Mahâbhârata».. Livre -VI, Bhagavad-aîtâ, chap. il, (adhyâya 26), v. 940-1 avoir indiqué le point de vue de la régression par la métaphore de la tortue qui s'abstrait du monde extérieur en se rétractant à l'intérieur de sa carapace (v. 936), le poète présente la-progression suivante « si par contre un homme pense aux jouissances sensibles, il naît en lui une disposition à les rechercher; de cette disposition naît le désir, du désir la colère, de la colère l'aveuglement, de Taveuglement une, perturbation du souvenir, de laquelle s'ensuit la corruption de la; connaissance et quand la connaissance est perdue; l'homme aussi est perdu. » Ibid., v. 94/4. « Celui 'qui ne pratique pas le yoga, n'a pas la connaissance, ni la faculté de, comprendre; celui qui n'a pas la faculté de comprendre. ne .peut jouir. d'aucune, paix; celui qui ne peut jouir d'aucune paix,- comment :éprouverait-il de. la joie? » Ibid., ch. m (adh. 21) v. 964-5. « Les êtres naissent delà nourriture; la nourriture, de la pluie; la /pluie, du sacrifice; le sacrifice,- de l'oeuvre; l'oeuvre, du Brahman.;le Brahman, de l'impérissable; ainsi le Brahman qui s'étend à.tout, est toujours présenldanslesacrifice,.» Ici la conclusion désirée a.étélcancontrée au cours de ,1a régression cette « présence » d'un terme dans l'autre atteste que tous ces stades sont les métamorphoses d'un même principe.

Livre XII, Moksadharma, adh, 202, v. 7394-5. Progression suivie


uc ic»ICBS'u" « ae i impérissable est né l'éther, de celui-ci le vent, de celui-ci le feu, de celui-ci l'eau, de l'eau la terre; de la terre naît le monde des vivants. Par la transformation de ces corps en eau [la phase « terre » est omise] et de l'eau en feu, vent, éther, ceux qui possèdent l'essence (véritable) ne rétrogradent plus en deçà de l'éther, mais obtiennent la délivrance suprême ».

Ibid., adh. 213, v. 7744-8. Long raisonnement destiné à montrer que les femmes sont les fatales tisserandes qui confectionnent ce samsàra par lequel l'homme est prisonnier des perpétuelles renaissances. Le point de départ est l'illusion (mâyâ) qui émane de Visnu; les principaux intermédiaires sont l'aveuglement, la colère, le désir, l'égoïsme, les œuvres, l'amour du monde, la douleur, l'action, la naissance et la mort, la génération.

Ibid., adh. 231, v. 9074-8. Régression reliant des termes dont l'équivalence est affirmée par la formule même « le sens caché du Véda est la vérité; le sens caché de la vérité est l'aptitude à se dompter soi-même; le sens caché de l'aptitude à se dompter soimême est la disposition à donner; l'ascèse; le renoncement; le bonheur le ciel; l'apaisement. » Ce raisonnement est le seul exemple que nous puissions citer d'un sorite indien conçu selon l'identité, non selon la causalité. Mais à cette époque (les parties les plus récentes du « Mahâbhârata » paraissent dater du siècle de notre ère) très antérieure à la formation d'une logique proprement dite, causalité et identité se distinguaient à peine; tout rapport de production impliquait obscurément- une conception analytique de la relation causale, c'est-à-dire une certaine relation d'identité. Le fondateur du bouddhisme, tel du moins que nous le dépeignent la plupart des textes, y compris les plus anciens, donne pour hase à sa doctrine un argument très analogue à quelques-uns de ceux que nous venons de mentionner. Obsédé par sa volonté de trouver ce qui délivre de la douleur, il y parvint en édifiant un raisonnement si décisif aux yeux des fidèles, que le fait de l'avoir agencé suffit à transformer l'ascète Çâkyamuni en un sauveur du monde, en un Bouddha, c'est-à-dire en un être qui a eu l'intuition et fait la conquête de la vérité. Sans tenir compte des multiples variantes, citons simplement la série des douze termes en connexion, qui s'engendrent dans l'ordre où ils sont énumérés. i" L'ignorance (avidyâ); 2° les dispositions, héréditaires ou acquises (samskâra); elles font écran entre la vérité et nous-mêmes; 3° la conscience (vijnâna); 4° l'indi-


vidualilé (nâmarûpa); S0 la possession d'organes sensoriels (sadâyatana) 6° le contact (sparça) de. ces organes avec des choses extérieures; 7° la sensation. (vedanâ) subséquente 8° le désir, littéralement la soif (trsnâ) éveillée à l'égard des choses sensibles; 9o le fait que l'individu s'assimile, comme une nourriture qui l'alimenterait, (upâdâna), les agrégaTslsTiandhas), c'est-à-dire les facteurs physiques, intellectuels; moraux qui entretiennent, sa vie; 10° l'existence (bhava); il- la naissance (jâti), par laquelle, après avoir vécu d'autres vies innombrables, nous entrons dans notre vie actuelle; 12° la misère de notre situation sujette à la vieillesse et à la mort (jarâmaranam). ̃ «.Tr-

Nous ne pouvons songer à présenter ici les éclaircissements indispensables à la compréhension de cet argument; la détermination de ses caractères formels doit seule nous occuper Chaque terme représente comme l'effet du précédent et la condition (mdâna) du suivant. Quoiqu'on ait transformé tardivement :èette.« chaîne » en une « roue » et conçu l'argumentation comme un processus circulaire, le douzième concept devenant la cause du premier, la signification authentique de ce raisonnementsuppose que le n° 1 est un principe irréductible, un commencement absolu; et que le n° 12 est une donnée ultime, au delà dé laquelle il-ne faut rien'chercher Psychologiquement, tout l'effort consiste à expliquer, .par régression, notre état de souffrance (n° 12) par le moyen des facteurs dont il résulte nécessairement; ;celui_ toi naissent Jous les autres, c'est l'ignorance. Il est. permis de .supposer, nous inclinons même à croire que l'auteur de ce sorite trouvait dans, la spéculation brahmanique l'affirmation de l'identité:entre la notion d'illusion et celle d'existence contingente; malheureuse, périssable, c'est-à-dire l'identité entre les deux concepts extrêmes; et que l'originalité de son effort a consisté à relier ces deu* termes_par une chaîne de dix anneaux qui pouvait lui être; suggérée par les énuméfations de principes se régissant les uns les autres, familiers à la plus ancienne philosophie Sâmkhya; assigner des intermédiaires, c'était inaugurer le point de vue de la démonstration. Mais des considérations critiques de ce genre risquent de faire méconnaître le problème 1 Le lecteur qui désirer* s'informer du sens des divers termes.et des inter^ prétations de cet argument, tant indiennes' qu'européennes, consultera utilement l'article de M. OltraWre, ̃. îarFormWebo^dhique des douze causes », Genève, Georg, 1909, publié à l'occasion du jubile de l'Université.


logique; il ne s'agit pas d'apprécier hypothétiquement la structure du sorite bouddhique; il suffit qu'il se présente comme un raisonnement pour qu'il devienne justiciable de la logique, alors même qu'au psychologue ou à l'historien ses éléments sembleraient disparates.

Or, au point de vue formel, ce raisonnement forme un ensemble qui doit être parcouru dans les deux sens « le Bienheureux fixa en son esprit la chaîne des douze causes, dans l'ordre direct et dans l'ordre inverse ». (Mahâvagga I, 1, 2, 7.) L'un fait connaître la production, l'autre l'anéantissement du monde des phénomènes et de la douleur. Les deux aspects sont essentiels. C'est un trait que le pratityasamutpâda, pour l'appeler par son nom (principe de la production des phénomènes par leurs conditions) possède en commun avec plusieurs des sorites du « Mahâbhârata » ainsi qu'avec ceux du « Ta Hio » et de Mencius. De plus, il est, lui aussi, relatif à l'activité; mais tandis que le sorite confucéen offrait une technique de l'action, l'argument des douze causes tend à montrer la vanité de l'action au lieu d'être conçu selon la finalité, comme un agencement de moyens en vue d'un but, il montre, de même que les raisonnements que nous avons extraits de l'épopée, comment certaines manières d'être, certaines fonctions produisent d'ellesmêmes un certain état. Le sorite bouddhiste, comme le sorite confucéen, concerne l'homme; seulement, tant s'en faut qu'il procède de l'activité humaine, c'est l'activité humaine qui est censée en procéder, qui est « agie » par cette loi impersonnelle, non substantielle, mais absolue dans sa relativité même. Quoique le bouddhisme primitif ait voulu l'entendre en un sens tout terre à terre, comme la non-connaissance de la vérité, l' « ignorance » se présenta toujours aux esprits indiens comme un principe cosmique plus encore que comme un état psychique; à cet égard, mais à cet égard seulement, elle ressemble à l'inconscient de Hartmann. L'interprétation morale céda même le pas à l'interprétation ontologique, quand se constitua le Mahâyâna; mais toujours la formule avait eu rapport à l'être, ou plus exactement aux phénomènes, autant qu'à la vie humaine. Deux des sorites du « Mahâbhârata », celui qui prouve l'immanence du Brahman dans le sacrifice et celui qui décrit la genèse des éléments, sont même sans rapport aucun à l'humanité ils prétendent être rigoureusement objectifs, comme est pour un positiviste moderne une loi de la nature. Même lorsque le


sorite indien est relatif à l'action humaine, ce n'est pas,, comme dans le sorite chinois, cette, action mias^qui fait l'unité des divers moments du raisonnement. Le pratîtya-samutpâda, par exemple, renferme en soi son principe moteur ;.notre vie n'est qu'un épisode des évolutions de cet « automate» dont nous ne cessons d'être le jouet que si nous pénétrons sa nature l'ignorance supprimée, le' prestige décevant s'évanouit; connaître l'erreur, c'est proprement posséder la vérité. Le sorite confucéen est tout pratique, aussi prend-il la forme hypothétique; le sorite indien est spéculatif, d'où son caractère catégorique; il suppose la croyance que les phénormènes renferment un élément qui les. rend intelligibles, qui régit leurs rapports et leurs transformations. Le « dharina, », c'est-à-dire indissolublement le phénomène et sa'lôi,Jessènce, le prédicat d'une chose donnée, est un concept assez voisin de la notion, grecque d'oùcrîa, essence réelle et intelligible, concept sans-analogue dans la philosophie chinoise prébouddhique. Les sorites indiens requièrent ce postulat que l'on peut affirmer d'une chose tout ce que contient son dharma; ces raisonnements impliquent donc une connexion causale que nous appellerions analytique. Vers la fin du vie ou le début du viie siècle de notre ère, quand fut constituée une science abstraite de la logique, en pleine possession de ses ressources, l'un des plus grands logiciens bouddhistes, Dharmakîrti s'exprima en toute netteté sur ce point.: « s'il n'y a pas l'une ou l'autre de ces deux conditions si une idée ne contient pas l'autre et n'en provient pas, elle ne peut être indissolublement liée à l'autre ». (« Nyayabindu », dans la traduction russe de. M. le Prof. Stcherbatsky, II, 24, p. 55.) La logique latente de nos vieux sorites n'équivaut pas encore à cette analyse des idées, mais c'est déjà ,une théorie de l'intelligibilité des phénomènes.

III. LE SORITE GREC.

Quoique le sorite grec n'ait jamais fait, croyons-nous, l'objet d'une étude historique, et -critique spéciale, l'esprit qui a' présidé à à, son emploi paraît, par contraste du moins avec notre ignorance des philosophies de l'Asie, assez bien connu.-L'exposition de la nature de cet argument ne nous revendra guère, mais il nous servira de point de comparaison. .•


Avant d'être reconnu comme un raisonnement légitime sous certaines conditions, le sorite apparut en Grèce comme un type de sophisme; ainsi s'explique-t-on qu'une certaine défaveur ne cessa de s'y attacher. Nous faisons allusion à cet argument du tas (combien faut-il de grains de blé pour composer un tas, ccopô;?), qui, ainsi que le menteur, le voilé, le caché, l'Electre, le cornu et le chauve, fut attribué à Eubulide, successeur du mégarien Euclide (Diog. Lsert; 11, 108). L'argument en question tendait à montrer qu'entre les idées « un ou plusieurs grains » et « tas de blé » la convenance est impossible, car le tas existe, ou n'existe pas; et aussi à faire comprendre que les données sensibles se trouvent en perpétuelle évolution, puisqu'on ne saurait dire où commence, où finit un tas; leur réalité est toute d'emprunt. Or les stoïciens, partisans de la validité des sorites, soutinrent au contraire que cet argument triomphe par les souples transitions qu'il effectue; et que c'est précisément aux choses sensibles qu'il s'applique, car il n'y a de réels que les corps. Cette thèse paraît diamétralement opposée à celle des mégariques; les stoïciens auraient-ils donc, par une téméraire gageure, prétendu fonder une logique sur un mode de raisonnement ou bien dénoncé comme sophistique, ou bien incompatible avec leur propre principe de continuité ainsi qu'avec leur conception du réel? Tel est bien, semble-t-il, l'avis des nouveaux académiciens et des sceptiques, obstinés à dénier aux stoïciens le droit d'user du sorite.

Les stoïciens cependant maintinrent avec énergie et subtilité leur foi dans l'efficacité du sorite; sans doute pensaient-ils que l'argument du tas ne les atteignait point, n'infirmait pas leur propre attitude logique. Il n'y aurait même aucun paradoxe à soutenir que la critique du o-copdç par les mégariques a pu inspirer aux adeptes du Portique leur usage du nwpeix-qz.

En effet, le <_a.pdç interdit le passage d'une idée à l'autre, mais affirme l'incessante métamorphose de telle donnée sensible en telle autre donnée sensible; or les stoïciens renoncent précisément à la logique aristotélicienne des essences et s'appliquent à fonder une théorie de la séquence entre les phénomènes physiques. La continuité, le devenir ne gênent que l'intellectualisme; Chrysippe et les siens prétendent s'accommoder de l'une et de l'autre. Le fait que la transition est inexprimable en' concepts leur inspire non plus, comme jadis aux éléates, l'opinion que le mouvement est


chimérique, mais au contraire^ la conviction qu'une logique conceptuelle est futile, Nous :nJimns..jpas jusqu'à dire que la continuité leur paraît d'autant plus réelle qu'elle est moins intelligible, car ils ont cru trouver en elle un type nouveau. d'intelligibilité convenant aux phénoniènes et ils restaient ainsi, en quelque façon, dans la -traiiUon J^rjstote, qui réservant la démonstration au domaine des pures essences, n'aurait pas fait difficulté d'avouer que le sensible requiert un autre type de raisonnement, que par comparaison il aurait déclaré inférieur. A vrai dire, dans leur logique," les stoïciens ne. s'opposent au stagirite qu'en rejetant les oûoicu; ils se montrent, fidèles à son inspiration en proclamant que Ja doptrine_ des corps exige une forme d'argumentation autre que le syllogisme. C'était pour Aristote affaire de dialectique; c'est pour eux le règne du sorite. Soit que cette distinction fût méconnue, soit que des stoïciens mal avisés eussent désiré ramenés le sqrite au syllogisme, toujours est-il que le « soriticus syllogismus», «opeiV/iç cruXXoYt<r[Ao'ç (Acad. II, 16; Lucien de Samosate, Banquet, 23), raisonnement d'ailleurs parfaitement licite, se substitue souyent; au pur sorite. Toutefois, une chaîne de syllogismes, c'est encore du syllogisme; un tel raisonnement ne trouve à s'appliquer que dans le domaine où le syllogisme est légitime le sorite syllogistique- est donc un faux, sorite. Inversement, les sceptiques-crurent triompher, quand ils s'aperçurent que les véritables sorites, celui, par exemple, qui relie la, fatalité à la liberté (Alex. d'Âphrod., De Fato, cp. 33, p. 207 dans von Arnim II, 295), ou celui qui va du bien À l'honnête (von Arnim III, nos 29-37) ;:ne sont pas d'authentiques syllogismes. Quoique le sorite prétende une certaine pâleur probante, il ne doit pas envier au syllogisme r^oSe^iç qui lui est propre; et bien que le sorite syllogistique soit un raisonnement composé, il ne se confond pas avec ce cuvôsTtjcôv 8£wpy)[Aa tout spécial (Alèx. sur Anal. Pr., I, 25-42, 6, 5) qu'on appelle sorite. Si l'on ne peut s'abstenir de conférer une dignité différente aux deux arguments, il faut dire que la raison d'être du:sorite__est précisément son infériorité à l'égard de l'idéal de démonstration ique représente le syllogisme. Reconnaissons d'ailleurs que les stoïciens, malgré l'ingéniosité à laquelle les contraignait l'acliarnpmejii cri tique de la Nouvelle Académie, n'ont présenté du sorite qu'une théorie' bien inconsistante. Ils ont affirmé leur ferme propos d'élaborer une doctrine de la


P. MASSON-OUBSEL. ESQUISSE d'une THÉORIE DU SORITE. 823 C__·a_. 1 t o v.

.wy..vLy. "WU"UJ.~ m.u..wuvmi uu ovnttn. 04J connexion des faits, non de la connexion des idées; mais ils ont conservé la notion aristotélicienne de la relation analytique, applicable sous certaines réserves aux idées, mais dont l'applicabilité aux choses n'est pas évidente (cf. Hamelin, Logique des stoïciens, Année philosophique 12e année, 1901, p. 26). Aussi n'eurentils d'autre ressource que d'admettre à la fois les deux sortes de connexion des rapports analytiques, vraiment intelligibles; et des rapports de fait, constatés à l'état brut plutôt qu'expliqués (É. Bréhier, Chrysippe, p. 76-77); les logiciens du Portique ont donc pu paraître tantôt raisonner en péripatéticiens, tantôt faire présager la théorie inductive de Mill. Il semble bien qu'en droit, sinon en fait, toute relation véritable soit à leurs yeux un rapport d'identité; dès lors le sorite ne se distingue du syllogisme que d'une manière provisoire, comme l'expérience diffère de la raison. Qu'est-ce à dire? sinon que le sorite eut en Grèce la mauvaise fortune de n'entrer en usage qu'après la constitution d'une logique rigoureuse, et qu'il dut à cette circonstance d'avoir des détracteurs farouches et des partisans maladroits. Les probabilistes de la Nouvelle Académie, qui auraient pu lui reconnaître une valeur subordonnée, dans un certain domaine, se firent, en le condamnant, l'écho des exigences d'identité les plus outrancières que puisse montrer l'intellectualisme. Et les stoïciens dogmatiques, malgré leur volonté de l'employer, malgré leur persuasion qu'aucun autre raisonnement ne convient à la connaissance du réel, furent impuissants à concevoir un type d'intelligibilité qui le légitimât. Un sort inverse avait été réservé au sorite dans les philosophies orientales il y était né antérieurement à la logique systématique et il fut supplanté par elle. En présence de la médiocrité du rôle joué par le sorite dans l'histoire de la pensée, devons-nous admettre qu'il méritait sa destinée? ou au contraire les faits attestent-ils que ce raisonnement satisfait certains besoins de l'esprit? Des trois types de sorite que nous avons envisagés, il en est un contre lequel les attaques les plus perfidement subtiles d'un Carnéade ne sauraient porter, c'est le sorite chinois, parce qu'il ne prétend pas à révéler des vérités, mais à guider l'action, et que l'action n'est possible, quelque opinion que l'on ait sur son bien fondé ou sur son caractère illusoire, qu'à certaines conditions imposées par la vie et par le milieu où nous vivons. A l'inverse, parmi les trois espèces étudiées, il en est une qui se présente


comme entièrement théorique ou spéculative c'est le sorite grec aussi éprouve-t-il tant de difficulté à se maintenir à- titre de raisonnement autonome auprès du raisonnement qui aux yeux des Grecs représente la science même le syllogisme. Le sorite indien occupe, à maint égard, une situation moyenne "sans être ni purement humain comme le sorite confucéen, ni tout abstrait comme la sorite hellénique, il prétend fournir, une explication- fondée sur la production, et pourtant expliquer non des actes, mais des manières d'être, voire même des choses. Si vague, si sommaire que soit cette comparaison, peut-être suffit-elle ji montrer où réside l'originalité du sorite. Le sorite d'identité rêvé par les stoïciens se confond, à la limite, avec la déduction analytique ou avec la tautologie; le sorite pratique décrit par Confucius a rapport à l'activité, non à l'intelligibilité de là son caractère inattaquable; le sorite par production d'équivalences conçu par la philosophie indienne se soustrait.à la stérile identité grâce à son pouvoir interne de développement. Cette leçon que nous donnent les faits signifie qu'un raisonnement différent de la simple analyse conceptuelle est possible dans la mesure où ce raisonnement cherche à placer l'intelligibilité dans la productivité même. Nous le savions déjà par l'histoire de la dialectique fondée par Platon, éclipsée ensuite parle prestige .de la démonstra^ tion aristotélicienne, abandonnée, aux rhéteurs et aux pyrrhoniens, nous la voyons par contre cultivée^ par un Proclus, un Spinoza, un Hegel. Le sorite fut, dans trois/grandes civilisations, un modeste instrument de dialectique, 'à. la fois trop célèbre et trop décrié; honni par une logique aspirant à être toute analytique, il présente quelques titres à être :réhabilUé comme l'obscur collaborateur d'une logique plus consciente, des exigences synthétiques de la pensée. *v^

PAUL MASSON-OURSEL.


ÉTUDES CRITIQUES

LA PHILOSOPHIE DE GEORG SIMMEL (3° article.)

III. LA RELATIVITÉ DE LA connaissance HISTORIQUE. La théorie relativiste de la connaissance, telle qu'elle se dégage de la Philosophie des Geldes et des Vorlesungen ueber liant, trouve son application immédiate dans l'analyse des conditions de la connaissance historique, que Simmel entreprend dans les Probleme der Geschichtsphilosophie. La nécessité d'élargir le formalisme kantien et de l'étendre, au delà de la connaissance de la nature physique, à celle de la nature morale elle-même, relative elle aussi à certains a priori, va s'y trouver confirmée à propos d'un cas privilégié. L'objet des Probleme der Geschichtsphilosophie est en effet de montrer, à l'encontre du réalisme historique, que l'histoire n'est pas la traduction pure et simple de la réalité immédiatement vécue, mais que la connaissance historique est, comme la connaissance en général, commandée par des a priori. Le rôle de la pensée, dans l'information du donné historique, apparaît sans doute moins nettement que dans l'information du donné physique, parce que le donné historique est déjà de l'esprit, en sorte que le contraste entre la forme et la matière de la connaissance historique ne ressort pas en si pleine lumière que le contraste entre la forme et la matière de la connaissance physique. Mais si, comme Kant l'a fait pour la science de la nature, on se demande comment l'histoire est possible, force est de reconnaître que la réponse formulée par Kant pour la nature à savoir que la connaissance physique est rendue possible par l'existence de formes a priori de- la pensée doit être étendue à l'histoire elle-même. Ainsi se trouveront écartés, du même coup, par


l'extension du formalisme.kantien, les deux périls qui menacent la liberté humaine et la souveraineté de l'esprit, le déterminisme physique, ou naturalisme, d'une part, et le déterminisme historique, ou historisme, d'autre part': deux périls dont Kantien limitant sa critique à la connaissance de la naturel physique, n'a écarté que la premier. Par là aussi, en même temps que se trouveront déterminées* du point de vue de la critique de la connaissance, les conditions qui rendent possible la science historique1, se trouvera définie également, suivant une méthode.semblg,ble.à celle que Simmel appliquée, déjà à la définition de la réalité morale, de la réalité physique et de la réalité économique, et d'un point de vue philosophique, -– c'està-dire dans sa signification profonde pour la vie et dans les énergies mentales qui entrent en jeu pour lui donner sa forme, – la réalité historique. "'•̃ ̃'̃̃'̃

Des trois parties que comprennenUes Pro&Zeme der Geschichtsphilosophie, la première est consacrée aux. conditions internes de la recherche historique, la- seconde auxjois dej'histoire, la troisième: à sa signification philosophique.

Quelles sont, d'abord, les condiMons^de la recherche historique? « Si la théorie de la connaissance en général, écrit Simmel, est commandée par ce fait que laconnaissanceestun^représenlation et que son sujet est une âme, la théorie de la connaissance historique est commandée en outre par ce-fait que-son-objet aussi est la représentation, la volonté et la sensibilité: de certaines personnalités, autrement dit que ses contenus objectifs sont des âmes.: Tous les événements extérieurs, politiques'et sociaux, économiques et religieux, juridiques et techniques, ne sauraient être intéressants niintelligibles pour nous s'ils ne dérivaient pas des mouvements de l'âme et ne provoquaient pas des mouvements de l'âme. Si l'histoire ne doit pas être un jeu de marionnettes, elle, est. donc l'histoire d'événements psychologiques, et tous les événementjs .extérieurs qu'elle décrit ne sont que les ponts entre les impulsions et actions volontaires d'une part, et d'autre part, les réflexes sentimentaux déclanchés par ces événements extérieurs. Cette remarque ne saurait être infirmée par les essais qui ont été tentés pour'ramener l'événement historique, dans ses déterminations particulières, à 'des conditions physiques. La nature du sol et du climat serait aussi indifférente pour le cours 1. Cf. Problème der Geschiùhlsphllosophle, 3< > éditioà, Préface, p. vm.


de l'histoire que le sol et le climat de Sirius, si elle n'influençait pas directement et indirectement la constitution psychologique des peuples. Aussi le caractère psychologique de la recherche historique semble-t-il lui imposer pour idéal d'être une psychologie appliquée, en ce sens qu'elle se rapporterait à la psychologie, s'il existait une psychologie déterminant des lois, comme l'astronomie à la mathématique »

Certes, l'histoire ayant affaire, au moins pour partie, à des personnes, il peut paraître utopique de vouloir comprendre l'individu historique comme le simple point de rencontre de lois psychologiques générales. Déjà, dans YEinleilung, s'était posé le problème de savoir comment la généralité de la loi morale pouvait se concilier avec l'existence de facteurs individualisant les situations et les cas moraux ce problème, Simmel l'avait résolu par la conception d'un atomisme éthique parallèle à l'atomisme physique. L'atomisme physique et l'atomisme éthique ont pour pendant, dans le domaine de l'histoire, l'atomisme psychologique. Il en va des lois psychologiques comme des lois physiques et de la loi morale elles ne peuvent s'appliquer aux phénomènes qu'en s'appliquant à un substrat qui soit une réalité immédiate, non dérivable elle-même à partir de bis. « Ce reste irréductible, écrit Simmel, sous l'hypothèse duquel et jusqu'auquel, comme limite, les lois de la nature peuvent accomplir la réduction des phénomènes matériels immédiats, existe peut-être -tout à fait de la même manière dans le domaine psychologique; seulement il n'est pas un et identique pour toutes les séries phénoménales, mais il y en a un particulier pour chacune d'elles. De même que la matière porte avec elle certaines déterminations premières, qui appartiennent au monde des corps comme à un ensemble individuel, et qui ne contredisent en aucune manière la généralité de ces lois, mais précisément rendent possibles leur efficacité, ainsi chaque âme pourrait posséder une qualité originelle qui n'est pas davantage une modification, conforme à des lois, d'un donné primitif et ce serait seulement sous l'hypothèse de cette qualité que les lois, valables également pour toute âme, entreraient en jeu pour déterminer les phénomènes de l'expérience psychologique 2. » Cette matière, ou ce contenu, dont les lois psychologiques ontbesoin pour ne pas osciller et rester en l'air, Simmel l'appelle leur a priori réel 1. Cf. Ibid., ch. i, p. 1.

2. Cf. Ibid., p. 2 et suiv.


(ihr reales A priori1); elle est mfinjnfent diverse, et produit des réalités d'une individualité incomparable et irréductible ». Ç'a été le tort de Kant, de méconnaître cette réalité immédiate de l'individu comme tel. et de spéculer sur Ihomme abstrait et général, sur l'homme de tous les pays et de tofts les temps, qui n'est évidemment qu'un mythe3. Aussi conçoit-on que la réaction contre1 là morale kantienne, qui hypostasie la notion dô,rb_amme abstrait, se soit faite au nom de l'histoire, qui repose, aii contraire, sur la conception de la réalité humaine comme constituée par une-multitude d?individua-,lités irréductibles. ̃' i ^i

Toutefois, si la réalité psychologique est la matière dé l'histoire; il est bien évident que le point de vue de l'historien sur.cette réalité ne se confond pas avec celui du psychologue. Car, tandis que le psychologue porte surtout son .attention sur les, processus de la conscience, en faisant abstràction,autant que possible, de ses contenus; f ce qui intéresse l'historien, «; c eskmimsle développement. des contenus psychologiques, que- le développement psychologique des contenus* ». Le point de vue de rhistoire, est ainsi, dans une.certaine mesure, « intermédiaire entre celui de ^analyse pure, de 1.'analyse logique des contenus de la conscience, et 'celui de la psychologie, c'est-à-dire de l'analyse. dypamique des mouvements psychologiques des contenus5». La différence entre la psychologie et l'histoire se. ramène donc à une simple différence de point de vue. «Chacune de ces deux sciences pose l'unité 4e la réalité et du devenir.psychologiques, unité que nous rie faisons que vivre dans son immédiateté, mais que nous ne pouvonssaisirj en pleine lumière. Nous divisons cette unité, pour la traiter intellectuellement, en processus et en contenu; et la division du travail scientifique créé d'une. part la psychologie, pour construire le processus, et -̃– en quelque sens qu'elles soient déterminables, les lois qui le régisssent, d'autre part les sciences de la logique et de la concevabilité objective, pour rechercher les contenus abstraction faite du processus par lequel ils se réalisent psychologiquement, d'autre part enfin l'histoire, dont:, comme on le verra, les. objets ne- sont déterminés que par une importance et une signification ^réelles, de quelque nature qu'elle ̃i. Cf. ibid., p. 3. v .•̃;̃̃ 2. Cf. Ibid., p. 4. •. ̃

3. Cf. Vorlesungen ueber Kant, 16" leçon.

4. Cf. Probleme der Geschichtsphilosophie, p. 4.

5. Cf. Ibid. _̃-̃•_


soit, et qui suit, dans le développement par lequel le processus psychologique se réalise, les contenus qu'elle a choisis en raison de ce caractère essentiel ( Wesentlichkeit '). »

Le point de vue propre àla recherche historique n'est pas seulement déterminé par l'a priorité de son contenu pur, c'est-à-dire par l'hypothèse d'un substrat réel des individualités. Un grand nombre d'autres a priori contribuent à le déterminer, a priori dont l'intervention vérifie la nécessité de cette extension et de cet assouplissement du formalisme kantien, qu'ont mise en lumière les ouvrages antérieurs de Simmel, et en particulier les Vorlesungen ueber Kant. Ces a priori, qui commandent la connaissance des contenus de la vie psychologique, sont plutôt, à vrai dire, des synthèses empiriques devenues inconscientes par suite de l'habitude, et qui fonctionnent comme a priori; ils sont moins des concepts abstraits que des fonctions réelles, jouant dans la représentation un rôle dynamique, du moins si on les saisit dans leur immédiateté; ils sont moins des formes transcendantes à la vie psychologique que des orientations de la spontanéité de l'esprit mais ils n'en conditionnent pas moins la recherche historique, de la même manière que les a priori kantiens conditionnent la science physique 2. Où l'on voit entrer en jeu ces a priori psychologiques, c'est, par exemple, dans l'hypothèse que l'âme d'autrui constitue une unité unité que nous obtenons en complétant les données de notre observation t. Cf. ibid., p. 5.

2. Un texte très significatif des Probleme der Geschiehlsphilosophie précise les rapports de ces a priori avec l' « a priori réel qui vient d'être défini comme le substrat de l'individualité. « J'ai, écrit Simmel, opposé ici la forme, qui doit recevoir une matière pour devenir l'histoire scientifique, à la réalité vécue, qui serait précisément cette matière. Mais maintenant il serait possible de concevoir aussi cette réalité comme une forme, dans laquelle s'habille un contenu d'événements. Peut-être ce dernier ne peut-il jamais entrer dans une conscience par lui-même, mais il est situé pour cette conscience à l'infini, de telle sorte que les formes par lesquelles et dans lesquelles nous le composons s'approchent seulement de lui à des distances diverses. Cette pure réalité serait comparable en quelque sorte au pur contenu de nos concepts, que nous pensons aussi comme quelque chose d'idéal, existant au delà de sa réalisation psychique comme au delà de sa réalisation extérieure, avec une valabilité logique, alors même que cette pensée l'introduit déjà dans la forme psychologique et en effet l'àme humaine possède la faculté, inexplicable logiquement, de penser (denken) le contenu de ses représentations, c'est-à-dire ce qu'elle conçoit (meint) avec ces représentations, comme si elle ne le pensait pas (dci.ch.le), comme s'il était séparé de la forme de l'acte de représenter, dans lequel il se trouve cependant par là même. Le vécu réel (Das wirksame Erleben) est lui aussi une catégorie a priori, dans laquelle notre fonction de représentation embrasse un contenu, de la même manière qu'une autre fois il le reçoit en tant que connu ou mora-


d'autrui ou dans la déformation que les témoins font-subir, dans les relations qu'ils en donnent,- aux événements auxquels ils ont assisté déformation qui résulte dé ce qu'ils complètent ce qu'ils' ont vu d'après le sens qu'ils lui ont prêta ou dans l'élaboration que nous faisons subir inconsciejmnejji aux .données fragmentaires de nos sens, élaboration qui consiste à compléter ces données à la lumière de nos impressio.ns antérieures. Nous complétons les événements complexes sur lesquels porte la recherche historique, et ce parachèvement (Ergânzung)' est déterminé « par des postulats psychologiques, par les expériences sur :la continuité et l'évolution de la vie mentale, sur la corrélation de ses énergies, sur le terme des processus téléologiques -1 ». Mais, tandis que, lorsqu'elle porte sur des événements simples, cette interprétation à la lumière des a priori psychologiques présente un caractère de certitude suffisante, elle tombe dans l'incertain et mndjijt ;.à d'innombrables erreurs quand elle porte sur des événements complexes. Ces erreurs en font bien ressortir le caractère problématique, auquel l'histoire échappe d'autant moins qu'elle les accepte le plus souvent « sans preuve et sans méthode 2 ».,Les-,mémes, événements internes (amour, haine, etc.) peuvent avoir des conséquences externes tout à fait différentes. Si les Hébertistes, après avoir favorisé les .desseins de Robespierre qui favorisait les leurs, se sont retournés contre lui le jour où il conquit la puissance: suprême, ces faits historiques forment une série pleinement-intelligible dès l'instant où on les interprète à la lumière de ces deux postulats psychologiques en favorisant les desseins d'un parti on gagnesa faveur, et en dominant ce parti on s'attire sa haine-et sa jalousie. MaisJL est bien, évident que ces deux postulats n'ont qu'une valeur relative et problématique. Il arrive aussi bien qu'un parti n'ait, dès l'abord, qu'ingratitude à l'égard des services qui lui sont rendus par un de ses membres; et il arrive également que, dans l'élévation de ce dernier, il ne voie qu'un accroissement de sa propre puissance, un moyen de conquérir une part de la domination suprême, et, au lieu d'en prendre lement obligatoire. Les catégories de la recherche historique seraient alors comme des catégories à la seconde puissance; pïïisqu' elles ne peuvent devenir efficaces qu'en s'appliquant à une matière, après que cette matière a passé par la catégorie du vécu à peu près comme un seul et même contenu doit se présenter sous une forme sensible, pour pouvoir être,.seulement spris cette forme, reçu dans les formes de l'enlendement. Cf. f't-oc~eme~e)' GMC/tteA~/M/osojo/Ke, p. 59. 1. Cf. Ibid., p. 9. ~7~TÏ

2. Cf. Ibid., p. 10. ̃̃• -=-=


ombrage, s'en montre satisfait. La raison par laquelle ces deux postulats s'appliquent à l'histoire des Hébertistes, tandis qu'ils ne s'appliqueraient pas à celle d'un autre parti, ne pourrait être découverte que dans l'individualité profonde des personnages historiques considérés. Quand une même constellation psychologique parait produire, chez deux individus différents, des effets divergents, c'est qu'une différence dans les conditions de l'effet, différence qui a sa racine dans la divergence profonde des natures individuelles, s'est dérobée à notre regard. Avec des concepts généraux, comme ceux d'amour, de haine, d'intelligence, d'énergie, etc. nous ne parvenons que très difficilement à comprendre et à exprimer ce qu'il y a d'individuel dans les facteurs de la vie psychologique, c'est-à-dire leur nuance, leurs proportions, leur jeu, leurs corrélations. « Cette imperfection signifie peut-être que nous ne pouvons pas exprimer ce qu'il y a de purement individuel dans le processus psychologique, sous la forme de la connaissance scientifique, qui se sert de l'intermédiaire des concepts, et que la réalité psychologique n'est pas accessible à la pure connaissance en tant que telle. Nous ne pouvons peut-être exprimer la réalité psychologique en général, que dans la mesure où une humanité générale, ou au moins relativement générale, vit en elle. Le resserrement dans le concept général, qui est situé au delà de toutes les diversités individuelles, serait la seule expression possible de ce que la connaissance peut atteindre de leur être, au point de vue de leur contenu » En d'autres termes,les postulats ou les a priori qui commandent la connaissance scientifique des contenus de la conscience, seraient trop larges pour ces contenus. Ce n'est pas à dire, cependant, que toute connaissance scientifique de ces contenus soit rendue par là, infirme et caduque, et qu'il faille se ranger à l'opinion sceptique, qui nie absolument la valeur de ces postulats et de ces interprétations psychologiques. Bien au contraire, ces postulats et ces interprétations, qui reposent sur la « vraisemblance psychologique », sont seules capables de rendre les événements historiques intelligibles, et par suite de les ordonner scientifiquement. « Même dans les cas les plus sûrs, ce n'est pas la « réalité simple » qui décide de l'intelligibilité de la conséquence, mais des propositions psychologiques introduites par l'historien, auxquelles la « réalité simple » sert de support, de manière à rendre la consé1. Cf. Ibid., p. 14, note.


cution possible et intelligible. » Et ainsi, tout en mettant en lumière la valeur purement relative de la commissance par concepts, Simmel, à la différence ;de :M: Bergson, nie ,1a possibilité d'une connaissance positive .directe de Irréalité immédiate, et conçoit la connaissance par concepts comme seule possible. Par là, quelles que soient par ailleurs les affinitéîylu relativisme simmélien avec le bergsonisme, il s'en sépare radicalement au point précis où le bergsonisme se couronne par une métaphysique. deTintuition. Simmel se cantonne sur le 1 que Kant a délimite comme étant celui de la théorie de la connaissance, -et la réalité^ immédiate n'est pas pour lui quelque chose de connaissable par soi, mais seulement une condition ou un postulat de la connaissance, ou encore, par opposition à ses « a priori formels », son « a priori réel ». Et, si l'on recherche des raisons profondes de cette divergence des deux doctrines, qui apparaissent à tant d'égards xo%rae parallèles, il semble bien qu'il faille les chercher dans ce fait que, du moins dans les Problème der Gesckichtsphilosophie, la réalité immédiate est conçue par Simmel comme essentiellement individuelle, tandis que-l'objet de-l'intuition bergsonienne paraît être, au contraire, au delà des formes individuelles à travers lesquelles elle; se réalise, l'évolution générale de la conscience et delà vie. On comprend en effet que, suivant-qu'elle est conçue comme constituée par une infini Là d'individualités irréductibles, ou par l'évolution d'un principe spirituel toujours conforme, en ses multiples incarnations, au Jype qu'il affecte au regard de l'intuition de conscience, la réalité immédiate puisse apparaître, dans un cas, comme inaccessible a ^pensée, et dans l'autre comme pensable intuitivement. SH'^inZeifim;? contient, comme on l'a vu, une conception au moins- implicite de l'évolution de la vie, dans le domaine moral, conception dont les Problème der Geschichtsphilosophie ne renferment point l'équivalent dans le domaine de l'histoire, il ne faudrait pas se hâter de conclure que la pensée de Simmel s'est engagée successivement, comme le fait s'est si souvent produit au cours de l'histoire- de la philosophie, dans la direction individualiste et dans la direction panthéiste, sans réussir à concilier, dans une suprême corrélation, ces deux points de vue opposés. Le relativisme simmélien échappe à cette objection. L'individualité des contenus et l'évolution une et indéfinie de la forme de la vie sont en

1. Cf. ibid., p. 15.


oilet, pour Simmel, deux facteurs corrélatifs; et cette corrélation est commandée par la distinction fondamentale, qu'il emprunte au kantisme, des processus et des contenus de la conscience. La mora. hte, naissant de l'élaboration progressive d'une forme qui s'impose aux processus mentaux, pourra être considérée comme le produit d'une évolution générale de la vie dominant les individus, tandis que la réalité historique, constituée par les contenus mêmes de la conscience, apparaîtra nécessairement comme individuelle sans qu'il y ait entre ces deux conceptions, portant sur des objets distincts, une opposition inconciliable. C'est, au contraire parce qu'il se place dès l'abord au delà de la distinction de la forme et du contenu et parce que la réalité est essentiellement, pour lui, durée, devenir progrès dynamique, tension, c'est-à-dire en somme processus, ou forme, dans le sens que Simmel donne à ce mot, que M. Bergson peut la concevoir comme directement saisissable, dans son immédiateté et dans sa totalité, à l'intuition métaphysique.

Quoi qu'il en soit, une double conclusion se dégage de l'analyse sirnmélienne des postulats psychologiques de la recherche historique c'est, d'une part, l'affirmation du rôle nécessaire de ces postulats, et, d'autre part, la reconnaissance de leur caractère hypothétique. Ce caractère hypothétique s'accentue encore lorsque les causes à partir desquelles se développe l'événement historique sont inconscientes, comme c'est le cas quand il est l'œuvre des masses. Un tel événement étant de tous points analogue à celui qui est supporté par une pensée et une volonté consciente, nous inférons de cette analogie que les mêmes motifs mentaux l'ont déterminé, mais en agissant inconsciemment. Cette inférence constitue un nouveau postulat psychologique de l'explication historique. « La motivation inconsciente, remarque Simmel, n'est réellement pour nous que l'expression de ce fait que la motivation réellement efficace nous est inconnue; elle signifie seulement que la motivation'consciente n'est pas à notre portée; et le fait que nous faisons de cette chose purement négative quelque chose de positif, que nous transformons quelque chose de non-conscient en quelque chose d'inconscient, qui serait une forme déterminée de la vie mentale, est un biais qui exprime seulement le besoin de remplir par un motif psychologique la place vide de la causalité dans l'action humaine'. »

1. Cf. Ibid., p. -16.


C'est affaire d'interprétation personnelle que de déterminer quel doit être dans l'explication historique, le.rôle respectif de Ces deux modes de motivation, la motivation consciente et la motivation inconsciente. II v a en réalité, chez; les peuples comme chez les individus, deux mouvements iùversëset corrélatifs l'un qui va du conscient à l'automatique, l'autre qui va de l'inconscient au conscient. On recourra de préférence à la ^motivation consciente quand les causes des événements paraîtron t ressortir a lavolonté des individus, et en particulier à celle; des grands hommes, qui sont en quelque sorte la conscience de leur temps, et à la motivation inconsciente quand ils paraîtront ressortir aux tendanees_6bscures des masses. La préférence personnelle de l'historien pour l'un ou l'autre mode de motivation sera corrélative à son opinion sur le rôle respectif des individualités fortes et des masses dansia production des événements historiques. De même, là question de .savoir si le jeu des forces sociales impersonnelles, institutions, mœurs, organisation économ ique, doit être intériorisé aux consciences individuelles, ou considéré comme s'accomplissant en dehors et au-dessus d'elles, ne peut être tranchée qu'en fonction des préconcep lions propres de l'historien, qui accentuera davantage, selon l'orientation ,de son système du monde, l'action desforcessocialessurrindmduôuractionderindividusurles forces sociales, deux facteurs corrélatifs de la production historique. Ce n'est pas tout. Si l'on s'en tient à implication par les motifs conscients de l'individu, cette explication soulèvera encore une autre difficulté. Pour comprendre un acte particulier, il faut rattacher cet acte à l'ensemble de' la personnalité dont il dépend, mais aussi, pour s'élever à une idée d'ensemble de cette personnalité, il faut partir de ses actes particuliers, et en abstraire leurs caractères communs. « Là se trouve, remarque Simmel, le cercle souvent dénoncé, qui consiste à construire une force causale avec des pheno^ mènes donnés, pour expliquer ensuite ces phénomènes par cette force. Et pourtant ce cercle est Ici inévitable. Les phénomènes psychologiques isolés ne peuvent, dans des cas innombrables, être compris, ordonnés, appréciés, que s'ils relèvent d'un « caractère déterminé, caractère qui né peut être dégagé que de ces phénomènes isolés. Cette nécessité paraît relever des cercles fondamentaux de la connaissance* », de ces cercles dont les Vorlesungërl

1. Cf. Ibid., p. 22.


ueber Kant et les Probleme der Geschïschts philosophie ont mis en lumière la valeur démonstrative, compréhensible seulement dans un système relativiste.

Il faut ajouter que, dans l'interprétation des personnalités, l'historien conclut de l'existence de certaines manières d'agir à la possibilité de certaines autres. Or cette conclusion n'est pas une conclusion purement logique. Elle a pour prémisse, ou pour postulat, une expérience psychologique réelle. « Ce serait, écrit encore Simmel, un des objets les plus importants de la philosophie de l'histoire, que de déterminer ces normes que nous prenons pour règles de l'unification des caractères, pour critères de la réalité donnée, et pour véhicules de l'exposition, et qui, dès qu'une réalité donnée et sa valeur psychologique sont posées, en tirent un schéma anticipateur pour ce qui devra désormais valoir comme vraisemblable ou invraisemblable dans la formation de cette personnalité; que de délimiter la marge dans laquelle nous tenons cependant pour possibles des actions qui s'en écartent, que de définir les développements et les transformations que nous acceptons comme résultant du principe interne de la personnalité, et ceux dont nous croyons devoir chercher l'explication dans les circonstances extérieures. Car sans aucun doute il y a des règles déterminées de cette interprétation, règles sous-entendues, d'un commun accord, par l'historien et son lecteur, mais dont la détermination n'a pas encore été faite » L'interprétation des groupes sociaux exige une construction psychologique du même genre, commandée également par des a priori. Quand l'historien fait intervenir les sentiments et les tendances d'un groupe, ces données ne sont jamais établies pour tous les membres du groupe. L'unité du groupe est construite par l'historien, soit d'après les événements psychologiques qui se sont produits chez ses chefs, soit d'après un type psychologique moyen, soit d'après les sentiments de la majorité. Voulant expliquer pour quelles raisons les whigs se sont proclamés partisans d'un bill, Macaulay propose quelque chose comme dix motifs de leur attitude. « Il est bien évident que, dans la conscience d'aucun d'entre eux, ces dix motifs n'ont pas été donnés simultanément et avec la même force. Le parti dont l'unité psychologique a produit ces motifs n'est évidemment qu'une image idéale, une fiction née dans i. Cf. Itid., p. 2i.


le cerveau de l'historien commeAsynthèse/ des réalités- données1. ». Qu'est-ce à dire, sinon que l'activ|té des groupes, comme, celle des individus, ne peut être comprise par l'historien que sous certaines; hypothèses, qui, pour être/valable.s, doiyent être conformes à certaines normes hypothèses dont la principale est qu'il existe un fondement psychologique, conscient_et: inconscient, des actes individuels et des phénomènes sociaux?

Si, au lieu d'analyser abstraitement, et d'un point de vue. théorétique, les postulats impliqués par l'intelligibilité historique, on suit dans son fonctionnement l'intelligence de l'historien, s'appliquant comprendre un événement, on apercevra deux procédés principaux. qu'elle met en oeuvre. Le premieircSirslste dans un effort d'imagirnation et de sympathie, par lequel l'historien se place dans l'âme des personnages ou des groupes historiques. Il. faut que l'historien reproduise en lui les contenus psychologiques qui se sont produits chez le sujet qu'il étudie ce qui n'est possible, semble-t-il, qu'autant qu'il a lui-même auparavant vécu des contenus analogues. Mais il est évident. aussi que cette reconstruction He saurait jamais être; une reproduction absolument exacte, puisqu'elle est commandée; par la personnalité de L'historien. Le second procédé consiste à, poser comme extérieurs et comme ressortissant, à un autre, à un, non-Moi, ces contenus vécus. Mais, si' L'intelligence historique met en œuvre ces deux procédésv;quiv à l'analyse, apparaissent comme; distincts, on ne saurait conclure de la à. leur distinction réelle.. Cette distinction n'est opérée qu'après coup. Les deux jugements qui viennent d'être distingués, (je me; représente en moi, mais ce n'est pas moi que je me représente), ttë.restenl pas isolés en face l'un de l-'autre. Ils sont donnés, dans-une corrélation vivante, qui accom-rpagne immédiatement, .comme s,ô.n exposant, le. contenu de .la- connaissance historique. Ou plutôt ;ces; deux jugements corrélatifs se résolvent, pour la conscience de l'historien, dans Je sentiment d'une « valeur typique » qui.. s,' attache à certains de ses contenus, « Cette valeur, écrit Simmel,- qua nous attribuons à des séries psychologiques déterminées,et qui se manifeste dans leur capacité d'être universellement reproduites au dehors, est ici à proprement parler une qualité immédiafe du" processus même de.la représémtation, comme un sentiment qui flotte en -lui à la manière d'une 1. Cf. Ibid., p. 26. ̃–•̃-̃


harmonique {Oberton). » Il en va donc de l'objectivité historique comme de l'objectivité qui s'attache à la connaissance en général, à la valeur, et au devoir moral consistant, non dans la correspondance à la réalité, ou dans la conformité à un ordre logique, mais dans un trait caractéristique de l'acte de conscience, dans une forme spontanément revêtue par les contenus psychologiques, elle se soustrait à la confirmation de l'objet comme à la contradiction logique. Elle s'affirme comme une exigence idéale, comme un sens supra-personnel du vécu, sens et exigence qui portent en soi-même, en dehors de toute justification extérieure, la marque de leur valeur. Son dernier fondement doit être cherché dans l'unité profonde de l'àme, dans la cohésion intime et la corrélation dynamique de ses représentations, dont la coloration par la même nuance et la pénétration par le même sens se traduisent à la conscience, pour tous les ordres de connaissance, par le sentiment d'une valeur supérieure au moi, et, lorsqu'il s'agit de lac connaissance historique, se projettent au dehors dans l'affirmation d'un autre moi.

Par se trouve mise en lumière l'erreur du réalisme historique, qui conçoit la connaissance historique comme une copie de la réalité, copie dont la valeur, comme connaissance, se mesurerait à sa fidélité. Jamais l'histoire n'est la reproduction mécanique, comme dans un miroir, du donné. Comme toute connaissance, la connaissance historique transpose le donné immédiat en une autre langue, et le soumet à des formes, à des catégories, à des exigences qui lui sont propres. Nulle part cette transposition ne se laisse mieux apercevoir que dans l'autobiographie, qui, si le réalisme historique était le vrai, devrait être la transcription pure et simple_de la série vécue, et comme sa notation photographique, mais qui en réalité exige un choix parmi les événements, et leur arrangement dans un ordre nouveau, en sorte que la série psychologique vécue et la série historique apparaissent comme deux tons différents, dans lesquels est transposée la même mélodie. Mais ce qui est vrai de l'autobiographie ne l'est pas moins de la biographie et de tous les genres historiques. L'histoire catégorise les événements psychiques autrement que la conscience immédiate; la continuité qu'elle établit entre eux diffère profondément de celle de la série vécue. Si l'on admet que la vie soit faite d'une multiplicité de séries, interrompues, puis reprit. Cf. Ibid., p. 34.


ses, puis interrompues et reprises de nouveau, (comme si nous entreprenions successivement plusieurslectures, en les interrompant; les unes par les autres et en les reprenant à la suite l'une de l'autre), on devra admettre également- que l'historien, et le psychologue, en construisant tous deux avec ces matériaux une série continue, ne donnent pas à cette continuité la même orientation et le même sens. Ainsi se trouve précisée encore la distinction établie dès l'abord entre la psychologie et l'histoire. Pour construire sa synthèse, l'historien ne prend qu'une partie des éléments que-lui fournit la réalité psychologique. L'histoire n'est qu'une psychologie, fictive et abstraite. En outre, il arrive qu'au lieu de rattacher les ^événements à l'histoire de certaines individualités, l'historien les rattache à celle d'objets réels ou idéaux. Cette dualité de l'histoire des sujets et de l'histoire des contenus apporte'une nouvelle preuve à l'appui de cette idée, que l'histoire n'est pas la-pure copie du réel: car cette dualité n'a pas son fondement dans la réalité. elle-même, mais dans l'attitude de l'historien, qui traduit cette réalité dans l'une ou l'autre langue, de même, que la substance spinoziste se traduit tantôt en pensée, et tantôt en étendue.

Qu'est-ce à dire, sinon que les conditions de la pensée, historique sont, en somme, fort semblab}es__à celles de la pensée esthétique? Le rapprochement de ces deux modes de J'activité- intellectuelle achève de caractériser l'attitude de l'historien.- L'art exige, lui aussi, une interprétation, une organisation dans une synthèse cohérente; et c'est ainsi que la vérité d'un portrait se mesure à son unité, à la corrélation de ses traits, à la nécessité interne en vertu de laquelle. ceux-ci s'appellent et se.,commandent les uns les autres. Une telle unité ne peut être produite que. par la pensée de l'artiste, qui a se placer à un point de vuedéterminé, et en quelque, sorte central. Par même, l'œuvre d'art ne saurait non. plus. reproduire la réalité à la manière d'une copie. Du fait qu'il seplace vis*â- vis d'elle à un certain point de vue, l'artiste ne saurait en atteindre le tout. Le peintre, le sculpteur, le, musicien n'en retiennent chacun que les élémenls qui sont susceptibles d'en; traduire au dehors l'essence profonde, dans le langage spécial de chacun d'eux. Bien plus, deux peintres de portraits, traitant le même sujet, ne sauraient le traiter de la même façon. Ce rapprochement de l'histoire et de Fart permet de comprendre pourquoi il ne peut y avoir d'histoire générale, mais seulement des histoires spéciales; une histoire des langues, une


histoire de la technique, une histoire de l'art, une histoire des religions, etc. La raison en est la même que celle pour laquelle il n'y a pas un art complet, mais seulement des arts spéciaux. Et chacun de ces arts, comme chacune de ces histoires, ont un concept de vérité qui leur est propre, concept déterminable en fonction du point de vue, c'est-à-dire, en somme, de la distance à laquelle le sujet s'y place en face de l'objet.

Ainsi art et histoire sont commandés au même titre par la subjectivité et la synthèse à laquelle ils aboutissent tous deux est une synthèse subjective. On peut le regretter; mais il y a là une inéluctable nécessité, du même ordre que celle qui régit, comme Kant l'a bien vu, la connaissance en général. La subjectivité, qui, en un sens, paralyse la connaissance, en est aussi, en un autre sens, la condition; et la suppression de la subjectivité, qui est l'idéal du connaître, en serait la mort. Si l'on voulait, avec Ranke, effacer son moi pour connaître les choses en elles-mêmes et s'abîmer en elles, il ne resterait plus rien, après cet effacement, où puisse se produire la représentation du non-moi. Cette représentation n'est possible que dans un sujet. Et par là il faut entendre, non une sorte de sujet général, dépouillé de toutes particularités individuelles, mais l'individu, dans toute son originalité. C'est un fait que, seuls, les peintres très personnels réussissent bien le portrait il en est de même, du moins quand il s'agit de l'histoire des personnes (sinon quand il s'agit de celle des contenus), pour l'historien, qui ne parvient à faire revivre les grandes figures de l'histoire qu'autant qu'il est lui-même une personnalité forte.

L'historien est donc, en définitive, un artiste. Non seulement l'art seul atteint l'essence profonde des contenus de la vie, qui sont également l'objet de l'histoire, mais encore il est seul capable de faire revivre ces contenus, en eux-mêmes individuels, avec une valabilité générale. Cette généralité, à vrai dire, n'est point celle du type, qui est le produit d'une généralisation, laquelle a extrait d'une pluralité d'objets un caractère commun c'est la généralité d'un symbole, ou d'un sens, où se rejoignent et communient, non une pluralité d'objets, mais une pluralité de sujets, une pluralité d'âmes. Prêter à l'individuel une généralité de ce genre est le secret de l'historien comme celui de l'artiste. Et il n'est même pas nécessaire, pour cela, qu'il y ait, entre l'historien ou l'artiste et le sujet qu'ils traitent, cette affinité profonde qui résulte de ce qu'ils en


auraient vécu par eux-mêmes les contenus c'est le propre du génie de produire en soi-même, par unelsorte'd'auto-suggestion, des contenus qui n'ont jamais été vécus par lui, et qui, sans. en être à une trop grande distance auquel cas ilne saurait les produire en sont cependant distants en quelque manière. Peut-être cette faculté, qui est le propre de l'homme de génie, s'explique-t-elle par la per^sistance, sous forme inconsciente, d'impressions reçues, par les générations antérieures; peut-être^comprendre, n'est-ce que.se sou-: venir. Mais, de quelque" façon^elle s'explique, cette faculté seule rend possible, chez rhistorlen^artiste; la récréation- des contenus psychologiques vécus par ses personnages, et l'attribution à ces contenus d'un sens symbolique, d'une' valabilité générale.

De là les difficultés qui s'opposent à rétablissement de lois de.la réalité historique; de là aussU^ signification, toute spéciale, de ces lois. :-r

La loi étant définie comme une proposition exprimant que l'entrée en jeu de certains faits a pour conséquence inconditionnée, en tous lieux et en tout temps, l'entrée en jeu de certains autres faits, l'établissement d'une loi n'est rendu^possible que par l'isolement préa]able, dans la trame de la réalité, à chaque point de laquelle concourent une infinité de ./forces. d^rjgines et de directions différentes, de deux éléments simples, liés l'un à l'autre par une relation simple. Or les événements historiques sont d'une extrême complexité, et il est impossible d'atteindre, par l'analyse les éléments simples et constants dont ils sont composés.; Les r.elations'causales aperçues par l'historien sont des relations entre des complexus de causes et d'effets, quine sauraient avoir la précision et la rigueur des relations physiques, établies entre, des, éléments simples. La complexité de ces termeses-t telle que jamais ils ne se reproduisent deux fois de suite identiquement les mêmes par là la relation aperçue entre eux perd d'abordrison caractère d'universalité. Car.il est impossible d'affirmer avec certitude que la différence entre deux cas n'est qu'une différence secondaire, et que, de l'un à.l'autre de ces cas, le phénomène ne se trouve pas modifié dans ses caractères essentiels. Seule la simplicité; des termes mis en relation par la loi


garantit l'universalité de cette dernière; là où cette simplicité fait défaut, il ne saurait y avoir de loi universelle.

Il y a plus. Sans loi causale universelle, il est même impossible de connaître aucune causalité. Ce n'est pas à dire que la liaison de la causalité à la loi causale soit une liaison logiquement nécessaire. Il est pensable logiquement que A produise B dans certains cas et C dans d'autres. Mais cette possibilité logique est rendue stérile par des raisons théorétiques. Car, pour l'événement unique et incomparable à tout autre dans son contenu, nous n'avons aucun moyen de distinguer le facteur causal des facteurs accessoires. La causalité individuelle peut donc exister; mais elle n'est connaissable que sous la forme d'une loi générale. C'est pourquoi la causalité n'est pas connaissable dans la vie psychique, le même événement ne se produit jamais deux fois. Pour la connaître, il faudrait pouvoir séparer l'idée de cause de celle de loi on comprendrait alors qu'absence de loi ne soit. pas synonyme d'absence de cause ou de liberté. Mais cette séparation, si elle peut être conçue en droit, n'est pas réalisable en fait impossible en psychologie, elle l'est tout autant en histoire, et pour les mêmes raisons.

Les prétendues lois de l'histoire ne sont donc pas des lois véritables. De même que la loi de gravitation n'est pas, à proprement parler, une loi régissant les phénomènes, mais une construction abstraite à partir de relations simples, de même des lois historiques comme celles-ci « la liberté s'étend progressivement d'un petit nombre d'individus à la masse », « les sociétés passent successivement par la jeunesse, l'âge mûr et la vieillesse », « les formes de la production économique d'une époque sont déterminées par les forces productives de cette époque », etc. ne sont que les résultantes des relations qui régissent les éléments simples de la réalité historique, relations qui, si elles étaient déterminables, constitueraient à proprement parler les lois de l'histoire. Ce que seraient ces lois, s'il était possible de les déterminer, peut être aisément défini. En effet, les éléments de la réalité historique sont essentiellement constitués par les individus, les groupes n'étant que « des existences de deuxième ordre1 ». Il semblerait qu'on puisse conclure de laque les lois de l'histoire se confondent avec celles de la psychologie individuelle. Toutefois, cette conclusion serait encore trop hâtive 1. Cf. Ibid., p. Si.


car l'analyse de la réalité, historique en ses éléments ne. saurait s'arrêter aux individus, comme à. son terme dernier. Les individus sont encore des êtres composés et complexes. Comme- Simmel l'a montré déjà dans ses ouvrages antérieurs, l'unité de la conscience individuelle n'est que celle d'une forme. sous cette forme viennent se ranger et s'organiser diversement une foule de contenus, que, pour les saisir dans leur ^simplicité, il faudrait pouvoir suivre dans leur origine psychologique et historique au delà de la conscience- elle-même. Qu'est-ce à dire, sinon que, pour établir des lois historiques véritables, il serait, néçejsajre d>Itej.ndre un élément plus simple que l'àme individuelle elle-même, une sorte d'atome de conscience, qui n'est, remarque Simmel; qu'une « formation imaginaire » ? En tout cas, les. lois .psychologiques ne suffisent pas à rendre pleinement intelligibles les. contenus de la conscience personnelle seules, des lois. générales, qui les suivraient dans leur genèse, et qui s'étendraient, au-delà de la conscience, à l'univers entier, seraient capables de les. expliquer.

Toutefois, de ce qu'il n'est pas possible de déterminer des lois de ce genre, et de ce que les prétendues l.ois de l'histoire ne sont pas des lois véritables, on ne saurait, conclure que la réalité historique soit absolument rebelle toute détermination générale. Deux voies demeurent ouvertes à la réQexiojn philosophique, dans, la recherche d'une interprétation et d'une: légitimation des formules générales auxquelles l'historien confère Ja^vert_u_de rendre les événements intelligibles. ^J, ..+.̃.

La première de ces deux voies est la suivante on peut concevoir que la valeur de connaissance des lois 'historiques n'est que relative et provisoire. La connaissance jtes_relations. qui régissent les éléments simples de la réalité sgfairun buLsitué à l'infini, dont on pourrait bien se rapprocher progressivement, mais qu'on ne pourrait jamais atteindre; et les- lois, historiques seraient analogues aux anticipations philosophiques, qui, quoique distantes de. la réalité., ont cependant Contribué à la rendr&çonnaissable. De fait, la science a commencé par de -large et vastes conceptions qui se sont progressivement rétrécies, et qui, même en ce qu'elles avaient d'erroné, ont orienté ses progrès. C'esUainsi /que cette erreur de la métaphysique, qui consiste à supposer un principe substantiel derrière les données sensibles, a permis une première unification des phénomènes. Pour la connaisSance.ijl-tQUt deJJunivers, philosophie,


devançant la science positive, lui a ouvert les voies, en considérant la nature comme un ensemble organique. Et, pour la connaissance des parties, elle n'a pas rendu moins de services que pour celle du tout il n'est pas de science particulière qui n'ait reçu de la philosophie ses concepts et ses principes fondamentaux. Pourquoi n'en serait-il pas de la science historique comme des autres sciences? Et les formules générales qu'on appelle, un peu ambitieusement, lois de l'histoire, ne peuvent-elles être considérées comme des anticipations philosophiques sur la connaissance positive des phénomènes ? Quant au rapport de ces « lois » à la réalité, ne peut-on le définir comme analogue au rapport de la philosophie à la science positive? Ainsi s'expliquerait, tout d'abord, cette apparente anomalie, que l'exposition des « lois » historiques ressortit plutôt au philosophe qu'à l'historien. Mais surtout, de ce point de vue, les contradictions qui ont été signalées entre ces « lois » deviendraient moins insupportables. Ce n'est pas, en effet, parce qu'ils s'opposent que les principes métaphysiques peuvent perdre toute valeur. L'expérience est assez large pour que tous puissent y trouver un champ d'application. Bien plus, leur caractère unilatéral exige qu'ils se complètent les uns par les autres. Cette autre erreur de la métaphysique, qui consiste à porter à l'absolu des principes relatifs, est aussi une erreur utile car, si la valeur purement relative de ces principes est méconnue de' ce fait, du moins leur valeur comme principes heuristiques est-elle sauvegardée. S'ils ne sont pas des lois par eux-mêmes, ils sont déjà des « préparations de lois » » ( Vorbereitungen auf Gesetze). A mesure que ces anticipations, en s'opposant, se limitent les unes par les autres, la connaissance se rapproche des lois qui régissent les éléments les plus simples, c'està-dire des lois véritables. Ainsi les deux conditions qui commandent le progrès de la connaissance historique, à savoir, d'une part, l'application au domaine de l'histoire des lois générales du cosmos, et, d'autre part, la détermination des éléments de la réalité historique et de leurs lois particulières, se confondraient en une seule car les lois des éléments les plus simples sont précisément, en raison de leur généralité, celles qui régissent l'ensemble de l'univers en sorte qu'en définitive les lois historiques se ramèneraient aux lois cosmiques. De fait, l'histoire des événements humains n'est 1. Cf. Ibid., p. 96.


pas un domaine isolé. On. ne peut déterminer l'avenir d'un individu en fonction de son seul passé; et les processus psychologiques d'une conscience personnelle ne forment pas une série, causale ferméej mais leur continuité est sans cesse interrompue. par le flux des sensations, introduisantdans la;y_ie__de l'individu une foule d'éléments nouveaux. Demême la; vie.de l'hiimanité n'est pas un développement qui se suffise à: lui-même,' mais elle est soumise à l'influence de tous les facteurs cfismLques en sorte qu'il faudrait embrasser, dans l'histoire hummnj,_çelle,,de Tuniyers entier, pour qu'elle pût englober tous les événjim.eiits^qui la déterminent. Il n'en va pas autrement des domaines spéciaux, de l'histoire c'est ainsi que l'histoire de l'art est déterminée par l'influence du milieu social, de la religion, du niveau intellectuel, des destinées individuelles, etc. Par là le concept- d'histoire semble s'évanouir car, dès l'instant où les événements apparaissent comme déterminés par, la combinaison, selon des Lois constantes^ d'un nombre plus ou moins grand d'éléments simples et généraux, .il n'y a plus de place en eux pour le devenir historique, en tant ,que tel. Et, quant au devenir historique, considéré en Lui-même, il apparaît comme réfractaire à l'exigence de la loij en sorte, que, les concepts d'histoire et de loi semblent s'opposer radicalement. Toutefois, cette conclusion ne saurait s'imppser qu'à une réflexion superficielle pour une réflexion plus profonde, la contradiction des deux concepts se résoud en une opposition simplement -relative et en une corrélation' réciproque. Et, en effet, l'existence des lois de la nature, n'étant pas commandée par desjkns, est elle-même un fait, et un fait historique. La connaissance:;de_i'évplutLon de l'univers aboutit-à à la détermination d'un premier "état de la. matière. C'est cet état originel, qui fait que telle loi de:la nature, et non telle autre, trouve son application à un point déterminé: Les lois naturelles ne suffisent donc pas pour constituer la réalité il faut encore des faits donnés, et cela non seulement à l'origine absolue des choses, mais encore après. Le premier contenu de l'univers, d'où pourraient être déduits tous les faits ultérieurs, n'est pas déterminable d'une façon exacte et rigoureuse dans la mesurej>ù des lois valables sont connues pour ce premier contenu, ces. Lois valent pour le devenir historique, puisqu'elles rendent possible la,. déduction. des. événements depuis ce point de départ; mais, dans la mesure où ce premier contenu fait défaut, la connaissance des faits comme tels doit entrer en jeu.


Notre connaissance des lois, écrit Simmel, ne suffit pas pour bâtir, à partir de quelques éléments, l'assemblage complexe des faits réels, mais quand cet assemblage nous est donné historiquement, il nous aide, pour ainsi dire, à remonter à l'origine; avec le fil conducteur des faits établis, nous arrivons plus facilement aux lois, qui valent pour eux, et nous comprenons pourquoi devait arriver ainsi une chose que, sans ce fil conducteur, notre connaissance de lois n'aurait pas suffi à construire » » Ainsi, la connaissance des faits, comme tels, et la connaissance des lois, comme telles, collaboreraient au lieu de s'opposer. Et, par conséquent, dans la voie qui vient d'être suivie, la notion de lois historiques, conçue comme des anticipations philosophiques sur la connaissance positive de la réalité, trouve une première interprétation, qui en fait ressortir, en même temps que la possibilité, la valeur au moins relative. Une seconde interprétation reste à envisager. L'histoire ne serait plus alors conçue comme une analyse de la réalité en ses éléments simples, régis par des lois analogues aux lois physiques, mais comme une synthèse du donné en des concepts complexes, dont les relations, exprimées par des propositionsgénérales, constitueraient, dans un sens du mot « loi » qui serait spécial à l'histoire, les lois historiques. Pour donner à la matière de l'histoire la possibilité de devenir connaissance, il ne faudrait pas la décomposer en ses éléments anatomiques il serait nécessaire, au contraire « que les synthèses originales, les concepts complexes, les ensembles dans lesquels elle démembre la réalité, valent comme des imités, sans qu'il soit besoin de les décomposer davantage2 ». S'il s'agit, par exemple, de comprendre la bataille de Marathon, on peut nier que l'idéal de la connaissance soit ici de connaître la vie de chaque combattant. Il ne s'agit pas de savoir comment s'est conduit tel ou tel Grec, mais comment se sont conduits les Grecs. L'intérêt historique ne porte, pas sur les individus considérés isolément, mais sur le groupe, lequel n'est point le résultat de l'addition des individus, mais, puisque chacun d'eux possède, à côté de caractères communs à tous, des caractères singuliers, ne peut être connu que grâce à une intégration, à une synthèse. De même une loi comme celle de la division du travail n'est point l'expression d'une tendance particulière à chacun des éléments de la réalité elle est la sublimation, l'intégration dans ̃1. Cf. Ibid., p. 103.

2. Cf. Ibid., p. 108.


un concept complexe, d'une infinité de faitsparticuliers, considérés d'un certain point de vue. La relation que cette loi exprime ne fait pas connaître la trame des. causâlités^diverses qui régissent'chaque série d'événements particuliers ̃̃ elle se. substitue aux relations internes à chacune de ces séries^LesJois de ce genre construisent, à partir des concepts, une trame qui ne vaut qu'à ce degré d'abstraction, et qui est dans le même rapport, avec les particularités empiriques, que les grandes catégories philosophiques, comme être, devenir, etc. avec la réalité. Dans le domaine de l'histoire ̃ comme dans celui de la philosophie, « -ce sont des besoins particuliers du connaître, non apaisés par l'étude des réalités individuelles et de leurs lois, qui déterminent] d'eux-mêmes les points de vue nouveaux d'où ils veulent considérer ces réalités. Mais, par suite de la différence de ces points de vue, la construction conceptuelle exige aussi un style différent, qui ne porte qu'en lui-même les critères de sa justesse, et ne peut les dériver des autres besoins, tout à fait différents, de la, connaissance des relations élémentaires, immédiatement empiriques1. » Aussi chaque style a-t-il sa vérité propre, et, comme dans L'œuvre^diart, le mélange! des styles donnet-il l'impression de la non-vérité. De ce point de vue, apparaissent de nouveau, en pleine lumière, les.analogies de l'histoire avec l'art, qui, lui aussi, avec la matière que lui fournit l'observation-; construit, dans la forme, ou dans le style qui: lui est propre, des synthèses nouvelles, dont la valeur ne dépend point de leur rapport avec la réalité donnée, mais qui possèdent par elles-mêmes une objectivité idéale. Et, en même temps, s'affirme une fois de plus le droit de la philosophie sur les lois historiques, qui, quelque choix que l'on fasse entre les deux interprétations qui viennent d'en être proposées, ressortissent toujours de la spéculation abstraite. ̃• Aussi, en définitive, l'une et Fautrejniej'prétatioù expriment-elles chacune un aspect de la signification totale des lois historiques. « Que l'évolution historique, conclut Simniel, tend, soit à une différenciation toujours plus grande des individualités, soit une socialisation toujours plus étroite; que.la culture morale, ou bien se greffe sur la culture intellectuelle, ou, au contraire, a ses lois propres de développement, purement contingentes par rapport à cette dernière; que la liberté sociale des individus y.ad§ pair avec l'élaboration d'un 1. Cf. Ibid., p. 112.


A. jiameleï. La philosophie de Georg Simmel. 847 rit d'objectivité, d'un trésor de produits supra-personnels de la

esprit d'objectivité, d'un trésor de produits supra-personnels de la civilisation, dans les domaines scientifique, artistique, technique toutes ces assertions et leurs pareilles peuvent être considérées, d'un côté, comme des anticipations et des préparations de connexions exactement connues et régies par des lois naturelles. Mais d'un autre côté, sur le plan des synthèses conceptuelles, ce sont des projections de l'événement satisfaisantes par elles-mêmes les catégories abstraites et phénoménologiques, du point dè vue desquelles la connaissance pose des questions de ce genre, ne sauraient obtenir de réponses plus exactes ou qui se rapportent à des réalités et à des causes singulières. Ces catégories, il est vrai, peuvent assez souvent être reconnues comme erronées; mais ce qu'on leur substitue, ce ne sont jamais que d'autres réalisations des mêmes formes de connaître. qui se tiennent méthodiquement à une distance égale de l'idéal de la causalité des sciences naturelles. Ainsi ces deux manières d'être des lois historiques se révèlent comme deux manières différentes, pour l'esprit, de poser les questions, comme deux aspects auxquels il s'élève sur la réalité des choses, en raison de la diversité de ses besoins théorétiques ce qui démontre une fois de plus, à l'encontre du réalisme historique naïf, que ces deux aspects ne signifient nullement une copie de la réalité, mais une formation intra-mentale de cette dernière. D'après l'étage où on la loge, la réalité prend une organisation particulière, qui convient seulement à cet étage. Mais cette analogie des lois historiques avec la spéculation, dans leur rythme de connaissance en quelque sorte, ne signifie en aucune façon que l'histoire soit devenue une compétence de la philosophie, mais seulement que les exigences et les catégories tout à fait générales de la connaissance, qui expriment nos relations typiques avec le réel, donnent lieu, dans les deux domaines, à des formations correspondantes de leur matière'. »

Reste, après avoir ainsi déterminé les conditions internes de la recherche historique, et la valeur des lois historiques, à définir la signification de l'histoire, considérée non plus comme connaissance et comme fonction de la pensée, mais comme réalité objective. De ce 1. Cf. Problème der Geschichtsphilosophie, p. 120-121.


point de vue, remarque Simmel, il y à lieu d'envisager deux ordres principaux de problèmes philosophiques., Le premier problème est celui de savoir comment le tout de rhistoire, qui n'est> qu'une somme de particularités empiriques, peut « conquérir une essence et une signification que ces particularitéspossèdent pas », et « quel être absolu, quelle réalité transcendante se tient derrière le caractère phénoménal des donnée;s._ejnpirique.s de la connaissance. historique ». Le second problème. est.relatif«_aux accentuations et aux démembrements que le contenjtide l'histoire acquiert du fait des intérêts non-théorétiques, de -l'historien, et qu'on peut appeler l'évaluation des données historiques. Le premier problème est un problème métaphysique et théorétique à la fois, le second un' pro; blème proprement psychologique. Mais, quoique distincts, ils restent connexes, et souvent même inséparables pour la spéculation philosophique, la formation de l'absolu, qui se situe aux antipodes de toute subjectivité et. de toute singularité personnelle, ne se réalisant, en vertu des corrélations typiques de la vie psychologique, que par le jeu des énergies les plus subjectives du sentir, de l'humeur, et des tendances volontaires.

Le premier problème/ne peut être résoluque parla transformation de la série causale des phénomènes historiques en une série téléologique, possédant, de par la. finalité interne qui la régit, une unité organique. Quant à cette transformation, elle n'est possible que par l'hypothèse d'un Dieu, d'une Providence, déterminant tout le cours de l'histoire. La métaphysique de l'histoire- aboutit donc; dans ce sens, à la religion.̃

Le second problème, relatif aux accentuations'et aux évaluations que les données historiques reçoivent d'intérêts non théorétiques, apparaît comme beaucoup plus complexe. Il est clair d'abord que ces accentuations peuvent résulter, deTentréë en jeu de la catégorie de valeur (Wert) – valeur morale ou-valeur esthétique, qui déterminerait chacune urtmode différent d'organisation de la réalité. Mais elles peuvent être régies aussi, par une autre catégorie, la catégorie de sens, ou de signification, (Sinn), qui ne se confond pas exactement avec celle de valeur ..lliLestjyrai, en effet, que la signification d'une chose s'identifie .ayjic^sa -valeur, dans la mesure où cette signification est une signification, pour quelqu'un ou pour l. Cf. Problème der Geschiçhtsphilosophie, p. 125.

2. Cf. lbid.


quelque chose, elle s'en distingue nettement dans la mesure ou cette signification apparaît comme une signification de la chose en elle-même, et pour elle-même, c'est-à-dire comme absolue. Elle est alors un accent particulier de la chose même, qui lui appartient en propre, et qui la range de lui-même dans une série. Enfin, à ces deux catégories de valeur et de sens, viennent s'ajouter encore celles, corrélatives, d'extrême (das Extreme) et de typique (dos Typiscke), étant bien évident qu'un intérêt différent s'attache à un objet selon qu'il apparaît comme l'échelon supérieur, ou comme l'échelon du milieu d'une échelle de qualités. C'est du point de vue de l'une ou de l'autre de ces catégories non théorétiques, que les données historiques prennent « un sens » pour le philosophe qui réfléchit sur elles, et que se constitue la philosophie de l'histoire. « Les reflets, écrit Simmel, que nos intérêts spéculatifs et non-théorétiques projettent sur les données de la science historique sont les éléments de la métaphysique de l'histoire, qui est orientée d'une tout autre manière que l'élaboration théorétique de l'événement, et qui trouve dans sa distinction rigoureuse par rapport à cette dernière son droit d'existence scientifique. Toutefois la pure théorie est un idéal jamais réalisé, et reste pénétrée elle aussi, en fait, par l'action des catégories métaphysiques. La spéculation sur l'histoire n'est, pour une large part, rien d'autre que l'extraction, le parachèvement, la coordination conforme à des principes, d'hypothèses et de forces tendancielles qui sont déjà agissantes dans la constitution de la matière de l'événement, tel que le conçoit l'histoire exacte'. » Il en va, en somme, de la philosophie de l'histoire comme de la religion, du droit et de l'art, que commandent, eux aussi, des intérêts pénétrant la vie entière, mais qui dégagent ces intérêts pour organiser, de leur point de vue, la matière de la vie en des systèmes cohérents et indépendants.

Entreprend-on de définir les intérêts supra-théorétiques qui commandent la philosophie de l'histoire voici ceux quel'on découvrira. D'abord cet intérêt qui motive la théorie en général, aussi bien la théorie de la nature physique que celle de la réalité historique, à savoir la tendance à connaître (Trieb zu Erkennen), uniquement déterminée à l'origine, comme les autres tendances primitives (la faim par exemple), par son terminus a quo, non par l'objet en I. Cf. Probleme der Gescklchlsphilosophie, p. 133.


général, ni, à plus forte raison, par tel objet déterminé, impulsion- purement subjective agissant à :1a Jaçon d'une vis a tergo. Puis.d'autres intérêts, spéciaux. à la connaissance historique, et au premier plan, l'intérêt pour lescontenus de l'histoire, en tant que tels, explicable par la faculté, propre^ notre esprit, « d'attacher des réactions affectives à dés représentations, même si celles-ci sont pensées purement dans leur coniemu qualitatif, en dehors de toute question relative à leur réalité, réactions qui sont souvent plus fai, bles, souvent plus pures, souvent marquées d'un tout autre accent; que lorsque le même contenu est représenté sous la catégorie de la réalité' ». C'est cet intérêt qui entre en jeu à propos des événements auxquels nous attribuons ce caractère d'être intéressants. Peu importe que ces événements aient été, ou non, exactement établis cet intérêt- s'attache aussi bien au^contenu purement imaginaire, à la fiction poétique, qu'au donné .réel. Lié aux tendances profondes de l'historien, et variable avec celles d'un historien à un autre, il apparaît comme purement subjectif, et il semble impossible de le faire dépendre de l'importance: réelle de. l'événement auquel il s'attache. Qu'entend-on, d'ailleurs, par un événement réellement important? Ce qui est.réellementjmportant, n'est-ce pas ce qui nous intéresse? On dira, il est vrai,, que l'événement important est celui qui entraîne des conséqueïïces importantes. Mais il,arrive que les conséquences n'aient pas cetaccejil d'importance il n'y a donc pas lieu, dans ce cas, d'examiner pourquoi la cause-les possède. Et d'autre part, lorsque les conséquences possèdent cet accent, leur liaison objective avec leur cause le transpose en celle-ci, sans qu'il soit pour cela moins subjectif que dans le premier cas. On dira encore que, comme critérium objectif de l'importance réelle, on peut considérer la quantité des conislquences, et non plus leur qualité serait important l'événement gros de conséquences, sans importance l'événement isolé. Dans ce cas, remarque Simmel, « le fait que la recherche historique réagit avec le. sentiment de -l'importance, en face de l'élément qui est capable de développer une foule de conséqu ences, resterait sans doute toujours subjectif, mais cette subjectivité serait soumise'à, des règles objectives, elle. serait soustraite, co mme postulat constant, au -moins aux différences individuelles et capricieuses, et pourrait être mise en lumière, au moins en principe, 1. Cf. Probleme der Gesckichlsphilosophie, p. 138-13ÏT.


dans chaque cas singulier, comme la mesure autorisée de l'impo rtance. Mais alors il ne serait plus possible que les conséquences soient pensées dans le sens de la causalité propre aux sciences de la nature, par lesquelles chaque événement donne lieu à une série e infinie de conséquences; elles ne pourraient être pensées que dans s le sens de conséquences historiquement importantes, en sorte que la question en resterait au même point que précédemment1. » Il n'est possible de déterminer quantitativement et objectivement t l'importance et l'intérêt des éléments historiques que d'une façon purement hypothétique et spéculative. En dehors des conséquences du type de la causalité naturelle et des conséquences du type historique, il faudrait admettre l'existence de conséquences d'un troisième type à savoir « les effets connaissables, ou du moins approximativement aperçus, mais non élevés jusqu'à la catégorie de la signification historique, d'une action, d'une personnalité, d'un ensemble de circonstances »; et le quantum de ces conséquences serait la mesure objective du sentiment de l'intérêt historique. « Ainsi l'exigence formulée plus haut, d'après laquelle ces conséquences elles-mêmes devraient déjà avoir une signification historique, pour refléter cette qualité sur leur cause, pourrait être à. bon droit écartée car cela seulement serait historiquement intéressant pour nous, à quoi pourrait être rapportée, à l'intérieur des séries connaissables par nous (clairement ou instinctivement) de l'événement psychologique, une quantité déterminée de faits. Chacun de ces faits n'a pas plus besoin d'être significatif en lui-même pour l'histoire, que chacune des impressions de la peau, dont la somme produit sur nous un sentiment de douleur, n'a besoin d'être douloureuse en elle-même3. » Et ainsi, il y aurait lieu d'admettre l'existence d'un « seuil de la conscience historique », comme il y a un seuil de la conscience psychologique, de la conscience esthétique, de la conscience juridique seuil qui serait déterminé par un quantum déterminé des conséquences aperçues d'un événement. Et l'on comprendrait que la signification historique, quoique corrélative à certaines conditions objectives, reste cependant en elle-même une qualité subjective, naissant en nous de l'excitation d'une énergie mentale déterminée.

̃1. Cf. Probleme der Geschichtsphilosophie, p. 141.

2. Cf. Ibid., p. 142.

3. Cf. Ibid.


En regard de cet intérêt pour les contenus de l'histoire, en tan t que tels, intérêt qui n'entré: en jeu qu'à partir d'un certain quantum des conséquences aperçues d'un, événement représenté, un autre intérêt supra-théorétique donne à l'histoire son sens à savoir l'intérêt pour la réalité comme telle. L'intérêt que nous portons au contenu pur de nos représentations, indépendamment de la question de savoir s'ils correspondent à un être réel, s'ils sont là, n'est que l'intérêt d'un jeu, d'une spéculation- purement idéale nous nous intéressons davantage encore-à.la~~orme de=ré_alité de nos représen- intéressons davantage encore à la forme de réalité de nos représen- tations, indépendamment de;la valeur propre et de Ja signification intrinsèque de leurs contenus. Beaucoup représentations perdent toute signification et toute valeur affective dès que nous entendons dire qu'elles ne sont pas_ vraies. Et inversement beaucoup de représentations qui, dans leur, concept, n'ont aucune signification, en conquièrent une immédiatement, dès qu'elles apparaissent comme correspondant à des réalités; c'est ainsi que cent thalers comme contenu pur de représentation n'éveillent aucun intérêt, mais que cent thalers réels éveillent un intérêt très vif. Cet intérêt pour l'être comme tel, que l'abstraction philosophique distingué seule de l'intérêt pour les contenus de l'histoire, ne commande pas seulement la métaphysique de l'histoire :il est encore la caractéristique essentielle de la recherche historique exacte. Du point de vue de cet intérêt, il y a lieu d'admettre l'existence,d'un nouveau seuil de la conscience historique. « Ce seuil réside au point où la conscience de- l'être se coupe en quelque sorte avec celle des significations de contenu (ivo das Bewûsshein.des Seins sich mit dem der Inhaltsbedeu- lungen gleischsam schneidet). Ces significations de contenu ont déjà pour elle-mêmes un seuil particulier. où les deux se rejoignent, naît l'intérêt spécifique pour la réalité de certaines séries choisies d'événements, de personnes, de circonstances, intérêt qui fonde la recherche historique'. » ̃̃̃

Ces deux intérêts supra-théoréUques, qui donnent àl'histoire son sens, permettent aussi de la situer psychologiquement, c'est-à-dire dans les ressorts psychologiques qu'elle met en jeu, par rapport aux autres sciences, et en particulier par -rapport à la science de la nature, d'une part, et à la psychologie, d'autre part. De' ces deux intérêts, en effet, la science de la _oature_ne, met en jeu que l'intérêt 1. Cf. Probleme der Geschiçh.tsphilosophie,p. 150.


pour la réalité, et la psychologie que l'intérêt pour la signification des contenus. Considérons d'abord la science de la nature. Le sentiment de signification ne s'y attache pas, comme en histoire, à l'objet même, mais à la connaissance de l'objet. « Quand nous considérons la nature comme tout objectif, sans réflexion sur les rapports très divers de notre connaissance et de notre faculté de connaître avec elle, alors font absolument défaut ces différences de nature entre ses éléments, auxquelles seulement un intérêt pourrait être attaché par notre affectivité, qui est liée à des différences. C'est toujours et partout, au delà de tout sens et de toute valeur spécifique, le même cours des transformations d'énergie et des stratifications de matière. C'est seulement le fait que certaines parties de ce tout nous sont connues depuis longtemps, un grand nombre depuis peu, et la plupart pas du tout, le fait que les unes s'adaptent facilement, et les autres difficilement au mode de notre connaissance, le fait que nos catégories et nos synthèses divisent les phénomènes en simples et complexes c'est seulement cela qui crée des différences dans le cours de la nature, dont l'accent reste toujours le même, et le divise en réel et irréel, en intéressant et dépourvu d'intérêt. C'est le fait que la manière d'être différente de notre connaissance distribue diversement l'intérêt parmi les événements naturels, qui est l'acte générateur de l'intérêt pour le problème particulier de la science de la nature; car, à l'intérieur de l'objectivité des choses, il n'y a aucune différence, qui puisse déterminer en nous un tel intérêt.

« Par contre, à l'intérieur des catégories historiques, il y a des différences de signification dans l'essence même des phénomènes. Plus nous pénétrons profondément la nature et plus les différences de distance entre elle et notre pouvoir de connaître se nivellent, plus aussi elle se pose devant nous comme non-individuelle, comme régie par l'égalité devant la loi car la séparation de ses phénomènes, qui permet de les traiter plus exactement, n'atteint que leur forme, que la complication de l'universel en eux, mais non leur principe le plus intime, qui est bien plutôt le même pour tous, transformation d'énergie et déplacement de matière. Au contraire, plus profondément les phénomènes dits historiques pénètrent en nous, plus riche de sens devient aussi pour nous leur individualité, et plus près nous nous rapprochons du point secret, d'où jaillit la qualité d'ensemble de la personne, comme un monde renfermé en soi-même, et indépendant


vis-à-vis de toute autre réalités. «..Considérons maintenant la psychologie comme l'histoire, elle, met en jeu, la différence de la science de la nature, l'intérêt pour la signification des contenus, comme tels; mais, à la différence de l'histoire et de la .science de la nature, elle ne met pas en jeu l'intérêt pour la réalité comme telle tandis que l'intérêt historique s'attachera des, objets réels, l'intérêt psychologique s'attachera des abstractions. C qu'on entend par réalité psychologique n'est que l'application de relations, psychologiques intemporelles à un donné historique. Et ainsi,, en définitive, l'histoire se distingue de.la psychologie par son intérêt pour -la réalité, et de la science delà nature par son intérêt pour la signification des contenus deux intérêts, dont1 la synthèse. ne s'opère que dans la conscience historique.

« Tels sont donc, conclut Simmel, les intérêts supra-théorétiques généraux, dont le développement connexe détermine l'intérêt théorétique pour la recherche historique. Ils.ne se confondent pas avec les postulats a priori immanents la^science, dans -le sens de l'a priori kantien et de ses dégradations indiquées ci-dessus, qui déterminent l'édifice interne de cette dernière. Ils l'entourent plutôt comme la terre entoure la racine de la plante, laquelle conserve en elle-même ses lois de formation, mais est redevable, au sol qui la porte et qui l'entoure, de toute saJbrce, et de la possibilité de vivre sa vie conformément à ces .lois. Le fait que l'histoire a pour nous un sens, dans son contenu comme dans la connaissance progressive de ce contenu, est lié au fait que le.coateou du cours de l'univers et la réalité de son existence, déchaînent deux, torrents d'intérêts qui, coulant ensemble, en quelque sorte, sous un angle déterminé, finissent par n'en former qu'un seul (dass der Inhalt des. Weltlaufs und die Tatsache seiner Wirklichkeit zwei Interessenstroeme eritfesseln-, die, gleichsam unter einem bestinrimten ̃ Winkel zusammenfliessend, nîin einen einzigen bilden?. »

Ces deux courants d'intérêts, qui commandent la métaphysique de l'histoire, pénètrent également la science. historique- exacte, à la différence de ce qui se produit, selon Kant, dans les sciences de la nature, que ne pénètrent pas les idées de la raison.

Pour illustrer l'analyse de. cesrintérêts, philosophiques qui, déterminant nos points de vue'sur la réalité historique, lui donnent, dans 1. Cf. Probleme der Geschichtsphilosophie, p..151-182/

2. Gf; i6ed., p. 153. T~: “: ̃'


les grands systèmes de la philosophie de l'histoire, son sens pour la vie, il n'est besoin que de considérer, par exemple, la conception du progrès, d'une part, et celle du matérialisme historique de l'autre. 1I apparaîtra nettement que ces conceptions prétendues objectives sont liées à des motifs psychologiques, tendances, aspirations, préconceptions subjectives, et ne doivent qu'à la domination de ces tendances et de ces aspirations dans la conscience de l'historien, organisée autour d'elles en une unité synthétique, leur capacité d'exprimer, par un concept un, le tout de l'histoire.

Et d'abord la conception du progrès. 11 est bien évident qu'on ne saurait concevoir l'existence d'un progrès sans l'idée préconçue d'un état final, idéellement défini dans son existence absolue car comment saurait-on que l'état ultérieur marque un progrès sur l'état antérieur, si l'on n'apercevait pas clairement qu'il se rapproche davantage que ce dernier de cet état final? Ainsi, remarque Simmel, le fait que nous saisissons, ou non, un progrès dans l'histoire, dépend d'un idéal dont la valeur, comme telle, ne dérive pas de la succession des faits, mais lui est nécessairement ajoutée par la subjectivité1 1 ». Peut-être il est vrai, objectera-t-on qu'il est possible de concevoir un progrès purement formel, c'est-à-dire indépendant de toute fin ultime possédant un contenu, progrès analogue à ce qu'est pour Kant la moralité, et que le progrès, ainsi conçu, serait déterminé d'une façon purement objective. Mais, si l'on peut concevoir, à la rigueur, la possibilité d'une morale exclusivement formelle, le concept d'un progrès exclusivement formel est logiquement impossible à construire. On peut, en morale, séparer radicalement l'intention, comme terminus a quo de l'acte moral, de la fin matérielle qui en est le terminus ad quem; et l'on conçoit que la valeur d'un seul et même acte puisse être affirmée de l'un des deux points de vue et niée de l'autre. Mais il n'en va pas de même des deux éléments de l'idée de progrès l'existence d'un changement d'état, et l'existence d'une augmentation de valeur du premier état au second, Le second de ces deux éléments est essentiellement variable, le concept de valeur ne contenant aucun facteur général applicable indépendamment de l'appréciation subjective; quant au premier, à savoir le changement d'état, s'il est aussi bien le facteur général de tout progrès, il ne saurait suffire à définir le progrès, même conçu 1. Cf. Probleme der Geschichtsphilosophie, p. 1S6.


comme purement formel, parce qu'il est aussi bien le facteur général de toute régression à moins toutefois que l'on considère' tout changement, et même la régression, comme un progrès dont le contraire: serait, non la régression, mais l'immobilité ce qui'impliquerait encore, soit une appréciation subjective, soit une croyance métaphysique. Appréciation subjective çhe? le révolutionnaire, qui considère le changement comme bon par soi; à l'inverse du conservateur qui, pour des motifs également subjectifs, le considère comme démoniaque croyance métaphysique en l'existence d'une fin dernière de la vie, douée par soi d'une valeur absolue et transcendante, connaissable seulement -dans soli' existen.ce, mais non dans sa nature, dans la foi chiliastique et dans l'optimisme libéral.

Et non seulement la conception philosophique du progrès en histoire est commandée par la subjectivité ou la transcendance, par rapport aux faits historiques donnés, de l'idéal qui est le terme, jamais atteint, du progrès, mais encore une autre subjectivité la pénètre dans ses éléments les plus-essentiels. En effet, même si l'on tombait d'accord sur cet idéal, il dépendrait encore d'une définition conceptuelle des plus sujettes à caution, que nous puissions considérer les réalisations empiriques de cet idéal-comme un progrès. Il nous faut en effet « une garantie que la réalisation de ce qui a beaucoup de valeur a en quelque sorte" le dernier mot, et que la réalité n'obéit pas à un mécanisme qui écarte, avec autant d'indifférence qu'il la produit, cette réalisation même »'• Et en effet, le fait qu'il y a des époques qui marquent, par rapport aux autres, un rapprochement plus grand de l'idéal ne suffit pas à constituer le concept de progrès. 11 faut encore qu'il -"s'y ajoute une coordination des réalisations partielles de l'idéal, de telle. sorte que, même s'il vient à être momentanément interrompu, le progrès n'en continue pas moins à avancer par la suite. Il faut, autrement dit, qu'il existe entre les périodes successives, caractérisées par leur rapport positif avec l'idéal, un lien caché, qui ne Sauxait résulter que de l'existence d'une force une, sous-jacente àtous les phénomènes. Il ne suffit pas que les forces mécaniques réalisent accidentellement et occasionnellement nos représentations de l'idéal/ II faut, encore, que les événements constituent une unité de développement, de telle'nature que « la formation et l'intelligence de Tévénem_e_nt postérieur soient rendues 1. Cf. Probleme der Geschichlsphilosophie, p. 158-159.


possibles, non par la connaissance de la situation extérieure immédiatement antérieure, et de ses forces d'expansion, mais seulement par sa relation avec les étapes antérieures quoique cette antériorité puisse ne pas être immédiate de la réalisation de la valeur finale-de l'évolution historique 1 ». Autrement dit pour qu'il soit possible de saisir un progrès d'une période historique à une autre, il faut que la dernière apparaisse comme déterminée intrinsèquement par la première, dans la série téléologique, quelles que puissent être d'ailleurs les interruptions de cette dernière sous l'action de circonstances adventices ce qui n'est possible que si l'on conçoit, sous les événements dont la trame constitue l'histoire, une unité et une tension sous-jacentes. Il ne saurait y avoir de progrès là où il n'y a pas comme support des phénomènes, une unité substantielle. D'un état d'une substance à un état d'une autre substance, on ne peut concevoir de progrès. Comparant les deux états entre eux, on pourra dire que l'un est meilleur que l'autre, mais non qu'il marque un progrès sur l'autre. Et en effet, l'analyse des conceptions courantes du progrès, dans le droit, dans l'art, dans la technique, dans la science, dans l'esprit d'objectivité, fait nettementressortir qu'elles se réfèrent toutes à l'existence, postulée a priori, d'un sujet un, d'une àme idéale, soit psychologique et personnelle, soit purement rationnelle, conçue comme le support de ce progrès.

L'examen de la conception du matérialisme historique conduit à des conclusions .analogues elle n'est pas moins commandée que la conception du progrès par des postulats métaphysiques et des tendances subjectives. En dépit des prétentions illusoires et des interprétations erronées auxquelles peut donner lieu le terme équivoque de « matérialisme » cette conception est essentiellement un essai d'explication psychologique des événements historiques, puisque le principe unique, dont elle dérive tout leur cours, est la faim, c'est-àdire une force d'impulsion psychique. « La doctrine dont nous parlons, écrit Simmel, n'est rien d'autre qu'une hypothèse psychologique, les actions extérieures des hommes s'expliquant par des faits psychologiques que l'on peut réduire en dernier ressort à l'intérêt pour la « production et la reproduction de la vie immédiate ». Seulement, le caractère hypothétique de la doctrine est dissimulé par le fait que l'impulsion psychique, qui lui sert à expliquer les événements his1. Cf. Problème der Geschichtsphilosophie, p. 159.


toriques, est d'une réalité incontestable, et qu'elle parait étendre ce caractère de réalité sur le système qu'elle fait dériver de cette impulsion1. C'est donc vainement .que le matérialisme historique prétend se borner à la constatation d'un fait physiologique objectif, et se présente comme une doctrine scientifique exacte. Qu'il le veuille ou non, il fait un choix dans la rêjdill historique. Et c'est ce choix qui est commandé par des tendances psychologiques et des préconceptions métaphysiques.

En fait, la réalité apparaît comme un enchevêtrement inextricable d'intérêts de toutes sortes, comme une trame de ils distincts, dont la continuité rend possibles les différéntes'histoires partielles, mais dont l'entrelacement aux divers points de l'espace et aux divers moments du temps constituent^en tant qu'idée ou que concept a priori non en tant que réalité immédiatement connaissable l'histoire en soi. De cette trame, le matérialisme historique extrait les intérêts économiques, pour reconstituer, à partir d'eux, l'unité idéale de l'histoire. Par là, il donnera cette unité idéale, à ce concept aprioristique, une réalité concrète, et un contenu de connaissance. Mais en admettant que -cette connaissance jdjx tout de l'histoire soit possible, n'est-il pas évident que l'on pourrait tout aussi bien attribuer à n'importe laquelle des séries de valeurs ce rôle fondamental que l'on fait jouer aux' valeurs économiques^ et ^que tout autre partie de l'histoire pourrait pareillement servir de base de connaissance à l'histoire générale? Le relativisme simmélien s'affirme icirdans toute sa rigueur, par l'idée que le tout deL'histoirjî est fait des corrélations et des réciprocités d'actions d'un certain nombre d'intérêts fondamentaux, dont aucun na saurait, à lui- seul, et une fois porté à l'absolu, l'exprimer tout entier. Au nom de cette conception relativiste, il est facile à Simmel de. démontrer la vanité des prétentions du matérialisme historique, lorsqu'il se fait fort de donner une reproduction exacte, et comme jîne copie de la réalité. « Le matérialisme historique, écrit-il, "précisément à cause de l'esprit de suite qui le caractérise dans la poursuite desonprincipe,nefaitque montrer, d'une façon particulièrement frappante, la métaphysique qu'implique tout aussi bien toiîJe;.1autre théorie historique, car la possibilité de pénétrer l'influence réciproque de tous les facteurs historiques ne nous 'est pas donnée, et, tandis qu'elle seule pourrait 1. Cf. Probleme der Geschichtsphilôsoplne,,p. 163 et Mélanges de Iphilosophie relativisée, p. 198-199. ~-T~ .r.


nous faire concevoir la vraie unité de l'histoire, toute image qu'il nous est donné de former sur l'ensemble des événements ne peut se faire que par une construction unilatérale » Ainsi, « non seulement le matérialisme historique confond l'image de l'événement tel qu'il a été stylisé, en quelque sorte, par les intérêts de la connaissance, avec l'événement direct tel qu'il s'accomplit dans la réalité, mais encore il confond un principe qui a une importance en tant que principe heuristique, et qui, sous tous les rapports, ne devrait être appliqué d'abord qu'à titre d'essai, avec un principe constitutif, qui serait posé d'emblée et duquel découleraient tous les faits 2. » Cette erreur de méthode, que le matérialisme partage avec tous les réalismes conceptuels, le conduit à d'insolubles difficultés. Car, « s'il est vrai que les développements des coutumes et du droit, de la religion et de la littérature, suivent la courbe du développement économique sans influencer cette dernière dans son essence, je ne vois pas bien, objecte Simmel, comment se produisent les transformations de la vie économique3. » II y a là une véritable parthénogenèse, une véritable génération spontanée, absolument inconcevable d'un point de vue positif, et dont peut seule s'accommoder une métaphysique hypostasiant les concepts, méconnaissant leur relativité, et transcendant audacieusement leur valeur purement heuristique. Non seulement la sélection que le matérialisme historique opère dans la trame de la réalité implique des préconceptions métaphysiques, mais elle est encore commandée par des tendances et des aspirations subjectives. En effet, si l'on analyse les raisons pour lesquelles le matérialisme historique fait choix des intérêts et valeurs économiques pour organiser en connaissance le tout de l'histoire, ce choix apparaîtra comme déterminé par la tendance socialiste. D'abord parce que « pour une aspiration socialiste, qui, comme telle, doit concerner une grande masse, l'intérêt économique est décisif parce qu'il n'y en a pas d'autre que l'on soit aussi sûr de retrouver dans chaque élément4 ». Ensuite parce que le socialisme tend au nivellement, et qu'on ne peut raisonnablement aspirer au nivellement que dans le domaine économique. Et ainsi, loin que le socialisme soit la conclusion logique du matérialisme économique, 1. Cf. Mélanges, p. 206.

?. Cf. Problème der Geschiehtsphilosophie, p. 166 et Mélanges, p. 203. 3. Ihid., p. 167 et Ibid., p. 204.

4. Ibid., p. ni et Ibid., p. 210.


il en est au contraire la' cause psychologique, « Lorsqu'on prétend, écrit Simmel, que la façon dont le matérialisme envisage l'histoire a. pour conclusion logique le socialisme, comme représentant l'a-venir, qui, pour ainsi dire, devrait résulternnfailliblémenL des calculs que cette mamère de voir permet de faire, ceci n'est que: consé-V quence ou plutôt feretweRsement du fait que le désir, de réaliser le socialisme dans la pratïqaefeîE eoiiduire à cette manière de considérer l'histoire. C'est la souveraineté: d^tut^ idée de valeur, qui, en raison des rapports tels que nousjreîïons de=:EôSîexp,lïquerj décide de ce qui fait partie de l'histoire: d'où il apparaît queFMgtoirè pourras'orienter seulement vers la réalisation d'une .pareille waïeuç1. "̃» Qu'est-ce à dire, en sommé, sinon quejle matérialisme historiqagj en dépit de ses prétentions scientifiques et réalistes, n'est qu'une stylisation, une idéalisation du cours réel des événements, commandé, à la façon d'une œuvre d'art, par des intérêts supra-théoré?tiques, par des sentiments et des idées de valeur, non une repro-duction ou une copie? •" .-î-- -̃•̃̃.̃̃ *.̃•

Ce qui ressort de cette analyse, c'estdonc la nécessité inéluctable; lorsqu'on s'efforce de déterminer le sens de ^'histoire, comme réalité objective, de dépasser le point de vue de la science exapte, pour faire de la philosophie; et c'est aussi 1,'insufïîsance de toute philosophie de l'histoire qui prétendrait,_cpmme le matérialisme historique, déduire d'un principe unique tout le cours "des événements. A une telle philosophie, dissimulant sous ses prétentions scientifiques un réalisme conceptuel aussi peu philosophique que scientifique', Simmel oppose victorieusement son qui, s'abstenant de porter à l'absolu tel ou tel des inférêts fondamentaux dont est tissue la trame de la réalité historique, nïettant en lumière leurs réciprocités d'action, attribuant aux concepts correspondants, pour la compréhension du sens de l'histoire, une valeur simplement heuristique, permettra de faire la synthèse de toutes les affirmations positives énoncées par les diverses philosophies de l'histoire, et sera véritablement coextensif à la réalité, à travers toutes les phases de son cours et dans toute sa complexité. Le relativisme apparaît donc, à la fois, comme une méthode .pour la philosophie de l'histoire, et 1. Cf. Problème der Geschichisphilosophie, p. 174 et Mélanges, p. 2-13;


comme une conception originale de la réalité historique. Celle-ci se trouve définie comme un enchevêtrement d'intérêts et de valeurs, entrant incessamment en corrélation et en réciprocité d'action pour déterminer le chaos des événements extérieurs. Sur chacun de ces intérêts et sur chacune de ces valeurs, les différentes histoires partielles prennent des vues abstraites, en suivant, le long des séries continues, artificiellement construites, la ligne de leur développement, sous-jacente aux événements et aux actes humains. Mais au delà des aspects que ces histoires partielles saisissent sur la réalité, du point de vue des a priori qui commandent la recherche scientifique, il y a cette réalité même, complexe et concrète, qu'il n'est pas possible, en raison même de ces caractères, de saisir dans son immédiateté, mais dont, par la combinaison de concepts corrélatifs, se limitant mutuellement les uns les autres, il est possible de former une image de plus en plus approchée. Cette conception de la réalité historique couronne les Probleme der Geschichtsphilosopkie, comme une conception analogue, au moins implicite, de la réalité morale, couronnait Y Einleitung; mais, forte des épreuves auxquelles le relativisme a été soumis dans l'intervalle, elle se présente en termes beaucoup plus nets que cette dernière.

Ainsi, au terme des Probleme der Geschichtsphilosophie, se trouve définitivement délimitée la sphère de la philosophie de l'histoire. Déjà, dans la Philosophie des Geldes, la pensée de G. Simmel s'orientait nettement vers la revendication des droits de la philosophie, d'une part sur les a priori qui commandent, en deçà d'elles, les sciences exactes, et d'autre part sur les spéculations supra-théorétiques, qui, au delà d'elles, les complètent et les couronnent par une image du monde. La philosophie de l'histoire englobe pareillement ces deux domaines, en deçà et au delà de l'histoire scientifique. Mais et c'est par là que les Probleme der Geschichlsphilosophie sont plus qu'une nouvelle application de principes désormais constitués d'une façon immuable du fait que l'histoire a pour éléments les consciences psychologiques individuelles, et que son contenu est spirituel comme sa forme, elle entretient avec la philosophie des rapports plus étroits encore. Il n'appartient pas seulement à la philosophie de déterminer les a priori qui commandent l'histoire, comme science exacte, et de reconstituer le tout de l'histoire comme réalité il lui appartient encore de pénétrer l'histoire exacte elle-même, dont les lois, en raison de l'impossibilité d'atteindre des éléments simples,


ne peuvent être conçues que: comme des anticipâ.tio as philosophiques ou des synthèsesTeoneeptuelles, commandées par des inté-, rets non théoriques. Nulle part ne s'affirme plus nettement la souveraineté de l'esprit et de ses exigences -Coûdataentales, que là où le. contenu de la connaissance est, encore de l'esprit et se trouve, par, suite, soumis à une double information, celle du- vécu et celle du connu, celle-la préparant déjà celle-ci dans une large mesure. Nulle part non plus un rôle plus important n'incombe à la philosophie, à qui il appartient seulement de mettre en lumière les conditions qui régissent cette activité informante de la_ pensée. Les mobiles psychologiques, théoriques, êsthétiquestet pratiques qui commandent, dans les consciences indiyiduell|g,'le cours des événements historiques, sont aussi ceux qui commandent, chez l'historien, l'organisation des faits en séries, leur détermination, par des lois, et leur synthèse sous les concepts qui- définissent le sens de l'histoire réelle. De là l'erreur du réalismejiistorique de là, aussi, la parenté de l'histoire avec l'art, où s'affirme pareillement la souveraineté de l'idée; de là, enfin, lorsqu'on veut _saisir -Je sens de l'histoire, considérée dans son ensemble, la nécessité d'assouplir les concepts, de les limiter les uns par les autres, de les faire entrer en réciprocité, d'action pour traduire intelligiblement les corrélations d'intérêts psychologiques sous-jacents au cours des événements, et.donner de ce cours une représentation aussi: 'complète. et aussi approchée que possible. Car le contenu de l'histoire a beau être de l'esprit :'il n'est pas pour cela immédiatement saisissable. La réalité historique peut être symbolisée par des- synthèses de concepts Simmel n'aperçoit, pas la possibilité de la connaître directement par l'intuition, comme pourrait le concevoir un bergsomen. Les contenus psychologiqueseux-mêmes ne peuvent être connus que sous des a priori K Par là, ̃1. Cf. Dans la Revue de Synthèsè-histoiliqùe. (n°40, t. XIV, année 1907, p.. 1-20), M Rauh a opposé à l'argumentation dejiimmel, considérée à part de l'ensemble de son système, comme une pure théorie" de la connaissance historique, la possibilité, pour l'historien, en se. laissant aller au fil- des choses, d'atteindre directement un certain nombre de vérités, partielles et approximatives, avec le sentiment immédiat de leur certitude. La théorie de la connaissance historique de Simmel apparait à M. Rauh çomme.beaucoup trop subjectiyiste, et comme ne tenant pas assez compte des résultats objectifs auxquels conduit-la technique complexe de la science historique. Contre la.critiquo simmélienne, M. Rauh revendique les droits du dogmatisme- expérimental. Il semble bien.que, sur ce point, le dissentiment des deux penseurs, accentué encore par le fait de considérer les Probleme der Geschichtsphilosophie à part de l'ensemble du système simmélien, soit aussi profond, et provienne dès mêmes.causes que celui qui les


en même temps que se trouve exclue toute métaphysique de l'intuition, se trouve garantie l'universalité de la théorie relativiste de la connaissance, que les Probleme der GeschicAtsphilosophie avaient précisément pour objet de démontrer.

IV. LE RELATIVISME SOCIOLOGIQUE.

Du relativisme historique au relativisme sociologique, la transition est aisée. Si l'histoire, dans son ensemble, est constituée par l'entrecroisement des séries de faits que les différentes histoires partielles analysent séparément, le domaine de la sociologie devra être constitué par une de ces séries, considérée à part de toutes les autres. Tout en constatant la tendance qui pousse la pensée moderne à rechercher dans les conditions sociales les facteurs déterminants de la vie, même la plus individuelle, et tout en lui payant largement son tribut, Simmel n'estime pas que cette méthode d'explication suffise à constituer la sociologie comme science. « Si cette tendance de la connaissance est si générale et pénètre partout, elle pourra bien, remarque-t-il, servir de principe régulateur à toutes les sciences de l'esprit, elle ne pourra pas fonder au milieu d'elles, en lui donnant une place particulière, une science spéciale indépendante. Si la sociologie devait réellement, comme on le prétend, embrasser l'ensemble de tout ce qui arrive dans la société, et exécuter la réduction de tout l'individuel au social, elle ne serait alors qu'un nom général pour la totalité des sciences modernes de l'esprit. Du même coup elle ouvrirait la voie aux généralisations vides et aux abstractions, apanage de la philosophie; comme celleci, elle voudrait, réunissant les choses les plus disparates en une unité tout idéale ou toute formelle, constituer un seul empire du monde scientifique, appelé à se diviser comme l'empire du monde politique, en gouvernements particuliers. La sociologie, entendue comme l'histoire de la société et de tous ses contenus, c'est-à-dire dans sépare sur le problème moral. Les efforts de Simmel pour mettre en lumière les droits de la philosophie relativiste en deçà et au delà de l'histoire, et à l'intérieur de l'histoire même, ne pouvaient être approuvés, ni exactement compris de M. Rauh dont tous les efforts tendaient à démolir les catégories philosophiques ». Imbu de l'idée que la philosophie n'avait plus qu'à disparaitre »^St E devait fatalement se persuader que la tentative de Simmel allait au rebours des progrès de l'histoire, comme science exacte.


le sens d'une explication de tous. les événements par les forces et ces confiourations sociales, est aussi peu une science particulière que l'induction par exemple. Comme celU^jsans^toute fois aussi complètement formelle, elle n'est qu'une méthode, un principe heuristique qui peut s'appliquer utilement à une infinité de domaines différents du savoir, sans cependant en former un pour lui seul*; » De cette e méthode, de ce principe heuristique^Simmel a fa.it, dans l'Einleituna dans la Philosophie des Geldes, et dans les Vorlesùngen ueber Kant le plus large emploi, en montrant que dans tous les cas, qu'il s'agisse des règles morales, desvaleurs économiques vou des vérités. scientifiques, l'objectivité à laquelle elles s'élèvent les unes comme les autres naît du social.: Mais précisément la généralité d'une telle explication interdit de fonder sur elle la.sociôlogie comme science spéciale, et la situe dans la sphère de la spéculation philosophique. A l'encontre, donc, des efforts ientés par l'école sociologique française pour étendre à touVle domaine philosophique le mode d'explication sociologique, et des prétentions affichées par la sociologie contemporaine, comme science particulière, à embrasser sous son point de vue toute la sphère des sciences morales, Simmel se propose, dans sa Soziologie, de délimiter rigoureusement, parmi lés séries enchevêtrées de faits dont l'ensemble constitue 1 histoire, celle sur laquelle « la sociologie^ peut,: a la condition de renoncer à ses prétentions de haut vol, vfonder^un état limité, et y faire valoir ses droits de propriété2 ». Conformément sa méthode générale, il s'efforcera, d'une part, de définir l'objet de ia sociologie, comme science exacte, et, d'autre .part, en deçà et-au delà-de cette science, mais en dehors d'elle, de préciser les _droits de la, philosophie, comme théorie de la connaissanje^comme spéculation sur la vie, pour rendre possible la connaissance positive de la réalité sociale et en dégager le sens général pourra vie. Ainsi prendra fin la confusion courante de la sociologie et de'la philosojhi,, de l'explication par les conditions sociales, comme principe heuristique avec la science positive de la société' puis/une fois définis ces deux domaines respectifs, Simmel mettra lui-même à l'épreuve ^la valeur de sa définition de la sociologie et de sa méthode 4'arydyse de la réalité sociale, en abordant l'étude directe_de cette dernière. La6o«oiogte, 1. Cf. R. de Métaphysique, sept, W4. Le problème de la sociologie, p. 497-498 et Soziologie, p. 3. r--

2. Cf. /!• de Métaphysique, Ibid., p. ou-t.


1- 1P

t. t. u

à la différence de YEinleitung, contient en effet, en plus d'une introduction philosophique à la science exacte, un grand nombre d'essais scientifiques sur les problèmes fondamentaux de la science sociale essais fort poussés, qui constituent un ensemble imposant, mais dont l'analyse, en raison de leur variété et de leur richesse, est impossible sans sortir du cadre d'une étude d'ensemble sur la doctrine simmélienne.

En se bornant, ici, à l'analyse de la partie critique et philosophique de la Soziologie, et à de brèves indications sur les applications que Simmel a faites de sa méthode aux problèmes fondamentaux de la science sociale, on ne saurait toutefois trop insister sur ce fait que, dans ce domaine, cette méthode s'est trouvée capable de conduire à des résultats positifs. Par là tombe, ou du moins perd considérablement de sa force, l'objection souvent adressée par les scientistes au criticisme et au relativisme philosophique, d'être une doctrine stérile au point de vue scientifique objection à laquelle le caractère purement critique de l'Einleitung semblait donner quelque valeur. Si d'ailleurs l'Einleitung in die Moralwissenschaft n'a pas été suivie d'un essai de Moralwissenschaft, la raison paraît en devoir être cherchée, bien plutôt que dans la prétendue stérilité du relativisme, dans ce fait que, comme on l'a vu,-la science morale n'a pas, à proprement parler, de domaine propre, mais ne peut s'organiser que par la synthèse de certains résultats de la psychologie, de la sociologie et de l'histoire. C'est, au contraire, parce que la sociologie a son domaine propre, que la méthode relativiste pourra s'y appliquer directement et y conduire à des résultats scientifiques, où elle trouvera une nouvelle et éclatante confirmation de sa fécondité. En réalité, la notion de relativité a commandé le développement de toutes les sciences positives. Mais, parce que la sociologie est une science nouvelle, les résultats auxquels elle aboutit apparaissent plus nettement que dans toutes les autres comme commandés par le relativisme posé dès l'abord. En sorte que le relativisme se montre aussi fécond sur le plan de la science exacte que sur le plan de la théorie de la connaissance ou sur le plan de la spéculation proprement philosophique.

A vrai dire, ce qui fait de la sociologie une science distincte, c'est moins la découverte d'un objet nouveau de la recherche scientifique, que la détermination d'un point de vue nouveau, d'une méthode nouvelle, pour considérer des faits déjà connus. « La sociologie,


comme science spéciale, écrit Simmel, trouve son objet spécial en traçant une nouvelle ligne au travers de faits qui, comme tels, sont déjà connus, mais qui n'ont pas encore été envisagés au point de vue d'un concept susceptible.de rendre connaissable, en formant une unité méthodique et scientifique qui les englobe tous, le côté de ces faits situé sur cette ligne 1. » Ceconcept, par lequel se trouve défini le point de vue de la sociologie comme science distincte, est celui de société. Qu'entend-on, donc, sous ce concept? Il y a société, répond Simmel, lorsqu'il y a réciprocité d'action entre divers individus, c'est-à-dire lorsqu'il y a entre ces divers individus association, collaboration, solidarité. Cette réciprocité d.'action entre les indi;vidus est la forme que revêtent les contenus de la réalité historique, intérêts, besoins, tendances, en. tant qu'ils sont: socialement vécus, contenus qui n'ont rien, en eux-mêmes, de social, mais qui n'en sont pas moins susceptibles de revêtir la .forme sociale, de même qu'ils peuvent revêtir la forme ;psychologique, la forme historique ou la forme morale. Qu'est-ce à dirersinqn,que le concept de société doit, pour délimiter la sphère d'une sociologie autonome,; s'ériger r en un concept purement formel, vide de tout contenu? « Une sociologie proprement dite, écrit Simmel, étudiera seulement ce qui est spécifiquement social, la- forme et les-formes de l'association, en tant que telle, abstraction faite des intérêts et des objets particuliers qui se réalisent dans et par l'association. Ces intérêts et ces objets sont le contenu des sciences 'spécifiques matérielles ou historiques c'est entre les cerclesde. ces sciences que la sociologie trace un cercle nouveau, qui englobe les forces-étles éléments sociaux en tant que tels, les formes de l'association2. » C'est le 'propre de l'abstraction scientifique, nécessaire au point de départ de toute science, d'isoler celte forme sociale, c'est-à-dire le fait pur de l'association, de la matière de-;causes_e^de fins particulières, avec lesquelles elle est donnée dans la réalité.

Cette abstraction n'est pas purement arbitraire, et elle trouve, dans la structure même delà réajité objective, une justification, -qui est d'ailleurs nécessaire pour- que la sociologie constitue; à proprement'parler, une science. DëuxJaits nous autorisent à séparer la forme sociale du contenu historique, et contribuent -également à rendre la sociologie possible.-D'une part le fait que" la même 1. Cf. Soziologie, p. 4. ̃-̃̃̃-

2. Cf. R. de Métaphysique,' Ibïd.v-'ÇW-


forme de socialisation peut recouvrir des contenus différents. D'autre part le fait que, inversement, des contenus identiques peuvent revêtir des formes de socialisation différentes. Et d'abord, pour ce qui concerne le premier fait, il est indéniable que « dans les groupes sociaux, que leurs buts et leurs caractères moraux font aussi différents qu'on peut l'imaginer, nous trouvons par exemple les mêmes formes de la domination et de la subordination, de la concurrence, de l'imitation, de l'opposition, de la division du travail, nous trouvons la formation d'une hiérarchie, l'incarnation des principes directeurs des groupes en symboles, la division en partis, nous trouvons tous les stades de la liberté ou de l'indépendance de l'individu à l'égard du groupe, l'entrecroisement et la superposition des groupes mêmes, et certaines formes déterminées de leur réaction contre les influences extérieures. Cette ressemblance des formes et des évolutions qui se produit souvent au milieu de la plus grande hétérogénéité des déterminations matérielles des groupes, y révèle, en dehors de ces déterminations, l'existence de formes propres, d'un domaine dont l'abstraction est légitime c'est celui de l'association en tant que telle, et de ses formes. Ces formes se développent au contact des individus, d'une façon relativement indépendante des causes matérielles (actuelles, singulières) de ce contact, et leur somme constitue cet ensemble concret qu'on appelle, par abstraction, société »

Et d'autre part, pour ce qui concerne le second fait, « le même contenu d'intérêts peut se présenter dans des formes sociales très différentes par exemple l'intérêt économique se réalise aussi bien par l'exclusion des autres groupes économiques et par leur inclusion les contenus de la vie religieuse exigent, tout en restant identiques à eux-mêmes en tant que contenus, tantôt une forme de communauté libérale, tantôt une forme de communauté centralisée; les intérêts qui sont à la base des relations des races s'apaisent dans la diversité, à peine saisissable d'un seul coup d'œil, des1 formes de l'organisation familiale; l'intérêt pédagogique conduit tantôt à une forme libérale, tantôt à une forme despotique des relations entre le maître et les élèves, tantôt à des réciprocités d'action individuelles entre le maître et l'élève isolé, tantôt à des réciprocités d'action collectives entre le maître et la collectivité des élèves. De même i. Cf. R. de Métaphysique, sept. 1894, p. 499-500.


donc qu'une seule et même forme peut contenirles contenus les plus divergents, de même la même matière peut subsister alors que les relations des individus, qui. sont le support de cette matière, se meuvent à travers une diversité de formes. » Cette indépendance, au moins relative, des formes, qui peuvent recouvrir divers contenus, et des contenus, qui peuvent revêtir diverses formes, légitime l'abstraction qui est nécessaire à la. constitution de la sociologie comme science, et qui consiste à isoler, pour les étudier à part, les formes de la socialisation.

Cette conception de la sociologie s'oppose nettement, dès l'abord, à la conception des sociologues français contemporains, qui repose sur la détermination du fait social par les deux caractères d'extériorité et de contrainte. La sociologie française, issue du-tradionalisme et du positivisme, a hérité du préjugé anti-individualiste auquel s'est trouvée associée,, dans ces ;deux' doctrines, pour des raisons historiques et politiques contingentes, l'idée qu'il existe une nature sociale. Préoccupés avant tout d'opposer un frein aux initiatives individuelles en matière d'organisation sociale et politique, les traditionalistes et Auguste Comte s'étaient attachés à démontrer que la nature sociale a, comme la nature physique, ses lois propres, supérieures aux volontés individuelles, et :que les individus ne sauraient enfreindre sans déterminer. de_ graves bouleversements: leur désir d'organisation et de stabilité sociale.s, qïiejustifîait l'état de la société française au début et au. milieu du xix° siècle, et leur ardeur à réagir contre l'esprit révolutionnaire fournissent l'explication de l'opposition qu'ils ont établie entre _Tindividu et.la société. En partant de cette opposition, telle que le traditionalisme et le positivisme l'avaient conçue, pour définir le lait social par l'extériorité et la contrainte par rapport aux consciences individuelles, la sociologie française contemporaine a continué à exclure du domaine de la recherche sociologique les forces individuelles et leur interaction même elle a incliné à les méconnaître; et par suite, parmi les formes de socialisation, elle- a négligé celles qui comportent, non la contrainte d'une institution, mais l'interaction d'individus affranchis, c'est-à-dire, en somme, toutes les formes modernes de la société. Sur la conception sociologique de l'école de M. Durkhein, la-conception simmélienne présente donc, d'abord, cet avantage, d'être Cf. Soziologie, p. 8-9.- =^–. .̃̃


beaucoup plus large, et de s'appliquer aussi bien aux sociétés libérales et démocratiques, où l'individu est, comme agent libre et comme électeur ou législateur, un facteur agissant du progrès, qu'aux, sociétés autoritaires, où la masse et les traditions sont tout, et où l'individu n'est rien. Simmel, il est vrai, ne se rallie pas pour cela à la thèse soutenue en France par M. Tarde, et suivant laquelle les faits sociologiques seraient essentiellement des faits psychologiques. Il se préoccupe tout autant que M. Durkheim d'assurer l'indépendance de la sociologie, comme science, et de la distinguer de la psychologie ou de l'histoire. Mais cette indépendance de la sociologie, il s'efforce de la garantir par l'intervention de concepts moins abstraits, moins massifs, plus proches de la réalité concrète et vivante, que les concepts d'extériorité et de contrainte. Ces concepts qui se rangent tous sous le concept relativiste par excellence de la réciprocité d'action, sont, comme on l'a vu, ceux de la domination et de la subordination, de la concurrence, de l'imitation, de l'opposition, de la division du travail, etc.. etc., c'est-à-dire des concepts qui, s'ils assurent la constitution d'une expérience sociologique distincte de l'expérience psychologique ou historique, font cependant, place, dans leur contenu, à toutes les variétés de l'action individuelle, depuis la plus dépendante jusqu'à la plus libre. Et ainsi se trouvent conciliés, sous l'unité du point de vue relativiste, les deux besoins opposés auxquels ont répondu séparément, en France, les conceptions sociologiques de M. Tarde et de M. Durkheim d'une part le besoin d'affranchir la sociologie, comme science, de la tutelle de la psychologie, et d'autre part le besoin de la tenir aussi près que possible de la réalité concrète.

De cette différence fondamentale entre la conception de M. Durkheim et la conception simmélienne découle immédiatement une autre différence importante. Au lieu de se borner, comme la sociologie de M. Durkheim, à l'étude du macrocosme social, c'est-à-dire à l'étude des phénomènes sociaux massifs, cristallisés, formations synthétiques et dérivées, isolables de l'interaction humaine dont elles résultent, la sociologie devra, selon Simmel, nous révéler la structure mici'oscopique de la société, et nous faire assister au détail des processus dont les grandes institutions, telles que les États, les Églises, les corporations, la famille, etc. sont les résultantes. Une comparaison avec l'organisme vivant et la société rend plus sensibles les lacunes de l'étude macroscopique. Les grandes institutions sont


à la société ce que les.organes sont à l'organisme. Or nous-ne connaissons entièrement les organes du corps vivant que lorsque nous en connaissons la formation et celle-ci résulte d'une infinité de processus intra- et inter-cellulaires, qu'il est par conséquent néces-. saire d'analyser. 11 en est dans la société comme dans l'organisme. vivant. Les grandes institutions qui sont les organes du corps social ne peuvent être entièrement connues que si l'on analyse les pro- cessus élémentaires d'où elles naissent, et.qui régissent la formation du lien social. Toutefois, il nerfaudràitpas se méprendre sur le sens. de cette analogie entre l'organisme et la société, qui n'a, aux yeux, de Simmel, qu'une portée purement méthodique. « Absolument au delà de toute analogie sociologique ou métaphysique entre les réa-. lités sociale et organique, il s'agit uniquement -ici, remarque-t-il, d'une analogie dans l'étude méthodique de ces deux ordres de réa-. lité et dans son développement; iL, s!agit de Ja découverte des fils ténus, des rapports les plus minimes entre les hommes, dont la répétition continuelle supporte toutes. ces grandes formations, devernues objectives, qui ont une histoire propre. Ces processus tout à. fait primaires, qui informent en « société » la mati.ère immédiate individuelle, doivent ainsi, aussi bien" que les événements et formations supérieures èt complexes, être, soumis à l'élaboration formelle- (sind also. der formalen Betrâchtung zu unterziehen); et les réciprocités d'action particulières, qui.se présentent sous ces proportions, peu familières au regard théorétique, doivent être envisagées comme des parties de la socialisation en général »

Ce qui permet à la sociologie de revendiquer pour elle-même l'analyse de ces processus, qui sont, à vrai dire, des processus psy-f chologiques, c'est la possibilité, déjà, mise en lumière dans les Problème der Geschichtsphilosaphie, ,de distinguer dans les phénomènes, psychologiques eux-mêmes, d'une part. leurs processus proprement dits, obéissant à certaines lois qui sont les lois de la psychologie, et, d'autre part, le contenu de ces procéssus, susceptible de revêtir d'autres formes que celles de la science psychologique, et en particulier la forme sociologique. :L'étude scientifique des réalités,psychiques n'est pas nécessairement psychologie 2. » Ces réalités, peuvent être envisagées de points de vue différents, et par des: sciences différentes. « Le fait que les hommes influent les uns sur 1. Cf. Soziologie, ̃ p. 20-21. 1. 2. Cf. Ibid., p. 21. =;»"


les autres, que l'un fait quelque chose et qu'un autre le subit, est naturellement un phénomène psychique, et la production historique de chaque cas de ce phénomène ne saurait être comprise que par une information psychologique, par l'hypothèse de séries psychologiques, par l'interprétation de ce qui est extérieurement contestable à l'aide de catégories psychologiques. Mais, d'un point de vue scientifique particulier, on peut laisser tout à fait de côté cet événement psychique, comme tel, pour suivre, diviser, mettre en relations ses contenus en eux-mêmes, en tant qu'ils se rangent sous le concept de la socialisation 3. » De ce point de vue, qui est celui du sociologue, ce que l'on envisagera, ce sont les formes des relations interhumaines que seront susceptibles de revêtir ces contenus et ces formes sont précisément celles qui ont déjà été déterminées, domination, subordination, concurrence imitation, opposition, etc. De ces diverses formes de la socialisation, dont l'étude doit constituer, selon Simmel, l'objet de la sociologie comme science indépendante, la Soziologie contient une analyse déjà fort poussée, qu'il ne saurait être question de suivre dans le détail, mais dont il importe pourtant d'esquisser les grandes lignes et de signaler l'intérêt. C'est ainsi, par exemple, que Simmel s'efforce de mettre en lumière l'influence exercée, sur l'organisation intérieure des groupes sociaux, par le nombre plus ou moins grand de leurs membres, d'analyser les formes principales, de déterminer les conditions psychologiques et les conséquences sociales de la domination et de la subordination, de la concurrence et de la lutte pour la vie, de dégager les lois qui régissent la vie des sociétés secrètes sous l'influence du seul secret, de faire ressortir les principales formes de l'interférence et de l'entrecroisement des cercles sociaux, familles, professions, nations, etc. et leurs conséquences principales, de préciser l'influence de la pauvreté et de la richesse sur l'organisation sociale et les relations inter-individuelles, d'analyser les conditions de la conservation et de la permanence des groupes sociaux, conditions qu'il trouve dans l'incessante interaction de leurs membres, de déterminer l'influence de l'espace sur l'organisation des sociétés, et enfin de mettre en lumière les principaux facteurs qui président à l'extension des sociétés et à la constitution d'individualités libérées et différenciées. Complétées par de nombreuses digressions, 3. Cf. Soziologie, p. 22-23.


dont l'une des plus curieuses est l'analyse de l'influence sociologique des différents sens (et en particulier de/llodoraP), ces analyses s'inspirent toujours de la même;prèoccupation essentielle montrer comment, et sous l'influence de quels facteurs, les contenuspsycbologiques peuvent revêtir des formes sociales diverses,-mais toujours réductibles à la catégorie relativiste par excellence, delà réciprocité d'action entre les individus. I ̃ •-

II en est de la sociologie; ainsi constituée, comme de toutes les sciences exactes, morale, économie politique, histoire, etc.. elle a, elle aussi, deux frontières par lesquelles elle confine à la philosophie, sa frontière d'origine et sa,. frontière terminale. De ces deux domaines philosophiques, qui bornent la sociologie comme science exacte, « l'un comprend les conditions, les concepts fondamentaux, les hypothèses de la recherche particulière, qui ne sauraient être enfermées en cette dernière, puisqu'elles en sont bien plutôt les conditions; dans l'autre cette recherche particulière est conduite à des parachèvements et à des synthèses, et mise en relation avec des concepts et des problèmes qui n?onLaucun£, place dans l'expérience et dans la connaissance immédiatement, objective. Le premier domaine est celui de la théorie d_e la connaissance, le second celui de la métaphysique de la sociologie. Le dernier, implique deux problèmes, qui toutefois re§tent7à;juste titre confondus' dans la pensée réelle la non-satisfaction du caractère fragmentaire des connaissances particulières, et la. fin prématurée des vérités établies et des séries de preuves, conduisent à l'achèvement de ces connaissances incomplètes par le moyen de la spéculation," et provoquent le besoin parallèle de compléter le défaut de cohésion et l'opposition de ces fragments dans, l'unité_d'up.e formation d'ensemble. Et à côté de cette fonction métaphysique, dirigée dans le sens du degré de la connaissance, en interyientsune__aulre, dirigée dans le sens d'une autre dimension du réel^ dans.laquelle réside la signification métaphysique de. ces contenus. nous les exprimons comme le sens ou la fin, comme la substance absolue sous-jacente aux phénomènes relatifs, et aussi comme la valeur ou la signification religieuse. Vis-à-vis de la société' cette attitude mentale donne lieu à des questions comme celle-ci La société est-elle le but de l'existence humaine, ou un moyen pour l'individu? Est-elle pour lui un 1. Cf. Problèmes de Philosophie relativiste, trad./A. Guellain, p. 17-38 et Soziologie, p. 646-665. -:̃-̃•-


moyen, ou au contraire un empêchement? Sa valeur réside-t-elle dans le fonctionnement de sa vie, ou dans la réalisation d'un esprit objectif, ou dans les qualités morales qu'elle fait naître chez les individus? Une analogie cosmique se révèle-t-elle dans les stades typiques de développement des sociétés, en sorte que les relations sociales des hommes devraient être rangées sous une forme ou un rythme général, étranger par lui-même aux phénomènes, mais en constituant le fondement, forme ou rythme qui régiraient également les forces essentielles des réalités matérielles? Peut-il en général y avoir une signification métaphysico-religieuse des sociétés, ou cette signification métaphysique est-elle réservée aux âmes individuelles1? » Questions essentiellement philosophiques, qui relèvent, non plus de la sociologie, mais de la philosophie sociale. Ces questions, à la vérité, Simmel ne les aborde point dans sa Sociologie. Tout au plus donne-t-il sur elles des aperçus fragmentaires dans divers articles de revues, où s'exprime sa conception de l'unité de la vie, que nous définirons brièvement dans un dernier article. Mais, en revanche, la Soziologie contient, sur la théorie de la connaissance sociologique, c'est-à:dire sur le domaine philosophique situé en deçà de la connaissance sociologique exacte, des remarques fort importantes, qui achèvent de caractériser la conception simmélienne de la sociologie, et de la distinguer de la conception de l'école sociologique française. Ces remarques, il importe de les analyser succinctement.

Le problème que la théorie de la connaissance sociologique a à résoudre est le suivant Comment la société en général est-elle possible? Ce problème, à la vérité, on pourrait être tenté de le résoudre par l'histoire. Mais l'histoire ne saurait en aucune façon rendre compte de la naissance du lien social. Reprenant une idée chère à Auguste Comte, Simmel montre aisément que la société n'a pu naître de la conviction préalable de son utilité, cette conviction étant nécessairement postérieure à une longue évolution sociale, et l'idée que l'action sociale est plus efficace que l'action isolée n'ayant par conséquent pu être acquise qu'a posteriori. C'est dire que les conditions qui rendent la société possible, si elles existent, ne peuvent être qu'a priori, et que leur recherche incombe, non à l'historien, mais au philosophe, comme théoricien de la connaisI. Cf. Soziologie, p. 25-26.


sance. Toutefois, le problème. de., savoir comment la société en, général est possible, en dépit de son: analogie formelle, avec le problème kantien « Comment la. nature est-elle possible? », ne saurait être résolu par une simple application de.la solution apportéepar Kant pour ce qui concerne la_nature._ Pour diverses raisons, il ne saurait suffire, ici, de faire appel à la fonction synthétique des.. catégories de L'entendement..

En effet, l'unité de la société n'est pas du même ordre que l'unité de la nature. Tandis que" .cette dernièrg__esiJ',œuvre,d'un spectateur,. groupant, à l'aide des catégories "̃: de rênlendement, les éléments divers et distincts de l'aperception,' l'unité de la, société est indépendante de l'activité synthétique d'un spectateur elle est réalisée directement et immédiatement par les éléments sociaux eux-mêmes,, entrant en réciprocité d'action., D'autre part les relations qui unis-sent les membres du corps social sont >d'_une autre nature que celles qui unissent les éléments du monde physique, le monde physique étant le monde de la juxtaposition, le monde, social celui de la corrélation vivante. Enfin,- si l'on se.. place au point- de vue du sujet, l'unité que peuvent acquérir. nos représentations de la nature apparaît comme beaucoup plus: élr.oitej[ue celle dont sont susceptibles nos représentations de la.sQciétéj.et cela en raisonde.la simplicité,, au moins relative, de la nature physique, composée d'un nombre relativement peu considérable d'élémentshomogènes et impersonnels, soumis à des lois générales, tandis que la société, au contraire,. est composée par une multitude d'.éléments personnels, hétérogènes, irréductibles. Et, en effet, à la différence des objets de la nature, qui, n'ont pour nous une existence objective que dans la mesure où ils sont soumis aux lois de notre représentation, -les éléments du corps social, c'est à-dire les individus, ont à nos yeux une existence indé^pendante de notre représentation, une existence absolue et inconditionnée comme la nôtre. Si la société est notrereprésentation, elle' ne l'est donc pas au même. titre que la nature. La. question se pose de savoir comment, tout en reconnaissant aux autres individus une existence indépendanlede nous, et en quelque sorte une-existence comme choses en soi, nous parvenons "cependant. à. en faire des. objets de notre représentation, et comment, en tant: que tels, ils nous apparaissent comme membres, au même titre que nous, de la société dont' nous faisonspartie. Cette transformation des autres individus, comme choses en soi, en objets de, notre représentation


et en membres du corps social est évidemment commandée par des catégories, qui sont les conditions pures a priori de la connaissance sociologique. Ce sont les catégories qu'il s'agit de déterminer. Simmel en aperçoit trois principales.

La première à déjà été déterminée, dans les Probleme der Geschichtsphilosophie comme un des a priori qui commandent la recherche historique. C'est l'impossibilité où nous sommes de jamais connaître d'une façon absolument adéquate les autres individus, dans la mesure où ils diffèrent de nous. Contraints, par conséquent, de nous contenter d'une représentation fragmentaire, nous sommes conduits à généraliser les traits que nous apercevons empiriquement en les rangeant sous une catégorie a priori, classe, profession, parti, etc. Dès lors, nous comprenons l'individu sous ces concepts généraux, c'est-à-dire comme membre d'une classe, d'une profession, d'un parti, nous érigeons ce caractère en caractéristique essentielle de sa nature; nous rétrécissons, par l'abstraction, et nous étendons, par la généralisation, la représentation que nous avons de son individualité. Et il en résulte un effacement de cette dernière, en ce qu'elle a d'irréductible, effacement dû à l'imperfection de notre représentation des individus. Il y a là, semble-t-il, une sorte de renversement de la conception schopenhauerienne, d'après laquelle la représentation fausserait, dans le sens de l'individualisation, la réalité, impersonnelle en soi d'après Simmel, qui reprend ici une des idées sur lesquelles il a le plus insisté dans les Probleme der Gesehichtsphilosophie, la réalité en soi serait essentiellement individuelle, et la pensée sociale, la pensée de l'impersonnel, de l'abstrait et du général, se justifierait uniquement par.l'infirmité de notre représentation et par sa propre utilité pratique, seul fondement de la valeur des concepts. Ainsi s'affirme encore l'opposition de la pensée simmélienne et de la conception sociologique de l'école de M Durkheim; opposition qui est celle, à la fois, du nominalisme et du réalisme, du criticisme et du dogmatisme.

La seconde catégorie de la connaissance sociologique est constituée par l'idée que, cependant, la vie sociale n'absorbe pas l'individualité tout entière, mais que tout individu conserve, à côté de la sphère de sa personnalité qui rentre sous le concept de membre de tel ou tel groupe social, une sorte de résidu extra-social qui est son bien propre, et qui reste absolument irréductible. Cette catégorie est, évidemment, le corrélat théorique de la précédente; elle se


borne à poser l'existence d'un:Ior_iatérie.ur, d'un quant-à-soi que =. la première catégorie ne saurait atteindre, et à: réserver, à côté des droits de la sociologie, ceux de la. psychologie et de 1.'histoire. Dans la pratique, d'ailleurs, les contenus qui rentrent sous rune.etl'autre catégorie sont en corrélation incessante. L'individu extra-social et l'individu social entrent en réciprocité d'action, le premier étant la résultante des influences sociales, elle second commandant les réactions de l'individu à ces influences. Et c'est cette réciprocité d'action vivante qui, conformémentjiu principe fondamental du relativisme simmélien, constitue l'unité réelle_et profonde de l'individualité. "> ̃'– '̃̃

La troisième catégorie, enfin, synthétise lés deux autres. Elle est constituée par l'inégalité des éléments sociaux, considérés, non dans leur valeur, mais dans leur contenu et dans leur destinée., Ea raison de cette inégalité, tout se passe dans la société comme si chaque élément social, c'est-à-dire chaque individu, avait à jouer un rôle particulier, auquel il serait destiné.; La vie individuelle, ..celle-là, même qu'exprime la seconde catégorie, entre en corrélation avec la vie sociale, qu'exprime la première catégorie; et la société n'est pleinement réalisée, la socialisation n'est enjière que lorsque la vie extra-sociale de l'individu s'intégre exactement dans l'organisation du corps social dont il fait partie. Cette intégration, dont résulte seulement une société parfaite (abstraction faite, de toute signification morale ou eudémonistique du mot « parfait »). semble ne pouvoir, résulter que de la prise de conscience, par l'individu, de la nécessite, de se tenir a la place pour laquelle il est .fait. Et, par la, la socialisation, au lieu d'être simplement Met d'une multiplicité de causes efficientes, devient une fin pour l'individu, conscient. et la série causale qui aboutit à la formation, de la société se transforme en une. série téléologique. La société apparait, dès lors, comme un milieu, où chaque individu trouve, toute préparée, sa place, et qui lui dicte son rôle et les corrélations, dont-la trame constitue la vie sociale, s'achèvent ainsi, dans la série téléologique, dans la corrélation des droits individuels et des devoirs sociaux, c'est-à-dire dans une dernière réciprocité, qui garantit également l'autonomie- individuelle et les intérêts de la conservation eLdu progrès social, et qui est la loi fondamentale des sociétés eiviliséeset démocratiques. Là n'est pas le moindre mérite de cette conception,. de s'appliquer aux sociétés modernes, où l'individu est à. |ajo[s législateur et citoyen, et


de ne point chercher uniquement la réalité sociale, ainsi qu'on a pu le reprocher, avec quelque apparence de raison, à l'école de M. Durkheim, dans les masses indifférenciées et passives, dans les troupeaux humains des âges préhistoriques ou des époques primitives, dans les sociétés atrophiées ou décadentes.

Telle est, dans ses grandes lignes, la conception simmélienne de la sociologie. Ce qui la caractérise essentiellement, c'est son caractère philosophique quoique faisant l'objet d'une science exacte et positive, et par cela même qu'elle en fait l'objet, la réalité sociale, relève, comme tous les autres ordres de la réalité, de la philosophie, et cela en deux sens différents. D'abord parce qu'une élaboration théorétique est nécessaire pour constituer l'expérience sociale; ensuite parce qu'au delà de la connaissance positive, il y a place pour une spéculation rattachant la vie sociale à l'unité de la vie. Bien plus, à l'intérieur même de la science positive de la société, on saisit encore la domination de conceptions philosophiques dont le champ d'application s'étend bien au delà de la société la sociologie de Simmel apparaît en effet comme commandée de la façon la plus expresse par les idées directrices de son relativisme, et en particulier par cette notion de la corrélation et de la réciprocité d'action qui a trouvé, dans tous les autres domaines scientifiques, son application antérieure. La constitution de la sociologie comme science positive n'est donc point, pour Simmel, bien au contraire, la fin de la philosophie mais la théorie de la connaissance et la métaphysique conservent, par rapport à cette science nouvelle, tous leurs droits. De là toutes les différences qui séparent la conception simmélienne des conceptions sociologiques des positivistes contemporains, trop portés, semble-t-il, à méconnaître les droits de la philosophie à la vie, et à la dissoudre dans les techniques scientifiques. (A suiore.) A. Mamelet.


LE CONGRÈS INTERNATIONAL D'ÉDUCATION MORALE DE LA HAYE (1912)

Le congrès tenu en août dernier à la Haye a confirmé et accru le succès du mouvement international pour l'éducation morale qui s'était affirmé à Londrès au premier congrès. de 1908. Grand nombre d'adhérents; grand nombre de collaborateurs représentant les tendances les plus diverses ;et venus,;de tous les pays, sauf de l'Italie, qui a refusé de piarticiper-à une réunion où l'italien n'était pas admis comme langue officielle; sérieuse qualité d'un grand nombre de communications. Peut-être eût-on pu souhaiter une. participation plus complète encore des éducateurs et philosophes français, une représentation du mouvement-sociologique répondant à son importance, une représentation du mouvement syndical, qui comporte en matière d'éducation^ji,es doctrines originales, un concours plus actif des représentants du modernisme catholique. -– Au demeurant le congrès de 1912, rassemblant de-tous les points du globe des matériaux pour une construction dont l'importance.n'est pas niable, – celle de l'âme de l'enfant d'aujourd'hui et de la cité de demain, – devait être et a été l'objet de beaucoup d'attrait, de beaucoup d'espoir. Dans la Ettêsure_oji_cfit espoir était légitime, il n'a pas été déçu. On ne devait pas attendre des résultats en quelque façon tangibles et mesurables, comme d'un congrès proprement scientifique ou relatif à une technique matérielle. Là en effet les apports s'additionnent, la somme en est une valeur déterminée. Mais un système d'éducation est un tout relatif à des conditions nationales, religieuses, à des principes et à des faits qui varien.t selon les milieux et selon les groupes. Chaque collaborateur apporte au-

QUESTIQNSJP.RATIQUES:


concôV > 'ragmentaire du système éducatif qu'il connaît ou conçoit, ou bien une synthèse prodigieusement elliptique. Point de --«e mesure applicable immédiatement à des contributions aussi hétérogènes, pour en dégager automatiquement un bénéfice positif. A un congrès d'éducation il ne convient pas précisément de demander qu'il nous donne des résultats il faut que chacun, par son propre effort, les en tire, en repensant les idées, en refaisant ou interprétant pour soi l'expérience des autres. C'est par un tel effort d'assimilation que l'on restitue leur valeur à des contributions qui autrement ne constituent guère ensemble qu'un amas chaotique. C'est cet effort que je tenterai ici du point de vue de nos préoccupations françaises et plus particulièrement du point de vue des cond,t,ou8 de notre éducation publique. Je concentrerai d'ailleurs l'investigation presque exclusivement sur les questions qui ont absorbé la plus grande part des travaux du congrès, sur les questions concernant les conditions essentielles et la base même de l'éducation morale.

I

Première constatation dans la pensée de la plupart des collaborateurs les congrès d'éducation morale répondent à un besoin de notre époque particulièrement urgent et universellement senti, à la nécessité d'une réorganisation des bases morales et éducatives des sociétés modernes dans toutes les sociétés du globe, c'est une transformation profonde des conceptions, méthodes et institutions d'éducation, qui s'opère selon des modes variés

L'une des formes de cette affirmation, c'est la dénonciation d'une « crise de la morale ». En France M. Paul Bureau' jette le cri d'alarme. Mais le même cri s'élève en bien d'autres pays, notamment dans la Hollande protestante et traditionaliste, où le Dl Mouton accepte la constatation d'un fléchissement général des mœurs et en cherche les causes. Aussi est-il difficile d'accorder à M Bureau la conclusion toute française qu'il tire de ses statistiques savoir que t. Les textes de toutes les communications mentionnées dans cet article tigurent dans les quatre volumes des Mémoires sur l'Édu"oîL 1 publiés par M- Attie Dyserinck pour le Comité exécutif néerlandais (La Haye, vP"bllés Xijho/r, i9t2). Une table alphabétique par noms d'auteurs permet de retrouver immédiatement le texte du mémoire de tout auteur cité. En conséquence je me suis abstenu de donner pour chaque citation une référence spéciale. Je


oov

le fléchissement de la conscience commune s~trenetde.lasubst~tution d'un enseignement laïql1é~à l'enseignement religieux. Il semble plus exact de reconnaître:~ c. fléchissement est l'effet d'un ensemble de modifications intellectuelles et sociales, dontl'une des plus graves est sans doute l'inéluctable écroulement des formes confessionnelles de la vie reli g ieu e,. alor. S-~ qu 6. d'ailleurs ~la forme laïque de l'éducation inôrale -n'est Èas--encor, 1e- s. uffigammeàt constituée pour s'acquitter de façon-satisfaisante de la fonctioncqui était celle de l'éducation religieuse, au temps 04 celle~cipuisait sa vigueur dans son accord aux conditions intellectuelles et- sociales. C'est donc tout le progrès moderne, c'est le développement de la connaissance analytique; c'est, comme le remarque très judicieusement M. Mouton, le développement prodigieusement rapide de la civilisation matérielle, c'est le mouvement- social travaillant toutes les nations, c'est tout cet ensemble de causes hees,qu.entraine la « crise de la moralité ».

~s~~ducation n'e~qu-un'ep~ ce mouvement de transformations nécessaires, et ce7t-é~isode ne paraît nullement devoir être localisé en France.. Le recteur' HÕft, de Hambourg, remarque que dans la plupart des pays (notamment en Hollande, Italie, Amérique, France, Suisse) s'àcdom-plit un rn 1ouveibent de séparation de l'école et des égUse~il remarquë~u. cette évolution est liée à celle de la vie entiere.rquT a pris un caractère laïque; rationnel; il voudrait hâter~ le' Mo-men' t7oùi cette évolution s'accom- plira dans son propre P~s.Cett~pInion, cette attente se manifestent identiques en plusieurs autres mémoires allemands. En Angleterre, en Autriche, des sociétés ~que. préparent et,-commenceritcette évolution en cherchant et* appliquant' dès- principes laïqueS- d'éducation. 1/éducation laïque règne dans les écoles de l'Inde mor- celée en sectes (Prof. H.-J. Bbabba). Dansia Hùngrietourmentée par les antagonismes de religions commelde~~an. Kemény lance un appel presque tragique ~tre Le mouvement vers la laïcisation paraît général. Reste que notre pays de raison et de révolution, c'est-à-dire de transformations anticipées par une volonté logique, a pris la tête du mouvement et, si l'on veut, devancé l'}1eure, Son histoire intérieure a posé les problèmes religieux, comme lés problèmes sociaux sons l'angle de l'absolu, et la laïcité est ici fait accompli depuis trente ans, tandis qu'ailleurs elle est l'événement qui insensiblement se réalise.


Si l'acheminement vers la laïcisation est assez constant, il ne laisse pas que d'offrir selon les pays les modalités les plus diverses le mouvement de réorganisation de l'éducation est loin d'être uniforme. C'est ainsi par exemplé qu'en France et en Belgique la laïcité, en dépit qu'elle en ait, est regardée comme l'ennemie de la religion, tandis qu'en Angleterre elle apparaît comme l'aboutissement du libéralisme religieux, ou comme un sage compromis permettant de tirer parti de la diversité même des sphères confessionnelles, pour constituer en dehors d'elles une base d'union et de collaboration morale entre les diverses formations religieuses et sociales de l'Empire. Cependant partout le mouvement de réorganisation se montre composé d'une tendance progressive et d'une résistance, et il faudrait être aveugle, quand on a l'ensemble sous les yeux, pour ne pas voir que la résistance est nécessaire au développement même de la tendance. Ici aussi il faut que l'air résiste aux ailes de la colombe. Si l'on supposait brisés tout d'un coup les antiques ressorts de. l'éducation, abolies les institutions et leurs empreintes dans les âmes, l'effort de réorganisation laïque s'abattrait soudain dans le vide. Une réorganisation est nécessairement fonction de l'ordre qu'on bouscule pour le restaurer. Dans un congrès d'éducation morale le concours des représentants des formes traditionnelles avec les novateurs est une condition indispensable de travail fécond. Aussi bien n'a-t-elle pas fait défaut à celui de La Haye, qui a réalisé les confrontations utiles.

Il était difficile que les travaux du congrès ne prissent pas l'aspect d'un conflit de tendances, d'autant que la majorité des mémoires présentés témoignent de ce fait, que la préoccupation capitale en matière d'éducation, c'est celle des principes inspirateurs, celle du grand parti pris moral qui maintient un système d'idées et d'influences sociales toutes les méthodes d'enseignement, la discipline, l'organisation scolaire, les organisations sociales sont relatives à l'inspiration centrale qui les traverse et les anime. Il était inévitable, la question des principes étant ainsi placée au premier plan, que les collaborateurs de diverses tendances vinssent à se grouper en partis plaidant les uns contre les autres. C'est ce qui se produisit parfois, nonobstant les meilleures intentions, au cours des séances plénières. Mais un fait très remarquable a permis que la lutte fût portée sur un terrain tel, qu'elle donnât lieu à autre chose qu'à des joûtes dialectiques c'est que la majorité des rapporteurs


se sont délibérément placés, au point de vue pratique, disons même, pour employer un terme en vogue, pragmatique. « Prise del'éduca^tion chrétienne sur les âmes », « conditions d'efficacité de la morale laïque », voilà les formules qui s'opposent. Sans doute en acceptant ce terrain chacun a l'arrière-pensée de favoriser ses.propres vues-, persuadé que leur supérieure vérité entraîne leur prépondérance pratique. Mais l'important, c'est qu'en prenant pour point de départ la question d'efficacité, confessïonj|eJs^ej,Llaïques se sont donné pour tâche de creuser, chacun par- sa voie propre, jusqu'aux véritables données des problèmes de l'éducation, qui résident dans la profondeur de la volonté humaine :-car ils se sont impose d'établir la valeur de leurs systèmes respectifs par rapport à des conditions fixes posées par la nature même. Ainsi au coursée la discussion pragmatique, c'est la réalité psychique et sociale, qui est explorée, au bénéfice de ceux qui préfèrent à la vérité, qu'ils: possèdent celle, plus belle» qu'ils aspirent à posséder. Je vais tâcher de dégager les principaux résultats de l'exploration, en commençantj'examen par ceux que nous apportent les esprits fidèles aux formes confessionnelles de l'éducation morale. II est .biën^entendu que cet examen n'est pas celui d'un spectateur « désintéressé », mais fort intéressé au contraire à trouver son bien dans la pensée des autres.

II

Le premier des quatre volumes de Mémoires sur Véducation morale publiés par les soins de; la. secrétaire générale du comité néerlandais, Mlle Attie Dyserinck, s'ouvre sur la communication en langue anglaise du Prof. M. E. Sàdlef, vice-chancelier de l'Université de Leeds, immédiatement suivie par la communication en langue allemande du Dr F. W. Fœrster^de Zuric^i, fils du Prof. Wilhelm Fœrster, le grand protagoniste allemand dej'idée morale laïque. Ce n'est point sans dessein, je pense, que ces deux contributions ont été offertes les premières à la réflexion du lecteur. Elles représentent éminemment une conception deTéducation morale où les organisateurs ont vu, avec raison, je^croïs, un point d'équilibre fort important du congrès; elles exposent un christianisme exclusivement pragmatique, n'opposant aucune barrière quelconque à la libre discussion, et offrant ainsi un terrain de contact aux préoc-


cupations confessionnelles et aux recherches d'esprit purement laïque.

Très brièvement, avec autant de simplicité que de vigueur M. Sadler oppose à l'enseignement moral de la salle de classe la vivante tradition transmise de cœur à cœur, liée à la fois à un corps de vérités et à la pratique de la vie. C'est à cette tradition et non à un enseignement didactique qu'appartient le pouvoir moral essentiel, pouvoir qui prend sa source aux profondeurs de l'âme, où les mots ne sauraient atteindre. Cette vie profonde, source vraie de la moralité, M. Sadler la voit liée, et il paraît la juger nécessairement liée, dans les pays chrétiens, à la forme chrétienne de la tradition de vie et de pensée, qui se répand, mêlée d'ailleurs de faiblesses et d'erreurs, dans toutes les branches de l'Église chrétienne. Plus significatives encore peut-être sont les déclarations du Dr F. W. Fœrster, qui, d'abord partisan d'un idéal d'éducation absolument irréligieux, en a été détaché par la pratique de la pédagogie morale. L'expérience lui a appris que fondement rationnel et inspiration morale sont deux choses distinctes, que pour produire cette inspiration ce n'est pas assez d'un idéal purement humain. Seule l'inspiration religieuse est capable de réaliser la formation du caractère par la réduction de l'égoïsme tout acte de domination sur nous-mêmes pour obéir à la loi morale nous ramène à la source éternelle de notre nature spirituelle. L'accomplissement de la loi sans le sentiment profond de sa signification divine, c'est la croix sans l'élévation; seule l'inspiration religieuse unit la loi morale, la réclamation extérieure de la société, à la plus profonde et la plus libre impulsion personnelle. Selon M. Fœrster sa propre évolution n'est pas un fait accidentel une évolution générale de la pédagogie morale dans le même sens est à attendre de son application même à l'oeuvre concrète de l'éducation et l'auteur veut voir dans mon livre Rationalisme et Tradition un signe précurseur de ce mouvement. Je reconnais volontiers, étant mis en cause, que dans sa forme générale la conception que l'auteur expose du dynamisme de la volonté morale est parfaitement d'accord avec celle qui résulte de mes propres analyses. Seulement mon chemin s'écarte nettement du sien, lorsque, de même que M. Sadler, il identifie inspiration religieuse et inspiration chrétienne, affirmant qu'à un certain degré de l'évolution humaine le Christ est le seul fondement possible de la culture morale. Je n'aperçois point le support


expérimental d'une telle assertion; il faudra demander à la pensée laïque, s'il ne lui appartient pas de rejoindre l'inspiration religieuse, sans rencontrer aucune tradition ecclésiastique.

Le congrès nous a valu un grand nombre de communications animées d'un esprit analogue à celui dont MM. Sadler et.Fcerster nous ont donné l'excellent témoignage". J'en signalerai deux, à titre d'exemples complémentaires, qui enrichissent de quelques remarques intéressantes la thèse centrale de la /valeur pratique des formes religieuses, de leur rapport à la nature vraie de la vie psychologique. Le Rév. Gordon Milburn, chef d'institution à Calcutta, appelle notre attention sur la diversité nécessaire des principes de la vie morale, diversité en rapports avëg celle des circonstances et avec celle des types moraux la réduction1 des formes de persuasion morale à l'unité logique d'un même motif rationnel les appauvrit et les condamne à l'impuissance pratique. Ge que vise cette critique, c'est visiblement la prétention d'un rationalisme philosophique à fournir le fondement derriierde la vie morale. L'auteur ne marchande pas la reconnaissance de leur valeur partielle, originale, aux divers motifs sentimentaux etrationnéis, dont il passe la revue: Mais il réserve ainsi en dehors et au-dessus de ces formes particulières de la détermination pratique, le principe religieux, lié àun autre ordre d'émotions, d'impulsions et d'intuitions, et transformant la loi morale en volonté universelle de Dieu et en objet d'amour. Ces observations du Rév. Milburn sont-fort- propres- à nous détourner de confondre l'unité logique d'un système de -morale philosophique avec l'unité d'inspiration, -'en vertu de laquelle toute la variété des devoirs, et celle des émotions et idées, qui en accompagnent l'accom'plissement, se relient à une déteriiiination spirituelle de la vie. La pratique pédagogique conduit fort* généralement les maîtres de nos écoles à renoncer dans l'enseignement moral à l'utilisation d'une théorie morale rigoureusement-rationnelle, à demander la force de persuasion à des motifs et mobiles variés selon l'occasion, selon les dispositions qu'ils sentent chez les enfants; ils évitent par cet éclectisme l'écueil de la réduction' à l'unité Jogique. Mais trouvent-ils dans les directions officielles et généralement dans nos études laïques actuelles de philosophie morale un. guide suffisant vers cette inspiration centrale qui fait l'unité vraie de la vie morale? Le Dr de Graaf, exposant le point de vue de L'union protestante néerlandaise », s'attache surtout mettre en lumière' la différence,


l'opposition même qui existe entre le fait de la moralité réalisée et la tâche de la moralité conçue comme objet d'un permanent effort, effort qui a son appui non dans les réalisations humaines, mais dans l'inspiration divine au fond de la conscience. Ainsi l'éducateur ne saurait prétendre s'élever lui-même au-dessus de la moralité commune pour servir de modèle exemplaire aux enfants qu'ils aient donc, maître et enfants, conscience de la suprématie infinie de la vertu divine. Ainsi encore il est imprudent d'attendre que l'enfant découvre par la seule expérience de la vie la justice immanente, qui sanctionne nos actions c'est trop demander à l'intellect; c'est dans sa propre vie spirituelle qu'il doit faire cette découverte, dans son immédiate intuition inséparablement religieuse et morale. L'auteur remarque les nombreux points de contact des vues qu'il expose avec les philosophies idéalistes; il ne comprend pas bien pourquoi si souvent les philosophes sont adversaires des chrétiens de libre inspiration (freisinnige). J'estime qu'il y a des raisons non d'hostilité, mais de nette distinction entre les uns et les autres. Mais il faut reconnaître que les vues psychologiques que l'auteur, comme les précédents, tire de son expérience de l'éducation religieuse, sont susceptibles, considérées en elles-mêmes, de contribuer utilement à des recherches, instituées dans l'esprit le plus rigoureusement laïque, sur les sources de l'inspiration morale.

Je ne crois pas m'avancer témérairement en émettant cette opinion, que la très grande majorité des confessionnels protestants ou catholiques, qui ont pris part aux travaux du congrès, accepteraient volontiers, comme point de départ de leurs thèses, cette psychologie de la volonté morale et du rôle de l'inspiration et de la tradition religieuse, qui fait l'objet de la préoccupation principale des libéraux quitte à substituer ensuite au christianisme minimum de ceux-ci des conditions confessionnelles de la détermination morale plus spéciales et plus exclusives. Nombre d'entre eux d'ailleurs s'essayent à emprunter des voies psychologiques analogues, pour soutenir pragmatiquement la forme confessionnelle spéciale, dont ils sont les tenants. Je serai bref ici, non que les contributions manquent d'intérêt, mais cet intérêt est d'ordre plus spécial et ne porte pas aussi, directement sur le point central autour duquel la pensée laïque prend contact avec les opinions confessionnelles. Je me bornerai donc à signaler entre autres les rapports du D1' Cramer


et du professeur LindeboQm, celutdu professeur Bavinck, d'Amsterdam, qui croit à la nécessita d'une, autorité fixe fournie par la métaphysique théïstique des églises chrétiennes; celui de miss Constance Fox,, qui analyse. avec beaucoup de finesse et un sens très délié de la vie morale les effets éducatifs produits par tout l'ensemble des croyances, institutions et/pratiques propres à l'église catholique. Si l'on étudiait en détail tel ou tel point particulier de pédagogie morale, il y aurait bénéfice à .dépouiller: de telles études. Ce n'est point ici le cas. Mais il sera.utile en revanche de donner -attention à un élément d'importance générale mis en évidence -:dans certaines contributions catholiques l'autorité. -.Lest protestants libéraux, demandent surtout à l'éducation ;r;eligieûs;e d'ouvrir les sources de la libre inspiration, qui transfOEgie^e^ objet d'amour pour la volonté individuelle la loi que lui impose l'ordre social. Les catholiques sont plus préoccupés de la^ju^gestion. en vertu.de laquelle un ordre social s'impose à Ia.voloût4 iodjvjd^ujîlle. Ils considèrent t que telle est la nature vraie de..l'homme, que cette, suggestion d'autorité constitue un facteur prépondérant de l'éducation. C'est comme manifestation nette, de cette prôoçcupation.que le rapport de M. S. J. Wader, prêtre catholique de Bruges, offre, de ^intérêt; On y voit que la nécessité de favorite es^ le. premier postulat de l'éducation morale. La'. nature .humaine^n'est point totalement, bonne; l'enfant est « une anarchie d'appétits et de penchants », anarchie qui ne cessera que par, l'intervention d'une autorité qui le « courbe sous sa loi de force »,,jusqu'à'.ce qu'éduqué il S'y soumette lui-même spontanément et consciemment.. Et l'auteur abrite ces affirmations un peu farouches derjcjère l'autorité d'aspect plus intellectuel et plus humain, derrière l'<< autorité libératrice » de M. Laberthonnière. Je n'ai pas à, discuter ici en elle-même cette théorie de l'autorité, mais je. voudrais en :retenir cequ'elle renferme ou suppose de juste compréhensijOn des ^opditions réelles de l'édurcation humaine. Il y a un témoignage instructif de la conscience, que possède l'Église catholique, <ie ce qu'elle doit de puissance spirituelle à sa constitution en sociéjtjé.solide cimentée par des principes spirituels. Soit dit en passant, ceci nous rend intelligible l'attachement des esprits catholiques le|^lusjibérés intellectuellement au loyalisme ecclésiastique, forme Se fidélité, sociale, qui est une part essentielle de leur foi et de leur constitution. morale. Il y aurait grand intérêt à faire servir cette expérience catholique du rôle


moral de l'autorité à éclairer la question générale des facteurs sociaux de l'éducation morale; à la rapprocher notamment de cette autre expérience, qui s'institue aujourd'hui sous nos yeux dans les milieux syndicaux, où des modifications morales importantes paraissent s'accomplir dans les individus du fait de leur acquiescement à une, autorité sociale, qui n'est pas seulement ni principalement mandataire représentant des intérêts, mais dépositaire d'une vérité pratique, au nom de laquelle elle impose une discipline et inspire crainte et respect. Les conditions psycho-sociales, que ces expériences décèlent, seraient sans doute très utilement reportées dans les théories sociologiques de la morale et de l'éducation, pour en préciser la signification pratique.

A la même conception psychologique de la nature humaine de l'infirmité morale de l'individu, sur laquelle s'appuie la théorie de l'autorité, se réfère aussi la préoccupation catholique d'ascétisme et de sacrifice. « L'éducation morale », dit le rapport de M. Wader, « reconnaissant une loi dépendante d'un législateur suprême, doit résolument s'imprégner de renoncement et de sacrifice ». Et Mlle Simon, institutrice à Grand-Leez (Belgique), dans un exposé net et fin recommande, pour développer la volonté de l'enfant, de lui imposer une certaine austérité de mœurs, propre à combattre en lui la sensualité, de lui inculquer des habitudes d'ordre, qui impliquent intervention de la volonté, « car pour avoir de l'ordre il faut se gêner », enfin de développer en lui l'esprit de sacrifice. C'est une vieille expérience catholique, assez oubliée des catholiques mêmes, qui se rappelle ici à notre attention; elle porte sur un trait important de la nature humaine, sur une condition de l'éducation morale au sujet de laquelle il faut se décider non a priori mais par appréciation juste du fait..Si la source de la vie morale est une union réelle de la conscience individuelle à une vie universelle, il faut reconnaître pourtant que cette union n'est pas le fait de toute la vie de conscience, qu'elle ne s'opère qu'en une certaine région de l'âme et par l'effet d'un effort ou de circonstances favorables. En d'autres termes, la moralité n'est pas un donné, mais une tendance qui s'affirme contre des résistances. De ces résistances l'éducation est requise de tenir compte, et ici encore le réformateur, le novateur doit être l'observateur attentif dans son milieu social des indications que lui fournit cette vivante tradition morale, dont parle M. Sadler, tradition peut-être ignorante de certaines modifications profondes


de l'action humaine, mais qui est chargée du moins de l'expérience collective de tout le passé. Ascétisme, sacrifice, non plus qu'âutoritéj ne sont pas des objets d'opinions s priori, ni des sujets de dissertations philosophiques ce sont des formes pratiques relatives à des réalités psychiques et sociales-, de.s objets d'observation délicate et profonde, de jugement éclairé par unè.patiente expériejice;En résumé, les communications faj tes- du point de- vue confessionnel nous offrent des synthèses d'expériences sur trois points essentiels en premier lieu sur< la source de l'inspiration morale, ou sur le centre organique de la conscience morale;- en second lieu sur les conditions sociales de la vie morale individuelle; en troisième lieu, sur le rapport de l'inspiration morale à l'ensemble de lanature psychique, ou sur les conditions .dans lesquelles la tendance morale lutte contre les résistances internes, qui lui sont normalement opposées. Les formes confessionnelles-les plus exclusives sont pour l'éducateur le plus laïque ce. qu!est pour.Robinson l'épave du vaisseau elles contiennent dans leurs flancs lèsr précieux instruments qui gardent et transmettent-la forme -de; la -réflexion créatrice, et permettent la continuation de la vie et son renouvellement.

.m

L'élément confessionnel paraît avoir été en majorité ;dans le congrès; le contraire eût > mis l'assemblée en désaccord avec l'état présent de l'organisation de- l'éducalion morale, dans le monde. Mais peut-être la proportion. devrait-elle être inversée, si, au lieu de dénombrer les adhérents, on dénombrait Jes .contributions aux travaux. Et c'est parfaitement, inormaLLejicpre, la- production et la discussion de points de vue nouveaux étant la vraie raison d'être de ces assises pédagogiques. Très .abondantes sont donc les contributions auxquelles est applicable_,r.épithète de laïques. Mais ce terme, qui revient sans, cesse sous ma- plume, comme il revenait dans les discussions du congrès, ne doit être pris ici que. dans son sens le plus strictement négatif de « non-confessionnel »; dès qu'on veut lui donner un sens positif, il faut aussitôt distinguer des nuances très distinctes dans la-laïcité. L'histoire même de notre morale laïque scolaire nous aide à les distinguer. Au début le terme de laïque a désigné un enseignement des devoirs n'impliquant aucun


recours à des principes religieux, mais n'impliquant pas davantage l'exclusion d'un mode d'éducation portant d'ensemble sur une base confessionnelle; à l'égard des confessions religieuses l'École publique observe une neutralité cordiale, collaboratrice. Plus tard le caractère laïque s'est accentué en ce sens que l'éducation morale donnée à l'École publique a dû se considérer comme suffisant entièrement à la formation morale des enfants, sans prévoir en rien le concours d'un supplément d'éducation à base confessionnelle. Enfin, telle étant la donnée nouvelle du problème de l'éducation morale scolaire, nombre d'esprits sont venus aujourd'hui à penser que, pour que ce problème admette des solutions, il est nécessaire de donner à l'éducation des fondements tout laïques, lors même que ces fondements se trouveraient en opposition avec ceux qu'implique telle confession ou même toute confession religieuse. Cette dernière forme de laïcité, nommons-la laïcité intégrale, et la première, laïcité neutre. L'une et l'autre sont représentées au congrès. Mais il en est une troisième, qui n'apparaît guère en France, qui a son originalité propre et qui s'est manifestée au congrès avec une importance singulière. Elle consiste à chercher aux formes religieuses diverses une base commune au point de vue de la fonction d'éducation, afin de déterminer un mode d'éducation à base religieuse, issu des modes confessionnels, mais sans aucune inféodation à une forme confessionnelle particulière, sans aucune restriction de la liberté de recourir à telle forme d'inspiration morale qu'il paraîtrait convenable c'est la laïcité issue du syncrétisme religieux. J'examinerai les contributions laïques en les groupant sous ces trois nuances, et en commençant par la laïcité neutre. En France le principe de la neutralité est maintenu dans l'école publique, et autant que possible respecté. En fait cette neutralité de l'école française est une sorte de traité signé avec les églises, établissant une frontière conventionnelle entre des puissances rivales. Notre neutralité, il faut bien le dire, est aujourd'hui une neutralité sans collaboration, une servitude dont l'éducation publique est grevée.

Il semble au contraire que dans d'autres pays, où des religions diverses se font équilibre, où la tolérance fait réellement partie des mœurs spirituelles, ou bien est imposée par une autorité publique dominatrice, la neutralité en matière d'éducation morale, telle que


l'ont conçue les fondateurs de:notre école Laïque, goit, un principe de paix, de réelle harmonie, l'éducation se partageant entre.-l'écoLe et des sociétés spirituelles qui ne se considèrent pas entre elles comme ennemies. Cette neutralité bienveillante et honorée paraît régner, au témoignage de M. H.; J. Bhahba, inspecteur, général de l'Éducation au Mysore,dans lés :&oles de l'Inde anglaise. Il n'y est fait dans l'enseignement moral,en raison de la .multiplicité des sectes, aucun appel aux .sanctions religieuses et les ;résultats semblent heureux le maître d'écoRbénéficie du respect traditionnel des indous pour l'autorité, il: n'est pas considéré seulement comme le plus savant, mais commè.le plus sage du village.

En Angleterre, comme en Amérique, des sociétés privées se consacrent avec méthode et enthousiasme à la tâche de constituer et de propager des modes laïques d'éducation morale. Ce sont d'une part les « Sociétés, éthiques » issues du mouvement éthique créé en Amérique par le- Dr Félix Adier, et vigoureusement représenté en Angleterre par le Dr Sian ton, Coït, président la Sociétééthique de West London, et par M. G. Spiller, secrétaire de l'Union internationale des Sociétés- éthiques et organisateur du premier Congrès international d'éducation morale. Les sociétés éthiques anglaises sont en intimes rapports avec ll« English; moral éducation league », dont l'objet est de provoquer l'introduction dans les écoles de l'enseignement moral systématique et de mettre en lumière le caractère des fins essehtiellesjde héducation. C'est le mouvement éthique anglais, qui a donné naissance aux Congrès internationaux d'éducation morale. La morale laïque, qu'il tend à créer et à propager, manifeste à la fois> lesJeux caractères, d'ailleurs conciliables, de la neutralité et- du syncrétisme. 'C'est par le premier aspect qu'elle nous intéresse en ce moment.

Les leaders des sociétés éthiques anglaises ne sont pas des théoriciens ce sont des gens d'action,, des pasteurs laïques. Préoccupés des résultats, ils ne se piquent pas tant d'apporter «une morale » nouvelle que d'établir des méthodes pratiques d'enseignement. Le mémoire de M. G. Spiller est un.exposé très méthodique et complet, en 29 articles, de préceptes concernant l'éducation et l'instruction morales. L'idée principale qui l'inspire, c'est celle de la nécessité de donner tant à l'ensemble deTédueation.qu'à l'œuvre plus particulière de l'enseignement moral un caractère systématique, sans rien laisser au hasard, sans se fier à l'influence éducative qui se, dégagerait


spontanément des divers enseignements et disciplines de l'école. Il faut systématiser les diverses actions éducatives, et comme l'action morale a pour caractère essentiel d'être délibérément voulue, il faut instruire l'enfant à systématiser sa propre expérience. Sous une foule de divisions l'auteur passe en revue les divers modes d'action éducatrice, et sur chaque point donne des préceptes brefs, généraux dans les termes, mais précis dans le fond. Le document dans son ensemble a l'allure d'une circulaire ministérielle accompagnant l'institution d'un enseignement nouveau. Sa haute valeur pratique en Angleterre ne saurait faire doute c'est le pendant de la très remarquable littérature des circulaires pédagogiques, qui ont suivi la réorganisation de notre école publique et l'introduction de la morale laïque à l'école. Pour nous, comme il est naturel, le plus grand nombre des préceptes exposés nous sont dès longtemps familiers. J'estime cependant que nous avons profit les retrouver ainsi dans un 'ensemble aussi cohérent, manifestant une aussi nette compréhension de la tâche totale de l'éducation, et que tout éducateur aura intérêt à confronter sa propre expérience pédagogique avec celle qui est condensée dans ces articles organiques. Cependant, comme le temps a passé depuis nos premiers essais français d'enseignement moral, nous sommes aujourd'hui un peu surpris de ne découvrir dans ce système d'éducation si judicieusement ordonné, point d'autre caractère inspirateur que l'enthousiasme simple et direct, dont l'auteur est animé et qu'il exige d'abord de tout éducateur, l'enthousiasme pour la « moralité », qu'il se propose de développer méthodiquement chez l'enfant, comme on développe par des exercices appropriés ses poumons ou ses muscles. Point de parti pris philosophique, point de direction sociale dominante; la laïcité ne manifeste point ici comme chez nous un esprit de renouvellement plus ou moins révolutionnaire. Elle est neutre sans nul effort; elle n'exclue en rien les sanctions ni les idéaux religieux ou philosophiques, elle se borne à en localiser l'exposition dans les leçons de religion ou de philosophie. Et néanmoins elle prétend être tout autre chose qu'une simple analyse explicative des devoirs. M. Stanton Coït, définissant « l'attitude des sociétés éthiques nous fait savoir que pour elles l'essentiel de l'instruction morale, ce n'est pas de faire connaître des règles, mais de donner à l'enfant le sens des « sanctions » de l'action droite, mais de lui faire aimer des actes justes, de le rappeler à ses propres


intuitions, de l'amener à. porter paj*. lui-même des jugements moraux. Cette morale laïque à la fois neutre et agissante, n'est-ce pas tout justement ce qu'a voulu être, ce, qu'au jugement de beaucoup doit toujours vouloir être celle denos.écoles publiques? Oui, mais- c'est; aussi ce qu'à l'expérience nous; avons éprouvé bien difficile à réaliser. Est-ce à dire que le mouvement: éthique anglais apporte quelque vérité ou quelque- procédé,- que nous n'avions pas su découvrir, dont nous pourrions -bénéficier aujourd'hui? Non ni vérité nouvelle, ni procédé' nouveau; mâts d'autres conditions sociales, une autre mentalité-religieuse, une autre mentalité moralei Ligue et sociétés éthiques sont des institutions privées; cherchant à faire triompher la cause de la 'morale laïque par la seule force des choses et des idées. La puissance conservatrice sur laquelle ils agis- sent est celle d'une église nationale, non tfune secte ecclésiastique; celle d'une égUse dont l'urptë n'est pas menacée par *des modifîca* tions de doctrine religieuse, parce'que cette unité repose essentiels lement sur la tradition nationale et a pour tâche essentielle le maintien de l'inspiration et des/ mœurs traditionnelles. Or cette même « tradition vivante » estrâmemêmè:du laïcisme anglais. Cet enthousiasme tranquille, cette foi morale que nous remarquons-dans le mémoire de M. Spiller, c'est la tradition morale anglaise qui Tins* pire. Au cours de religion on la rattache au Christ, au 'cours de morale on la contemple 'e,n elle-même; mais ici et c'est le même esprit qui est actif. Lamorale anglaise n'est que le libéralisme inté- gral de la religion anglaise. Tout naturellement la société éthique se coule dans les formes' de1 la; société religieuse; elle a son temple» ses prêches, ses livres de méditation, ses cérémonies; ses adeptes continuent chez elle selondes "méthodes renouvelées les mêmes exercices moraux, qu'ils accomplissaient hier aii temple chrétien,' qu'ils y accompliront de "noûveài} demain; si bon leur semble iciou là c'est un même mouvement de vie intérieure qui se' poursuit»' C'est de la façon la plus logique "que cette laïcité libérale cherche son développement idéal dans la direction du syncrétisme religieux; Les laïques anglais ne" sont pas des opposants, mais des conti- nuateurs; ils sont en possession de leur foi morale traditionnelle; sans inquiétude, sans hâte ils en poursuivent l'évolution intégrale jusqu'au renouvellement de la base intellectuelle, même. Au mou^. vement laïque anglais nous pouvons emprunter de judicieux pré± ceptes de détail, de précieuses indications sur la bonne économie des


pratiques éducatives; mais il serait chimérique de songer à apporter en France son esprit de neutralité, de collaboration avec les forces religieuses car la force religieuse qui chez nous résiste au mouvement moral laïque est liée non à une tradition morale nationale, mais à la tradition d'une société ecclésiastique exclusive chez nous il y a entre l'école et l'église opposition d'esprit.

La différence entre la laïcité anglaise et la nôtre m'est encore apparue, comme j'assistais à la leçon de morale que l'excellent « démonstrateur » de la.Moral education league, M. J. Gould, fit devant le congrès à quelques enfants anglais, de 8 à 12 ans, qu'il voyait pour la première fois. Le sujet était « le respect ». L'art du maître, était charmant M. Gould captivait ces garçons et ces filles par d'ingénieux dessins au tableau, par des descriptions à,la fois graves et enfantines, par des mimiques expressives; il leur donnait la représentation sensible des diverses relations où le respect se manifeste, puis les faisait eux-mêmes entrer en scène, en les interrogeant. Que la leçon, vivante et simple, fût excellente pour les petits anglais qui l'écoutaient, point de doute. Cependant elle n'eût valu dans une de nos écoles que pour les tout petits, qui d'ailleurs, à l'art du maître près, en entendent d'assez analogues. Encore pour ceux-ci aurions-nous senti le besoin de quelque chose en plus. Cette méthode toute représentative, employant beaucoup de temps et de soin à atteindre à la description précise et émouvante d'un geste de respect, s'adressait à des enfants chez qui la représentation du geste éveillait automatiquement une habitude morale indiscutée, un préjugé traditionnel qui veut être seulement averti par une image. Nous, nous avons besoin de récréer le préjugé même, de justifier aux yeux de la raison, de persuader le cœur; nous ne disposons pas au même degré d'une tradition morale prête à s'extérioriser en habitudes pratiques. Plusieurs rapports français touchent la question de la neutralité, ou plus exactement de la conciliation des points de vue laïque et confessionnel. On y voit clairement que l'union aisée des deux points de vue, la transition insensible de l'un à l'autre, qui caractérisent l'évolution morale en Angleterre, n'ont pas leur équivalent dans les conditions qu'ont faites chez nous les circonstances de notre histoire et notre génie national. M. Raoul Mortier, professeur à l'École nationale professionnelle de Vierzon, constate avec affliction l'hostilité à laquelle encore et toujours notre éducation nationale est en butte, et il poursuit le rêve de la désarmer par un perfection-


nement de la neutralité, en 'assufantl'instituieur contre les atteintes involontaires qu'il pourrait lui-même porter ou sembler porter au principe par l'effet de son- initiative propre. On le mettrait à couvert, en lui imposant un manuel choisLau concours par un jury composé d'hommes éminents de tous les partis. C'est: autour; des manuels de morale et d'histoire que.se livrent surtout les combats. L'auteur ne s'occupe ici que du manuel d'histoire, objet, nous dit-il, d'un projet de M. Jean Barès, directeur du Réformiste., appuyé par M. Ferdinand Buisson. L'idée du manuel au concours, de faccprd préparé, garanti par une sorte de concile de personalités divisées par le'çontenu de leurs croyances, mais rapprochées par la hauteur et sincérité de leurs esprits, cette idée certes est généreuse "et séduisante. Mais que serait le contenu du manuel? «iHau^deyons, » dit M. Jean Barès» « éloigner de l'école primaire- ce stérile et méchant enseignement de l'histoire intérieure, qui ne tend qu'à perpétuer, en l'augmentant, si possible, le ferment de haine qui bout encore dans le cœur de nos diverses classes sociales- et de nosT différentes populations. Il faudrait doter toutes nos écoles primaires d'un précis ^Histoire des faits internationaux. » Est-ce à ce prix qu'on doit chercher la paix? Stérile et méchant enseignenfent, l'histoire intérieure de la France? C'est bien là, en effet,- qu'est visiblele cours violent de notre tradition nationale, les tourmentes elle se. brise, où se séparent pour se heurter ensuite durement les" éléments primitivement unis en une même conscience religieuse et sociale. Mais l'union se refera-t-elle par l'oubli pur et simple et des divisions, et des luttes de foi, et de la tradition même? On^féstera-t-il: d'éducatif dans un enseignement, qui omettra par prudence.tout-ce qui tient particulièrement au cœur des Français? Et^ je me demande ce que serait le manuel dont le choix du même jury conciliateur pourrait doter notre enseignement moral. Ne conviendrait-il pas de l'expurger et de-la foi à la vérité unique, qui s'élève de la nature directement pénétrée et adorée par l'esprit, et de la foi à une finalité sociale de liberté, d'égalité et de fraternité -humaine? La réconciliation par l'oubli est possible, quand le'disseatimeatison_origine dans des circonstances accidentelles. Mais on ne se réunit pas par l'oubli des divergences profondes des âmes; où elles se sont produites, il faut virilement accepter la tâche de rêtablirla communion- par la lutte des pensées et par la persuasion triomphante.

Ce n'est pas pourtant dans 'cette voie que M. Gaston Canova, ins-


pecteur primaire à Annonay, cherche la conciliation. Frappé du défaut d'idéalisme qui, selon lui, réduirait à l'impuissance pratique notre morale scolaire, il souhaite le retour à la collaboration réelle de l'École laïque et des confessions religieuses, aux « principes spiritualistes » comme point d'attache à la fois de la doctrine des devoirs et de la dogmatique chrétienne. Il semble que M. Canova nous ramènerait bien en deçà même du point de départ, car il s'élève contre le principe même de la neutralité point d'opposition fondamentale entre l'esprit religieux et l'esprit laïque; d'un idéal à l'autre il faut trouver une formule de conciliation, admettant une « représentation proportionnelle » des intérêts confessionnels. La thèse de M. Canova serait en Angleterre fort pratique et d'excellente laïcité. Chez nous je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en faire la critique si la neutralité absolue de M. Mortier stérilise au point de vue éducatif les enseignements de l'école, la rupture de la neutralité pour l'union, de l'école et des confessions religieuses conduit droit au renoncement pur et simple à la laïcité de l'éducation. Il n'est pas possible de renouveler la thèse de la neutralité cordiale avec plus de pénétration, avec une compréhension plus forte ni plus subtile des conditions réelles de l'éducation, que n'a fait M. Emile Boutroux, qui intitule son mémoire Morale et enseignement de la morale.

M. Boutroux n'est pas de ceux qui pensent que les maximes morales, douées de certitude propre, renferment en elles-mêmes les conditions nécessaires et suffisantes de toute la vie morale de l'humanité; ce que certains appellent postulats, hypothèses, contreforts des préceptes moraux, c'est leur âme même. Il y a en effet deux choses dans la moralité une inspiration de la volonté et une adaptation intelligente de la volonté morale aux conditions d'existence sociale. C'est cette seconde tâche de la morale qu'envisageait Socrate, lorsqu'il soutenait que la vertu s'apprend. Mais cette morale qui s'enseigne est suspendue à une morale qui ne s'enseigne pas, à l'inspiration de la volonté, qui requiert comme condition non pas un enseignement portant sur l'universel, mais une éducation d'un caractère vivant, pratique, particulier, personnel, individuel, dans laquelle sont mis en œuvre à tous les instants les sentiments, traditions, croyances religieuses, idées métaphysiques. Ceci posé, l'auteur établit une répartition des tâches à l'école publique, où se reflète nécessairement l'impersonnalité de l'État, appartient l'enseignement R. 1\,rT~ lT'1


moral proprement dit, l'ëxposévâes formes -M devoir que l'intelligence des conditions sociales dësïgnèjà la bonne volonté-morale mais l'inspiration morale elle-même, l'âme de l'éducation n'est pas du domaine public; elle 'rëssortiÇ à la liberté individuelle^ c'est-àdire à la famille et à réeole%rivëï. L'école publique,* consciente de la complexité de l'œuvre d'éducation, dont elle ne se réserve qu'une part, consciente -valeur^ indispensable des formes libres et variées d'inspiration morale, qui se constituent en dehors d'elle, pratiquera dans son enseignement moral unejieutrali té, qui ne sera pas fermée, jalouse et négative, mais ouverte, cordiale et positive. –Nous sommes ici en face d'une; ^conception très' compréhensive et d'une solution pratique originale et parfaitement icohétfente du problème de la laïcité neutre/ Les conditions de •l'éducatiônsont analysées avec profondeur et^ustesse;^ ''̃}̃_ '^T<) "'•̃'

L'école publique, selon les vûesiHetM^outroux, en acceptant la neutralité renoncerait à .pfétentoiau- rôle principal dans l'oeuvre d'éducation, ce qui ^vaudrait ytni.6uî quel d'y prétendre sans- le jouer réellement. En rest.reigb:a:rit;conscienïment son rôlé,;l'ëcole serendrait capable en effet'.dê.neutralité.cordiale.sàns se subordonner à l'autorité de la religion, dominante,. C'est ;une solution. possible dans l'absolu, harmonieuse, Jârplus harmonieuse peut-être, la plus libérale aussi. Est-elle possible et ̃harmonieuse^ dans les conditions de fait de la vie sociale,- française? Elle suppose, me^paraît-il, hors de l'école publique une abùndanifie^variée de .libres formes d'inspiration morale, ne se combattant point entre elles, ou;du moins se faisant équilibre. Ces conditions jfô^sont pas présentement données en France où la spiritualité laïque ne slorganise qu'autour de l'école, où une société ecclésiastique- riôtflibéral.e, aux cadres rigides, aux dogmes figes, constitUë^TOiiùsiÇttn aïiUeu spirituel qu'Une force engagée dans les quereiles 'politiques, et n'est- point -contrebalancée par des groupements spir.ituels:îiësez^Vaûts ni assez' nombreux. L'école non-éducatriceV*c"est,i la; solution girondine du ,problèm:e scolaire. Pour moi j'estime que notre icole publique doit abriter l'inspiration laïque de -la' vie morale, jusqu'au temps.au moins où elle aura pris assez d'expansionpour ne plusrisquer d'être étouffée sous le poids de l'organisàtiôri catholique- Si cette. appréciation des faits est juste, et si l'on écarte Ua solution- pratique^proposée par M. Boutroux, alors ir résulte eVidemment de ses analyses ^;ue la neutralité cordiale; aisément-réalisableen Angleterre, est rendue


impossible en France par les circonstances sociales pour une école qui prétend être vraiment éducatrice. Cette opinion me paraît confirmée par celle que manifeste à l'égard de la neutralité le chanoine Langendonck, de Malines, parlant pour un pays où la situation religieuse est analogue à celle de France, renversée « Arrière » s'écrie-t-il, « l'école neutre, l'école nulle! » Comment une école qui prétend à n'être pas nulle serait-elle neutre cordialement?

IV

L'esprit de neutralité cordiale, qui anime le mouvement éthique anglais, n'implique nullement que ces moralistes laïques renoncent pour leur enseignement à l'inspiration morale. Cette inspiration, ils la puisent d'abord dans la tradition morale, qui leur est commune avec l'église nationale; ils en demandent le renouvellement à une assimilation méthodique de ce qu'ils trouvent de meilleur dans les disciplines religieuses (mémoire Stanton Coït), et plus particulièrement à une utilisation de la tendance au syncrétisme religieux. Le syncrétisme religieux est un phénomène mondial de haut intérêt, qui se produit sous nos yeux, et dont la première grande manifestation internationale fut le Congrès des Religions tenu à Chicago en 1899. Dans toutes les grandes religions éthiques du monde il y a des esprits en nombre croissant, qui viennent à cette conviction que les confessions particulières s'accordent entre elles dans l'essentiel de leur fonction et de leurs principes, que, loin de rester hostilement étrangères les unes aux autres, elles doivent se connaître, s'apprécier, profiter les unes des autres comme des collaboratrices, afin de rendre plus parfaite leur adaptation à la fin qui leur est commune.

La religion qui a manifesté le plus fortement au congrès la tendance syncrétiste, c'est l'Islam, dont il est usuel de déplorer l'immobilité et le farouche prosélytisme. Le congrès comptait parmi ses membres Abdul-Baha Abbas, apôtre et chef actuel du Bahaïsme, mouvement religieux qui prit naissance en Perse, au milieu du siècle dernier, qui a connu la persécution, a eu ses martyrs, et qui compte aujourd'hui ses adeptes par centaines de mille dans toutes les parties du monde musulman, et tend par sa nature même à rayonner au delà de l'Islam. Le mémoire qu'Abdul-Baha adresse


au congrès est une harangué de. prophète bien plus quhin exposé, pédagogique. Le monde est 4e:tKéàtre d'une lutte entre .l'intérêt personnel, qui dressé les Tinscontrelesautf es les individus; les peuples, les races, et d^autre part l'inspiration divine, qui conduit l'homme qu'elle possède à ne chercaerson-bônhëurque dans le bien universel, à n'agir'que comme le^séryant- de la racfe humaine tout entière. C'est en vue'de'la; Téâli^atïon-de l'unité /humaine; en vue de la destruction des distinctions -nationales,. de toutes les œuvres d'égoîsme, que le Saint a parti/que tous, les. livres divins ont été révélés. Sans doute des philosopheë? -travaillant: au perfectionnement de la vie morale, furentxapables d'agir sur eux-mêmes;; mais quant à promouvoir universellement la moralité humaine, seul en est capable le pouvoir de l'Esprit saint^AbdùlBaha termine par ce vœu, que le congrèssoitle'miTOïr réfléchissant les rayons du soleil de vérité. :\<o;L-ï?r^s»Mrin><>*r\K: Ce qu'Abdul-Baha-prophétisevIsmaëlHamety du Caire; le répète sous une forme plus: humainement positive ^'Issues démérites' éternelles, les lois religieuses sonttoutes établies sur >ksv mêmes principes de morale.' La -civilisation moaeriie, qui,tend;à' devenir mondiale, poursuit l'unification' des nations dans une intéllectualité commune, d'où doit naître ^nërrôràlité. commune' concordant avec le fondement de toutes lés' religions; 'en ïcé; qui concerne le monde musulman, cette évolution est; simultanée-; sur tous les points et nous est révélée par les-progrès des Tartares de, Russie, des Musulmans de l'Inde et de Java, ^es Jeunes Turcs, des^gyptiens, des Jeunes Tunisiens, des' •Algériejis,des colonies^ musulmanes du Nouveau' Monde, de l'Afrique du'Sud, etc; A^ec plus de réserve officielle Hechmât Eàcha,v ministre de l'Instruction publique d'Égypte, confirmé- en sonïme:;ces; déclarations par .le comme ntaire qu'il donne, au cours^de son allocution- au" Congrès, de la parole coranique^ ̃•: Les woyanti sont f.ousvdès frères « Qui sont les croyants? Ce sont tous ceux^qùt, ayant reçu un-livre sacré, se font un scrupule d'observer ses rdomjnaMgments. En iconséquence les enfants d'Israël, les disciples -de; Jésus et les adeptes de-- M ohamme d sont tous des frères, et leurs irélations mutuelles doivent avoir pour base essentielle la tolérance/» }~Z~- Chez les musulmans le syncrétisme1 apparaît surtout comme évolution religieuse; le Japon nousT)utrë-:une':p:erspectivè- curieuse sur son emploi dans l'éducatiom •̃ -»•


Trois mémoires nous renseignent sur la très intéressante expérience d'éducation publique, qui se poursuit depuis une vingtaine d'années au Japon. M. Gorchiro Makise, conseiller du Ministère de l'Éducation, délégué du gouvernement japonais, rappelle les traits essentiels de l'histoire de l'éducation morale au Japon, le shintoïsme primitif, les vigoureuses assimilations du confucianisme et du bouddhisme. Après la restauration de Meiji, la brusque introduction des sciences et des religions occidentales amène un temps d'indécision; on discute sur les principes de la vie morale. Le rescrit impérial du 30 octobre 1890 met fin à cet état de trouble; complété par deux autres rescrits, il constitue désormais la source et le code de la moralité japonaise. Le rescrit ne se réfère spécialement ni au shintoïsme, ni au confucianisme, ni au bouddhisme; il n'est pas en désaccord avec les doctrines occidentales. La morale qui en est issue, précisée pour l'usage pédagogique dans un manuel officiel exclusivement employé dans toutes les écoles, est un composé d'éléments empruntés pour la plupart aux manuels occidentaux de morale scolaire laïque, mais mis en œuvre par une inspiration très authentiquement japonaise le loyalisme à la patrie,, à la personne vénérable et sacrée, à la race divine de l'Empereur, maintenant à travers les siècles par une paternelle autorité une tradition d'origine céleste. Cette « morale laïque », officielle, -.qui pour nos yeux français ressemble assez à une religion nationale, M. Gorchiro Makise la présente comme fermement établie et soutenant, à la pleine satisfaction du souverain, l'édifice des mœurs.

Cependant MM. Bonet-Maury et Harrold Johnson nous apportent d'autres renseignements, d'où paraît ressortir que, derrière l'officielle stabilité de l'éducation japonaise un mouvement évolutif se poursuit, qui pourrait donner lieu, qui donne lieu déjà peut-être à une modification sensible de l'esprit et de la méthode dont témoigne le rescrit. L'évolution, qui ne paraît pas sans analogie avec l'évot lution anglaise, irait de la laïcité neutre et traditionaliste du rescrit vers le syncrétisme religieux. D'après M. Bonet-Maury l'expérience de dix-sept années d'application de la morale du rescrit n'ayant pas donné des résultats satisfaisants, un courant d'opinion se serait formé en faveur d'un retour de l'éducation publique à l'inspiration religieuse. Plus particulièrement, une tendance, favorisée par l'autorité officielle, pousserait à introduire à la base de la morale scolaire des principes syncrétiques, empruntés aux religions natio-


nales et étrangères et destinés à renforcer et à enrichir l'inspiration loyaliste de la morale duïescritTC^ést dans cet esprit, nous dit-on, que M. Tanamato, professeur de 'pédagogie à l'Université de Kyoto, propose une méthode' d'enseignement religieux -coinp'ortaht trois éléments 1° observation dès phéhbmènes de la nature et -entrée en rapports avec eux; 29lecturedes livres saints de divers. cultes; 3° récits d'histoires se rapportant aux devoirs religieux et à la prière. Fait beaucoup plus significatif encore M. Tokohami, soussecrétaire d'État au ministère de l'Intérieur, avait convoqué à'Tokyo pour le 25 février 1912 une conférence' ''nâÎLonale: japonaise composée de 13 shintoïstes, 83 boudhistes et 7 chrétiens; le but de* · cette conférence, qui d'ailleurs pour des raisons, politiques" ne put avoir lieu, était vraisemblablement, selon M. Bonet-Maury, de chercher entre les trois religions quelque terrain d'entente pratique en vue de l'éducation morale. "'7 ̃" ''̃ l': t!i ;l M. Hàrrold Johnson nous fournit sur ce- fait Icurietix^ d'autres précisions intéressantes, -en transcrivant intégralement; d'après le Japan Daily Mail du 19 janvier 1912 Letexte d'une longue Circulaire adressée par M. Tokonamî à-là pressé.'C'est un exposé très net de la tendance syncrétister: vïoùtësUes religions sont d'accord dans leurs principes fondamentaux; elles doivent évoluer pour s'accorder aux exigences morales de- chaque' temps et au point de vue propre de chaque nation; il faut que l'État japonais unisse à Son Œuvre éducative les trois grandes -religions '(shintoïsme,- bouddhisme, christianisme) existant dans,-F:Empire;- il faut qu'il /s'établisse, pour l'intérêt commun de l'État" et' delà. Religion, dés relations harmonieuses entre la penséè:occidental_ei_ei4ai pensée japonaise dans l'ordre spirituel, comme il a déjà: été :fâit. dans l'ordre politique et économique. .•.»».«.?-^=-i -•:<=>̃̃> ̃ ̃̃̃->̃ x Retournons en Europe^maintenant. v-: Presque partout nous y trouvons des manifestations .d'opinion dans.le sens du. syncrétisme. Dans les pays où les luttes. Teligreùses perpétuent ^aggravent les conflits de races, c'est dans cette Lvoie que la libération est entrevue.' M. Franz Kémény, de Budapest, jinit^ dans une même réprobation confessionalisme et nationalisme,' deux fléaux jumeaux, causes del'inhumanité de l'homme c'ôntrej'hpmme il réclame avec- passion J' « interconfessionalismë », terme lié à celui d' « internationalisme». Que l'éducation observe entre les~con.fessions comme entreles nationalités l'égalité là plus parfaite, et cécité saurait advenir que par


« l'harmonieuse et bienveillante coopération des ministres des diverses confessions ». Le rapport de M. Zavitzianos, de Corfou, expose des vues singulières sur le rôle éducatif ou plutôt démoralisateur du fanatisme orthodoxe dans les écoles de Grèce et dans les écoles grecques de Turquie trompés par le préjugé religieux et par une fausse présentation de leurs origines historiques, des peuples chrétiens et musulmans méconnaissent leur fraternité réelle, se déchirent; le développement d'un enseignement de vérité, l'extinction du fanatisme confessionnel suffirait à leur montrer l'inanité de leurs haines et leur profonde solidarité. Quelque jugement que l'on porte sur les appréciations de faits sociaux présentées dans ce mémoire, il serait difficile à des moralistes dépourvus d'arrièrepensée diplomatique de ne pas s'unir au vœu qui s'y exprime, et de ne pas souhaiter, qu'une telle tendance vers l'union prenne corps dans l'orient chrétien et rencontre du côté de l'Islam un développement vigoureux du Bahaïsme.

Dans l'orthodoxe Russie aussi se manifestent des opinions en faveur d'une généralisation de l'enseignement religieux scolaire dans le sens du syncrétisme. M110 Vera Volkovitch, ayant montré par une analyse comparative du sentiment moral et du sentiment religieux leur quasi-identité, émet le vœu que dans la réorganisation nécessaire de l'éducation, la coopération indispensable de la religion et de la morale soit « exempte des difformités confessionnelles qui séparent les opinions religieuses ». Le sénateur Anatole Kony, de Saint-Pétersbourg, dénonce la « profonde erreur commune à certains pays, de considérer l'instruction religieuse non-confessionnelle comme n'ayant aucun lien avec le christianisme et, dans certaines conditions, lui étant même hostile ». Il voudrait réduire, pour les besoins de l'éducation morale, l'enseignement religieux à un libre commentaire de l'Évangile.

Il est bon de se faire une représentation nette du syncrétisme comme mouvement religieux et comme tendance pédagogique, de l'extension et de l'importance de ce fait social, pour apprécier l'intérêt des vues dont M. Harrold Johnson, secrétaire de la Moral éducation league et l'un des principaux organisateurs du congrès de Londres, s'est fait à La Haye l'interprète et l'apôtre. M. Harrold Johnson développe le thème d'Abdul-Baha. La fin que le musulman assigne aux religions, c'est celle même que doit envisager le mouvement international d'éducation, dont le Congrès est l'organe


c'est « l'unification de la race humaine/?. Lejmouvement d'éducation est par essence un mouvement religieux, car il suppose une grande foi qui l'anime, la plus grande; ;de. Jt.outes les fois, la foi a la réalisar tion finale de cette unitéi humaine. En vue de cette fin ;la. tâche essentielle du mouvement éduca.tifj.c'est'de.iÇonstruire,: pour une- alliance pratique, des ponts entje, les ^^représentants des. diverses religions d'une part, d'autre part entre eeusc-cL et les librespenseurs.' Le syncrétisme anglais, apparaît ;içi,"nonr comme urvessai métho-rdique pour édifier une do,ctrine,maiscomme.un effort pour mettre en n contact et en collaboration des forces spirituelles supposées convergentes, qui, par leur union même, hâterontl'avènement de leurs fins.M. Johnson se propose d' accélérer; en leur éclairant leur direction, commune, des évolutions* spirituelles, religieuses ou j laïques, qui tendent vers la même limite d'une laïcité à î la .fois profondément traditionnelle et inspirée par un idéal de ;com,munion ̃humaine. L'intelligence et la .valeur: pratique de cet;. effort ne, font point doute. Mais la tâche que définitje secrétaire delà Ligue, anglaise, la pouvons-nous faire nôtre .en France? Je.ne^lgpense.pas, et les rai-. sons, qui s'opposent à .l'irtiportation. chez .nous, du. '.syncrétisme anglais, sont en somme les. m^êméf,. qui nous interdisent: la neutrar.lité cordiale à l'anglaise, dont lesyncrétisme est un prolongement, harmonieux. Il nous mauque. l'unité profonde, de tradition morale. et la relative communauté d'idgal, qui pec.mê.ttent ailleurs la colla-. boration vraie et permettront peut-êtreja fusion des, diverses formes spirituelles, religieuses et Jajiques> ,La substitution presque instan-r: tanée, révolutionnaire, de Féd.ucaJion laïque àl'éducation religieuse nous a portés d'un coup: ;i;au,poiat d'affranchissement total vers. lequel d'autres sociétés par^des.ïpjas plus lentes, plus normales sans, doute, s'acheminent. Autres, sont chez ;n_ou.s, les cqnditions du,« mouvement éducatif », autres, dans Içsjpays d'évolution lente. Cette, différence a sa valeur pratique Nptre^ laïcité révolutionnaire est: l'entraîneur de l'évolution plus heureus,e, _quû parait commence;P pour les pays de religion,Ubé,riale les résultats de nos efforts, et aussi, nos difficultés et nos erre.u.rs.mêQies éclairent leur prudence. Pour l'avancement commun des: doctrines, et des méthodes il, importeque nous ne renoncions à rien djj; plein, affranchissement, qui fait de notre pays le champ d'expériences le plus fécond de l'éducation morale moderne. Mais réciproquement:nqus;a.v.ons. à apprendre de


ceux qui passent à l'étape que nous avons brûlée. Ils nous rendent sensible la nature réelle de la tradition morale, que nous avons d'abord trop légèrement crue tout entière contenue dans les maximes reconnues de la conduite, et la nécessaire continuité de cette tradition inscrite dans la constitution même de notre âme. Eux, qui vont vers la laïcité par les lents processus de la dissolution et de l'assimilation religieuse, ils nous incitent à la tâche, non de les imiter, mais de dégager par un effort de réflexion consciente les éléments essentiels de notre tradition morale, afin de rétablir effectivement la continuité rompue ce qu'ils pensent atteindre par l'évolution presque spontanée des formes religieuses traditionnelles, nous avons à le chercher par une étude objective de ces formes et par une observation psychologique allant assez au fond.

Cette tâche s'impose aujourd'hui à notre philosophie morale. Mais, comme en matière de morale l'étude doit être commune aux maîtres et aux disciples, c'est dès la petite école qu'il y aurait lieu d'initier l'enfant à la connaissance des origines et des développements des formes religieuses, qui ont porté jusqu'à lui les trésors de la spiritualité humaine. L'heure vient dé rétablir sous la forme laïque, c'est-à-dire avec le respect profond de la vérité objective et de la signification spirituelle, un enseignement historique des religions.

Dans cette voie, qui n'est pas fort éloignée de celle du syncrétisme, nous ne serions peut-être pas longtemps seuls à marcher. Deux rapports allemands, celui du Dr Rudolph Penzig, conseiller d'État, et celui du professeur Bruno Meyer, de Berlin, réclament la suppression ou la transformation (comme on voudra nommer la chose) de l'instruction religieuse, qui dans les écoles publiques de Prusse enveloppe présentement l'enseignement moral ou en tient lieu. Selon M. Penzig l'enseignement religieux ne saurait subsister sous sa forme présente il est inapte à la formation morale et même religieuse de la jeunesse, en contradiction avec la vision scientifique du monde, avec la notion scientifique de la nature humaine, avec la préoccupation principale de l'éducation moderne, qui est de mettre l'individu au service de la société humaine, avec les nouvelles méthodes pédagogiques et même avec la connaissance positive de la religion. Cependant l'enseignement religieux ne doit pas être entièrement exclu des programmes scolaires l'exclure, ce serait méconnaître la nécessité d'une continuité historique des méthodes,


le fait de la profonde imprégnation -religieuse de la: vie morale; ce.' serait manquer de piété, aux .plus -hautes manifestations de la vie: morale de nos ancêtres, sejpriverdes richesse^ de lalittératurereli- gieuse en mythes et en; exemples inspirateurs: pour beaucoup d'individus rinspirationjmorale.jS_erait,jappauv_rie!^ .si on séparait les;, devoirs de la vie d'avec l'inspiration religieuse. Conclusions l'instruction religieuse doit se r.éso.udrje, d'une; part en enseignement de l'histoire de la religion,, enseignement parfaitemenfc objectif, nullement persuasif ni accommodé à, des; intentions, pratiques, donnant: tranquillement à la légende, eef qui .est légende, à l'histoire ce qui est fait historique, d'autre part en: enseignement moral, relié.ià l'en-: seignement historique de la religion -par. la considération. des figures_ héroïques tant de la légende^ que;, de l'histoire religieuse (sans exclusion aucune des représentations,;héraïqu.es;> des, cycles autres que le cycle chrétien, ni, des grandes ;figures d.e;r.antiquité.:classique et des temps modernes). C'est une saluJJQn analogue* plus radii cale dans les termes, que M. Bruno Meyer donne à la question désormais ouverte en Prusse 'de., l'opportunité de l'instruction religieuse à l'école publique; il conclut à sa suppression jtotale, les religions gardant d'ailleurs, :en tant que-faits, leur place ;dans l'enseignement historique. !:r^;fïïS';l' fj;: '̃̃̃̃ ̃̃̃̃'̃' '̃' Aucun membre français: n'a so.umis au Congrès la-question de l'introduction de F histoire, des; religions dans nos.écoles publiques; elle fut cependant, ces années-dermères, non pas agitée seulement, mais mise au point d'un e^ remarquable netteté par,M. Alfred Loisy L'obstacle à l'introduction de cet enseignement, c'est -la préoccupation de neutralité, c'est la craible^de., dénoncer.les traités en s'avançant en somme, sous le/couyert^e- la science, sur. le .terrain de la religion. Les encouragementsiidé l'opinipn, étrangère doivent nous aider à vaincre rhésitation.;ill;ne,s.ertjle rien pour la paix de e, creuser entre la Religion; et; l'École: ,1e :fe>_ssé^rQntièr,ëj/ que les besoins de l'éducation.' nous ..contraindrpiit, toujours à sauter. La seule neutralité pacifiante, c'est le/respect sincère, qui ne. consiste pas à éviter la rencontre. Maîtres; ei^coliers respecteront les religions surtout quand, les, connaissant dans leur -réalité;: ils devien1. De la vulgarisation et .âell'enseigneinent de- A' histoire des- rallions, article publié dans la Correspondance de, V.UnipMpour.la Vérité (1°' février, 1er mars, 1»' mai, 1" juin 1910) et reproduit dans l'ouvrage « À propos d'histoire des religions » Paris, Nourry, 191i. ;u-p .ni _rj.?; -•


dront capables d'en pénétrer la signification morale, le rapport à la vie de leur propre conscience. Peut-être même l'espoir n'est-il pas interdit de voir cette innovation, qui inquiète aujourd'hui les partisans de la paix, rendre possible dans l'avenir un rapprochement auquel dans l'état présent il n'y a pas à songer. M. Harrold Johnson donne place dans sa description du mouvement syncrétiste au nouveau libéralisme catholique, et M. Paul Bureau propose comme remède à la « crise morale » de la France, la « synthèse de l'inspiration catholique et de l'esprit moderne ». Puissent les catholiques d'esprit libre, pendant que nous nous familiariserons avec la connaissance des faits religieux, s'attacher à développer cette formule un peu énigmatique Puissent-ils par cet effort vers le syncrétisme assouplir assez les cadres de leurs dogmes et de leur discipline pour réaliser, sinon la collaboration, du moins le contact réel d'un catholicisme vraiment libéral et de la morale laïque sur le même chantier de l'éducation nationale!

V

La forme que les conditions de fait imposent à l'éducation publique française, c'est celle de la laïcité intégrale! c'est-à-dire celle d'une éducation, qui n'a ni à compter sur le concours de quelque confession religieuse, ni à chercher son inspiration dans la conciliation de divers points de vue religieux. Il est donc naturel de rencontrer surtout dans des communications françaises les spécimens les plus nets de telles formes d'éducation.

Je mentionnerai d'abord quelques mémoires dont les auteurs, afin de mieux démontrer la nécessité de donner toute éducation morale un caractère purement laïque, s'attachent 'à établir l'hétérogénéité absolue de la morale et de la religion. Cette opinion est partagée par M. Gerhard, directeur d'école à Amsterdam, qui définit la religion comme la croyance à un Dieu personnel, législateur et juge, et la libre pensée comme la non-croyance à un pouvoir supérieur et étranger à la nature, et qui substitue à la morale religieuse une morale de l'intérêt social; par le recteur Hoeft, de Hambourg, pour qui la base de la morale, c'est l'ordre moral tel qu'il s'est développé au cours de la vie des sociétés humaines; parle Dr Wilhelm Ostwald, qui, dans une classification des sciences renouvelée de Comte, définit la morale comme science pratique, branche de la sociologie appli-


quée d'où suit que l'affirmation mystique de la nécessité du fonder ment religieux tombe, que moTaleUoit s'affrâncliir', comme ont fait toutes les autres sciences, Dansceg: 'diverses études l'opinion de Thétérogénéité est mûins'^iïsUûéè/^Xfflrmë^.àvéc'-ràisaiice dont nous jouissions naguère en ^Frâiice', àvaiif ïdTâvoîr ité: amenés par l'expérience à considérer la quèstîon^te plusprès. È. Belot^'au contraire, qui soutient la mêméyo]?ïnioh,= éprouve besoin de la jus? tifier, et tente la justification du point de" Tue pragmatique,1 II tâche d'établir par une analyse, du « motif religieux » que, ce motif est hétérogène aux prescriptions fraies; En^tre' le. motif religieux et les règles morales qu'il motive, ril';n'y :̃& qu'une relation ^associative »; la religion n'est qu'un « mécanisme dynâmogènesurajouté a la législation morale pour la rendra efâcaçe ». L'hétérogénéité est rendue plus évidente encore par! cfrtai^a constatation historiques diversité de préceptes placës^ôùglexmivfert des mêmes raisons religieuses, similitude de certains préceptes sahètiônnés par "des reli4 gions très différentes. La 'religion' petit donc avoir une certaine efficacité sur la conduite, maïs grâe> à une liaison tout artificielle le lien rompu, la valeur pratique tfé la religion devient nulle. D'où la réduction de la questidri '.d'ef Bcacitéj à- ce dilemme ou établir la vérité de la religion, oala, valeur propre :de4a morale. Choisissant là seconde alternative, Mr. ;Belot propose à l'éducateur, une double tâche d'abord établir sociologiqïïement les règles morales; ensuite, pour les rendre efficacesïles«.mqtivër » à raïdé de l'éducation et de l'habitude, et constituer ."ainsi"» :un système- d'idées, d'images motrices, de sentiments étïde disciplines en connexion étroite et directe avec le contenu.admis et .les raisons reconnues de la législation morale ». La thèse ëssénlelIé'deM.Beïotsùr l'hétérogénéité du « motif religieux » et\dës^ prescriptions morales »;paràît en désact cord avec de très nombreux témbjgnagëë apportés au Congrès, pré* sentant l'inspiration religieuse cemmè la source naturelle et constante de la conduite morale. Peut-être ce désaccord n'est-il pas aussi absolu qu'il paraît d'abord. Mafs s'il 'y a' malentendu, sans doute tient-il à ce que M. Belot traité in abslracto du « motif religieux .>» Réduit aux quelques éléments dojijtlnpus,;est donnée la brève nomenclature, il semble en effet que le motif religieux n'.ait pas de rapport direct avec l'accomplissement des devoirs. Là où ce motif consisterait à accomplir certains actes uniquement parce que, prescrits par une loi révélée, ils sont -sanctionnés par la volonté .d'un être surna-


turel tout-puissant, il est clair que M. Belot a raison point de rapport à la morale. Mais en est-il ainsi des formes supérieures de la vie religieuse, les seules en question? Il me paraît difficile de le soutenir. Les constatations historiques de M. Belot n'y suffisent assurément pas la diversité des préceptes liés aux mêmes raisons religieuses empêche-t-elle leur relative équivalence, si on se place dans des milieux variés? Des religions « très différentes » n'ontelles point cependant quelque chose de commun suffisant à rendre raison de leur liaison 'commune à certaines formes de régulation morale? Il y a des évolutions religieuses parallèles aux évolutions morales démêler leurs rapports de réciprocité n'est pas affaire de vue immédiate, mais de recherches historiques de l'espèce la plus délicate.

Dans ces conditions je ne vois pas bien ce que l'on gagne à poser et résoudre la question d'efficacité morale de « la religion » définie de façon abstraite et en somme arbitraire, puisque la solution ne vaudrait pas pour les cas particuliers qui nous intéressent. La question d'efficacité ne se pose utilement que devant une espèce concrète. Le seul pragmatisme qui me paraisse légitime en matière morale, c'est celui qui ne part de l'efficacité que pour parvenir à la vérité, c'est-à-dire à la connaissance de la réalité de la vie morale. Tel système d'idées ou de dogmes s'est constitué en liaison avec les formes les plus hautes de l'activité pratique d'une société donnée? Il y a donc lieu de présumer qu'il est représentatif à quelque degré de la nature réelle, de la destination morale réelle de l'homme, du vrai rapport de l'être conscient à la nature considérée tant dans son universalité que dans ses parties. Que ce système d'idées nous serve donc de guide vers la finalité réelle de notre propre volonté, finalité dont l'intuition est précisément la vérité morale. C'est ainsi, je pense, que les confessionnels sincèrement convaincus, qui ont participé au Congrès, ont accepté le terrain pragmatique. Toutes les religions s'affirment comme vérité c'est vers la vérité que leurs représentants par la considération de l'efficacité prétendent nous appeler. Il y a tout à. perdre à refuser, pour des raisons a priori, de s'engager loyalement dans cette voie avec eux. Le dilemme de M. Belot est tout relatif aux termes abstraits et un peu vagues d'où il part. Vérité de la religion ou valeur propre de la morale? Non il y a un excellent chemin, tout justement ouvert entre les deux alternatives, qui nous conduit à discerner la


part de vérité pratique, que telles" formes -religieuses peuvent envelopper,, c'est-à-dire à découvrir à travers ces formes Irréalité même de la vie morale. G?,est là'iouLauïtlbins une desméthodes qui nous permettent d'abordersufîE&nïeui. le problème central de l'éducation, celui de l'organisation de fe çonfeïejpejaïotàie: Pu, dans les termes de M. Belot, de la constitution du systèmes d'Edles, d?images motrices, de sentiments et de disciplines-capables de soutenir la via pratique. Ce problème est ab,ordé-de -front- par -Mi Ferdinand: Buisson*; recherchant « Les conditions: djeffieacité Aa. la morale laïque »*. L'importance de sa contribution n'a échappé à personne- c'est l'esprit même de notre éducationiaïqueVqtf il définit et justirie avec une autorité que nul autre ne sauraitjavoir^t -^i1 ̃'•̃ L'éducation morale laïque française est, indépendante et-de toute religion positive et de touteinétajliysique.i Néanmoins cette éduca-. tion morale n'est pas un minimuïfl.; Elle prétend à^Une pleine valeur pratique, non seulement égale; mais^supérieure celle que peut revendiquer toute éducation, à base' confessionnelle ô'uîdoctrinale. Voilà la thèse. LavjustifiSatïôn en repose- surî là conception psychologique suivante: de :1a? vie nloralg^Le^Bién est un idéal de la volonté, comme la Science est un- idéal de; l'intelligence,' et le Beau un idéal de la sensibilité^ Ainsi lé. germé- de la moralité préexiste, dans l'âme de renfanfc;l!œuvredjej!éd]âc$.tion; est de le développer, en mettant cette âme en* contact jyeC' le Bien, avec le fait moral, en. le lui faisant connaître, àimèr, 'réaliser. Le fait- moral. consiste en un acte de volonté, acte ;en. relations avec tout un ensemble d'idées et de sentiments divers mais ^qûels que soient les idéesou sentiments, qui conduisent à la détermination morale, celle-ci û'est dans son essence qu'une volonté-- immédiate du bien, indépendante de tous motifs autres que le bien lui-inême. Les morales confessionnelles ou doctrinales développent des i_dées_div:erpas, qui peuvent être en relations avec l'acte moral. jnorale^la^que concefitre son effort sur le seul point décisifcL amener la ^-volonté directement en face du bien, où elle reconnaît sa loi. Une" telle morale ne s'enseigne pas parune opération didactique, elle se réalise par l'action commune de l'éducateur et de l'enfant. Elle est la morale dans toute- sa pureté,» l'éducation fondée sur elle est JL!éduçatiop morale dans .toute sa force. Les développements religieux-ou théoriques, compléments utiles peut-être, appartiennent à- un domaine extérieur à la vie


proprement morale, qu'ils ne créent pas. La morale laïque est « la Religion du Bien ».

Cet exposé doit être examiné de très près. Ce n'est pas une opinion de théoricien; ce sont dans toute leur force essentielle les principes confiés a l'origine à notre école laïque, et qui depuis trente ans tendent à se développer, doivent se développer par l'usage pédagogique et par la réflexion philosophique en une véritable doctrine et pratique de la vie morale. J'ai fait naguère, ici même 1 la critique, une critique d'autant plus sévère qu'un plus réel amour de notre œuvre laïque l'inspirait, des formes réalisées jusqu'aujourd'hui de l'enseignement moral dans notre Ecole publique. Au congrès même un prêtre belge, le chanoine Langendonck, prenant texte d'une phrase coupée dans mon étude, demandait « Est-il exact que la morale laïque ne possède pas l'efficacité pratique? » Je ne me pardonnerais pas de laisser échapper l'occasion qui s'offre ici de préciser ma pensée par rapport à cette inspiration originelle de notre éducation laïque, que M. Buisson traduit en termes clairs, et pour laquelle il revendique la plus pleine efficacité. Qu'il me soit d'abord permis d'exposer en gros ma pensée. Les principes exposés, je les approuve comme point de départ. Oui, ils définissent avec justesse la laïcité et enveloppent sous une forme très générale une conception juste de la vie intérieure et de la pratique morale. Mais ils ne sont qu'un point de départ et non la définition d'une méthode organique capable de soutenir et d'inspirer l'éducation morale dans l'Ecole. De ce point de départ il est possible de s'engager dans des voies fausses; il est possible aussi qu'on s'imagine à tort, que ces principes généraux exposent de façon adéquate la réalité concrète de la vie morale et les conditions concrètes de l'éducation; ce que j'ai critiqué, ce sont des errements de ce genre, c'est l'insuffisance générale des développements, et ce sont aussi certains développements fâcheux du principe laïque originel. Nous ne construisons pas des dogmes déclarer l'insuffisance de la morale laïque d'aujourd'hui, c'est simplement préparer l'efficacité plus réelle, la vérité plus profonde de la morale laïque de demain. Reprenons maintenant l'exposé de M. Buisson. Morale indépendante de toute religion positive c'est la définition même de la 1. V. articles publiés dans la Rev. de Métaphysique et de Morale de mai 1908 à mai 1909 sous le titre Conditions d'efficacité d'une doctrine morale éducative, et réunis en un volume sous le titre Rationalisme et tradition, Paris, Alcan, 190û'.


laïcité, dont la liberté rationnelle ne saurait être limitée par aucune confession de foi, si souple qu'on la suppose. Morale indépendante de toute métaphysique je l'accorde, mais sous réserve d'explications nécessaires pour écarter toute équivoque. Qu'est-ce aujourd'hui que métaphysique, .non pas au- témoignage 'de ceux qui proclament n'y rien comprendre, mais- dansj.es>trava.ux des métaphysiciens? C'est essentiellement une réflexion sur l'expérience immédiate de la vie, réflexion qui rapproche de l'expérience immédiate, intuitive, les données fournies par les.méthode_s^etpar lés résultats des recherches scientifiques; au moyen de ces-deux ordres d'éléments le métaphysicien s'efforce de construire un;système général des choses, coordonnant les points de vue de la .çonnaisjtanee analytique et de l'action. De tels systèm'es doivent-ils, peuvent-ils servir .de base à l'enseignement moral des -.enfants?, Avec; M. _JBuisson n'hésitons pas à répondre: non. Mais- le. point de départ du métaphysicien, la réflexion sur l'expérience immédiate delà vie êst-elle étrangère à la vie morale, séparable de l'expérience morale? J'en appelle à M. Buisson lui-même, qui- a parfaitement caractérisé la source même de la vie morale comme étant intuition. Ce bien,. objet spécifique de la volonté humaine, c'est une^intuition. Faire connaître le bien, à l'enfant, c'est l'amener à prendre conscience de sa propre intuition de la vie et à réfléchir; sur cette intuition, en en rapprochant toutes les connaissances qu'il peut- posséder. Dirons-nous que maître et enfant font alors, de la métaphysique, ou qu'ils-n'en font pas? Comme l'on voudra. Mais l'e;ssentieLestide_savoir que la méditation morale ou la réflexion s.urle bien dans la petite école diffère du travail du métaphysicien en, ceci seulement, que l'enfant est placé au point de vue individuelJLeJ'action, et que c'est son propre vouloir qu'il a à dégager par le rapprochement de son expérience intime de la vie et de sa petite expérience objective, tandis que le métaphysicien est placé au point de: vue universel d'une vérité totale, vers laquelle il cherche à s'élever;, en mettant en œuvre, autant que possible, dans son propre esprit toute l'expérience de son temps. Cette instruction morale,- dont M. Buisson nous dit très justement qu'elle n'est pas une opération didactique, c'est proprement une méditation simple et profonde de l'action,, mettant en couvre toute l'expérience interne et externe de l'enfant. Au terme de la méditation faut-il s'étonner si l'on découvre une vision pratique de l'univers, profonde et naïve, du point de vue personnel d'une âme


enfantine dont l'expérience externe ne s'étend pas bien loin, mais dont la vie intérieure touche au cœur des choses autant que celle du métaphysicien?

Ceci admis, j'accepte tout l'exposé de M. Buisson, à condition de reporter dans les termes généraux dont il use un sens conforme aux explications ci-dessus. Oui, l'œuvre essentielle de l'éducation morale est d'amener la volonté au contact du bien. Mais qu'il soit entendu que le bien n'est pas un abstrait, la notion externe d'une règle d'action, ni l'explication scientifique de cette règle. Ce n'est point la règle même, ni son explication, qui va être tout soudain objet d'intuition morale, ni même sa représentation concrète dans une action décrite ou vue. Un mode d'action n'apparaît comme bien, que lorsqu'il est relié par la méditation (ce terme est pour moi synonyme de celui de démonstration morale) à l'intuition qu'a l'âme de sa propre finalité, intuition qui enveloppe, qu'on le veuille ou non, une vision pratique de l'univers. La prescription de remonter à l'intuition morale n'est pas une solution du problème central de l'éducation c'est une orientation des recherches. Je considère comme perdant cette orientation les méthodes qui prendraient pour l'objet de l'intuition l'énoncé d'une règle, ou sa représentation objective, ou qui poursuivraient l'intuition dans la direction du mirage logique de la morale kantienne (la pure forme de l'obligation), ou qui substitueraient à l'intuition une opération rationnelle discursive; et j'estime aussi que ce serait s'interdire de suivre la direction indiquée, que de fermer les yeux aux réalités du monde intérieur par crainte d'y rencontrer telles visions intuitives, qui constitueraient, ne disons pas une métaphysique, mais une mystique de la nature.

H y a un mysticisme à la racine de la vie morale c'est de M. Buisson lui-même qu'il m'a été donné d'entendre cette assertion, pendant le Congrès, au cours d'un entretien particulier. Un tel mysticisme, ce ne saurait être quelque communication surnaturelle; mais pas davantage la contemplation d'un bien abstrait, d'une universalité abstraite, ni une dévotion à un devoir abstrait. Que serait-ce sinon l'intuition de la Nature même, celle de la liaison, de l'identité même de notre volonté à la volonté universelle, qui traverse et anime tout ce qui est et qui se reconnaît elle-même au travers des barrières individuelles? Les émotions, les idées liées à cette intuition, vous ne sauriez les en détacher pour ne garder Hev. Meta. – T. XX (n° 6-1912). gg


qu'une intuition d'un bien ou formel ou. particulier, qui ne serait pas celle de la finalité divme.de l^jiaj.ure vous les détacherez verbalement, mais elles -demeurer ont en vous -partie intégrante de votre vision morale, du grand parti pris qui vous-même vous fait agir. Le terme abstrait de- bien recouvre une conception et une. expérience religieuse de la Nature, et c'est en. ce sens que la morale laïque est la « Religion du Bien ».

Je pense avoir, dans ma propre communication au Congrès, étéfidèle à l'esprit premier de notre. moralejaïque, en cherchant à préciser, sous le nom de démomtrqtion morale, une màrche de régression à partir des formes extérieures de la moralité (devoirs) jusqu'au centre organique de la conscience, jusqu'à l'intuition religieuse de la nature. Je crois que par l'application de méthodes de ce genre notre école laïque prendra progressivement conscience des conditions vraies de son œuvre .'éducative, et.se constituera peu à peu, avec l'aide de la réflexion philosophique, non des do&mes, mais une foi consistante et des procédés de culture morale en accord avec les principes généraux qui ont présidé à son institution. Sur les principes d'une éducation intégralement laïque il y a eu nombre de communications intéressantes, faites par des congressistes de diverses nationalité^, celles notamment de MM. F. Adler et Stanton Coït, présentées au. cours.d'ulne séance extérieure au Congrès et consacrée à la morale; laïque;. celles de Ï0f Hoeft, Bruno Meyer, W. Ostwald, du sénateur Père Çoraminras, de. Barcelone. Il est à noter toutefois que l'apport étranger contient surtout des indications générales, des opinions liées à des vues philosophiques; le problème n'est pas encore ailleurs que chez nous .resserré et précisé par les conditions de l'expérience.: Du côté français même la. nécessité de me borner me contraint de mentionner seulement des contributions intéressantes, comme celles de M? Deshumbert, qui expose un point de vue proche de la philosophie de Guyau, de M. Corra,_qui marque nettement les traits essentiels d'une éducation en accord avec les doctrines d'Auguste Comte. Mais il est indispensable de s'arrêter sur la contribution de M. Séailles relative à « l'Idéal laïque ». La thèse de M. Séailles est complémentaire de celle de M. Buisson. Comme celle-ci elle caractérise' une inspiration laïque de l'éducation morale par opposition a l'inspiration religieuse; seulement, tandis que M. Buisson se place au point de vue des modalités psychiques


de la vie morale, M. Séailles met en relief la forme objective essentielle de l'inspiration laïque, l'idéal qui la soutient. C'est un idéal social par opposition à l'idéal divin des religions « L'idéal laïque, c'est l'espérance et la volonté de réaliser, par le respect intégral de la personne humaine, la justice sur terre dans l'âme individuelle, dans la société politique, dans les rapports des nations entre elles. » C'est là comme la détermination objective, le contenu de ce « bien » que M. Buisson donne pour objet propre à la volonté. Cet idéal, ce n'est pas un bien réalisé, comme est la perfection divine des religions, c'est une œuvre à faire. L'idée de ce bien futur, notre actuelle sympathie pour la douleur humaine, la confiance qui nous vient de notre solidarité avec le milieu humain, qui ne fait qu'un avec nous-mêmes, le sentiment de la participation de notre vie « à une vie plus haute, qui la comprend, qui la précède et la continue, qui lui donne une valeur en intégrant le bien durable qu'elle aura permis » telles sont les raisons d'agir, les forces d'impulsion à l'action qu'enveloppe l'idéal social laïque.

C'est avec juste raison que M. Séailles distingue l'idéal social laïque des formes corrélatives d'idéal, que présentent les régions surnaturelles. Le royaume céleste est autre chose dans les formes orthodoxes du christianisme que la réalisation terrestre d'un ordre social de paix et de fraternité; c'est un royaume des fins, une communion des saints hors du monde. On aura la sensation vive de la différence en rapprochant du rapport de M. Séailles quelques lignes de l'exposé catholique de M. S. Wader, parlant de « La société, l'humanité, vaines et froides abstractions qui peuvent si peu pour réfréner les passions ».

Mais avec non moins de raison, à la iin de son exposé, M. Séailles à la question si l'idéal laïque s'oppose à l'idéal religieux, répond en aucune façon. Si l'on y regarde de près il faut reconnaître que l'idéal social, d'où est écartée avec la transcendance divine la transcendance des fins, garde d'ailleurs tous les caractères d'un idéal religieux. M. Séailles nous dit, il est vrai, que cet idéal, c'est une invention, une création de l'esprit. Ces .termes, un peu trop forts peut-être, ne sauraient se rapporter qu'aux déterminations intellectuelles que notre esprit donne par anticipation à cet état futur auquel il aspire; et l'auteur les rectifie lui-même en reconnaissant que cet idéal n'est pas fiction pure. Disons qu'il n'est à aucun degré fiction. La direction même que jalonnent ces anticipations intellec-


tuelles, la qualifierons-nous d'invention? Comment le progrès social nous apparaîtrait-il comme une valeur si haute, qu'elle domine tous nos divers intérêts, individuels^ s'il était l'objet de quelque détermination arbitraire et, non la les tipation de notre nature, la fin réelle de notre volontéI_tapm£nV règne. pas seule dans notre âme, elle est balancée par toutes: les passions de l'égoïsme inhumain il faut que l'intuition d'ufle. destination naturelle attribue la valeur première à la pitié humaine, plutôt qu'à- la ferveur des tendresses particulières, plutôt qu'aux désirs de jouissance. Le progrès social n'est idéal moral que s'iLapparait comme la finalité même de l'humanité, de cette .vie jplus haute, qui,, comme dit M. Séailles, comprend, précède et continue £olre vie particulière. Un tel idéal n'est pas une invention, arbUraire^jn :;un parti pris sentimental; c'est la fin que notre volonté s'assigne, /parce.qu' elle se reconnaît partie d'une volonté plus grande qui va vers cette fin, parce qu'elle est volonté humaine. L'idéal .sogial, c'est. une représentation de la foi aux destinées humaines. Et comment, sinon par artifice, séparer dans cette foi le milieu humain du milieu universel? Comment, sans nous fermer violemmen^es yeux à la vision scientifique et intuitive de la continuité.dejtoute^les formes d'existence? Comment, -j~ -tt~

sans méconnaître la conspiration de,toutesl<3s puissances de la nature à l'avènement et à tous les^eloppemenls de la race humaine? La destination humaine apparaît donc nécessairement comme fonction de la destination universeUe^L'action, dit M. Séailles, est une façon d'optimisme oui, l'action morale, précisément parce qu'elle enveloppe l'intuition de terfmajité^diyine. jl:n'y a pas d'idéal social issu de la vie morale et réagissant sur elle, sinon lié à une intuition de la finalité divine deLlVniiers, Scrutez assez profondément à travers leurs doctriWs^peivsée des grands inventeurs d'idéal; vous y trouverez cette, vérité infirmée. wi ';t' s >t On aurait tort de penser qu'il n'y ait là que des développements métaphysiques de l'idéal ,soqialr.aseFx^uand il ne s'agit que du rôle éducatif de cet idéal. C'est précisément du point de vue éducatif que le caractère religieux de Fidéal, importe.; Ce n'est pas en tant que détermination intellectuelle, d'un avenir de joie, de justice, de bonheur, que l'idéal social; manifeste. la puissance plastique dont M. Séailles nous le montre doué Regard de la vie morale, pas plus que la puissance morale: de l'idéM chrétien^ n'appartient à la représentation intellectuelle du Paradis, Le royaume éternel est l'achève-


ment et la perfection de la société chrétienne c'est seulement en tant qu'il est tel, que sa représentation tend à réaliser la fraternité du Sermon sur la montagne. Hors de là le bonheur du Paradis n'est que l'appât grossier où les appétits mordent. De même de l'idéal social laïque. Réduit à l'anticipation d'un certain ordre social, il peut fort bien n'avoir pas d'autre force plastique que celle d'un programme politique groupant les appétits capables de le réaliser. Compter, pour lier à la volonté cet idéal purement représentatif, sur la spontanéité du sentiment de pitié humaine, ce serait trop simplifier la tâche de l'éducation et méconnaître la condition réelle, qui est celle de la sensibilité humaine, tant qu'elle n'est pas modifiée par une intuition où s'identifient la finalité individuelle et la finalité humaine et universelle; aider à cette modification est précisément la fonction centrale de l'éducation. La définition objective de l'idéal ne dispense donc en rien de la tâche d'organiser la conscience par rapport à cet idéal, en faisant remonter l'esprit de l'idéal proposé à l'intuition d'une finalité, qui est inséparablement celle de l'individu, celle de la société et celle de l'univers.

En somme M. Buisson quant à la nature intime de l'acte moral, M. Séailles quant à la détermination idéale de son objet définissent avec une vigoureuse justesse les principes généraux de l'éducation morale laïque. Mais j'ai tâché de montrer qu'en raison des conditions réelles de la vie intérieure et de l'éducation, leurs indications ont pour développement nécessaire une mystique de la nature enveloppant une conception religieuse de la société humaine. C'est par une exploration directe de la nature en nous et hors de nous, c'est par les voies combinées de l'intuition et de la connaissance objective, qu'il nous est imposé, dans notre Ecole laïque de France, d'atteindre l'inspiration morale nouvelle, vers laquelle les nations à marche évolutive s'acheminent par la voie du libéralisme ou du syncrétisme religieux.

Ce sens direct du divin dans la nature, source réelle de notre morale laïque, il semble que nos éducateurs officiels- s'appliquent, sinon à le dissimuler, du moins à ne le pas mettre en évidence. Il a eu cependant ses interprètes au Congrès. Il serait injuste de méconnaître la valeur originale des tendances théosophiques, qui se manifestent chez les Hollandais dans les communications de MM. Thierens et Vrijman, auxquelles je crois pouvoir joindre celle


du pasteur Etienne Giran_ d'Ansterdam, bon témoignage de la continuité, sur le terrain de l'expérience intérieure, de la pensée confessionnelle à la pensée laïque;* du côté français dans celles de M. Emile Marcault et de Mme Markovitch. Chez les théosophes se révèle un sens de la vie pratique analogue à celui qui retient un Sadler, un Wilhelm Foerster dans le cercle d'action des sociétés religieuses; mais ils veulent, se placer diréctement en face de la nature, dont ils refusent dese séparer par l'acception pragmatique de quelque représentation traditionnelle. Rêveurs peu mêlés sans doute aux courants de la vie s'ocmley ils détiennent du moins une valeur aujourd'hui rare celle dlunusens pénétrantde la réalité intérieure. Hors des cercles, thé.ôsophiques M. Wilhelm Borner^ secrétaire de la Sociélë~ éthique autrichienne, témoigne du besoin ressenti dans les pays de langue allemande d'une culture laïque des âmes; et les analyses du Dr Haberlip, de Bâle, qui cherche à rattacher la psychologie du jugement de valeur à celle des tendances profondes, celles du Dr Georg Kerschensteiner, de Miinieh, qui reconnaît au fond du caractère intelligible une faculté d'émotion originale (Aufwùhlbarkeit des Gernutsgrurides), nous font connaître des recherches théoriques relatives à cette culture, et menant par des voies purement psychologiques vers une conception du fond de la vie morale fort analogue à celle que nous avons reconnue commune aux mystiques laïques'ët confessionnels.

VI

Est-il permis de dégager des résultats: d'un concours d'opinions variées et souvent 'opposées entre elles, de tirer quelque conclusion de l'examen partiel d'une massë'de documents- hétérogènes? Oui, à condition de placer ouvertement son_ propre sentiment dans la balance. Dans son beau :discojirs de clôture M; Emile Boutroux, à qui avait été confiée la- présidence. générale des séances, affirmait sa persuasion que le résultat de ce congrès ne serait pas seulement négatif, mais positif, que ce résultat ne saurait être laréduction à l'unité d'une foule_de tendances diverses, comme est diverse la vie elle-même, mais bien « la libre convergence d'indi-' vidus distincts vers un but commun, vers l'union, non seulement


malgré la diversité des opinions, mais par cette diversité même 1 ». J'ai tenté ici de préciser, par une analyse comparative et critique des apports qui m'ont paru le plus significatifs, le point de convergence, le fonds commun d'inspiration morale, que la plupart des congressistes en toute bonne foi ont cherché. Le résultat de cette analyse, je crois pouvoir l'exprimer comme suit

Le fond de la vie morale, la source de la volonté bonne, ce n'est pas une connaissance discursive des régulations morales, ni de leur genèse; ce n'est pas non plus l'habitude imposée par la force de la discipline pédagogique et sociale c'est, au plus profond de la conscience humaine, l'intuition de l'union réelle de l'individu avec ce qui n'est pas lui-même, l'apparition d'un objet du vouloir qui n'est pas l'individu, mais le dépasse infiniment; c'est dans le fond même de l'âme l'interpénétration des consciences humaines, se constituant en société spirituelle. Il n'y a de véritable éducation morale que celle qui pénètre jusqu'à cette volonté spirituelle, qui n'est plus, à vraiment parler, une volonté individuelle, mais une volonté sociale et universelle. La partie essentielle de l'éducation, c'est celle qui tend à donner à cette volonté conscience d'elle-même et de sa liaison aux principales règles sociales de la vie pratique. C'est le sentiment plus ou moins confus ou clair de ces conditions profondes de la vie et de l'éducation morale, qui inspire l'apologétique pragmatique des confessionnels et le mouvement vers le syncrétisme religieux; c'est à la reconnaissance des mêmes conditions que nous conduit l'expérience même de l'éducation laïque par les analyses psychologiques, auxquelles elle nous induit, par les exigences pratiques, qu'elle nous révèle.

S'il a pu préparer sur de tels principes un accord relatif, ce n'est pas en vain que le Congrès de la Haye aura donné la place principale au grand débat sur la base et l'orientation générale de la vie morale. Cependant il ne suffit pas de reconnaître la nature de l'inspiration morale; il faut en suivre les conditions de développement à travers toutes les pratiques éducatives, dont chacune constitue un objet d'étude particulière. Au Congrès de 1912 presque tous les points d'un programme complet des questions d'éducation morale ont été touchés; mais ils l'ont été la plupart trop légèrement et tous de points de vue trop divers, pour qu'il fût possible d'insti1. Je cite d'après le compte rendu fait par M. Hippolyte Parigot dans le Temps du 29 août 1912.


918 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.


Les questions relatives à l'enseignement moral indirect, ou mieux à la collaboration des divers enseignements à l'éducation morale, forment un troisième champ d'étude dans la même série, champ vaste et encore peu exploré, bien que sous sa forme générale la question de l'enseignement indirect ait été effleurée au Congrès par nombre de rapporteurs et qu'elle constitue d'ailleurs un lieu commun de la pédagogie morale. Mais si toutes les connaissances objectives doivent être méthodiquement employées à l'enrichissement de l'intuition morale, l'usage éducatif des sciences s'étend bien au delà des habitudes intellectuelles et actives, qui peuvent naître de la soumission aux diverses disciplines scientifiques, et il faut que dans chaque spécialité pédagogique le maître devienne moraliste de son point de vue.

Entre les deux grandes séries d'études d'abord distinguées, peutêtre y a-t-il lieu de faire une place à part aux questions relatives à la formation des habitudes actives. Il y a là comme un terrain mixte, les habitudes morales se formant et par influences intellectuelles et par influences sociales. Terrain mixte, non domaine isolé si l'éducation morale ne doit pas se décomposer d'une part en enseignement abstrait, d'autre part en dressage conforme aux règles enseignées, si cette éducation demande son inspiration constante à l'intuition des fins sociales et universelles, il est clair qu'elle ne doit pas couper les habitudes de la racine intuitive de toute l'activité morale; point d'habitudes morales qui soient mécaniques, sans lien direct à l'intuition. Mais ceci bien entendu, il y aurait sans doute avantage à constituer avec les questions relatives à la formation pédagogique des habitudes une série indépendante, afin de provoquer sur cet objet des contributions plus précises. Dans un premier groupe auraient place les questions relatives aux moyens intellectuels de la formation des habitudes sous l'empire de la méditation et de l'activité volontaire. Sur ce point le congrès de 1912 n'a guère fourni de contributions. Il en a fourni en revanche d'assez nombreuses et de fort intéressantes sur un second groupe de questions, qui ont trait à la formation des habitudes sous des influences pédagogiques de forme sociale, telles que la discipline scolaire ou familiale et les jeux et exercices collectifs. A des questions de ce groupe se réfèrent plusieurs des communications rangées sous la rubrique « L'éducation physique comme moyen de formation du caractère », et parmi elles notamment celle de M. Hayward, de Londres, qui cri-


tique avec une remarquable- perspicacité la valeur éducative- des jeux organisés à l'École, et indique les voies par où l'on parviendra à instituer l'harmonie réelle des.exercices de libre activité avec l'inspiration morale. Plusieurs autres communications traitent dans. un esprit analogue des associationAde .boy/scouts ou.éclaireurs. Je désignerai la troisième grande série d'études sous le titre de Facteurs sociaux de V éducation. Les facteurs sociaux agissent à la fois comme objets d'intuition et de méditation (en tant que représentations incorporées dans l'idéal asocial), et comme autorités imposant des disciplines et créant des. habitudes. Entre le second' groupe de la série précédente et jjelle-ci je ne vois pas où placen une limite la discipline scolaire peut être envisagée du point de vue de la formation, qu'elle favorise, de certaines habitudes, et elle peut l'être aussi en tant qu'elle manifeste la forme originale d'une société scolaire, qui représente pour chacun de ses membres un mode de l'association humaine. 7

Diverses formes de sociétés. scolaire.s^ojaJLducaiives ont été l'objet d'utiles communications, telles que celle de Frl. Lilli Jannasch, qui contient une bibliographie des travaux relatifs aux School cities d'Amérique et aux Schulgemeinde de Suisse et d'Autriche; celles du Dr Mouton et surtout de. M. Thomas^Bredsdorf sur l'institution si curieuse et féconde des Écoles supérieures du peuple en Danemark. Quelques mémoires ont heureusement traite de l'éducation maternelle (Mrs Bramwell Booth,, Mrs E..Read.Mumford). Mais la part familiale de l'éducation n'a pas été envisagée dans toute son étendue, ni le rôle social de la famille défini avec précision. En revanche plusieurs mémoires traitent des rapports de la famille de l'École; celui de M. Pierre Pagnon sur les Associations _scolaires le fait d'une; façon particulièrement intéressante, car il touche. à,l'un;dés points les plus délicats et les plus importants de nos questions scolaires françaises. Le rapport moral dé l'individu la profession et au corps professionnel est, indirectement indiqué par M.; Cloudesley Brereton, traitant de « l'Éducatiostvocationnelle »-. Diverses: commit nications sur l'éducation militaire, celle du lieutenant Martin Luther Reymert sur le nouveau rôle; éducateur de l'armée en Norvège marquent la place d'une question d'éducation sociale considérable dans l'état présent des sociétés européennes..

Mais le Congrès n'a produit presque rien sur l'action éducative qu'exercent à travers l'écale et à travers la famille; les organismes


sociaux doués de l'autorité la plus puissante la patrie, l'église, la classe syndicalement organisée. La question de la collaboration ou de la concurrence de ces diverses autorités n'a pas été soulevée. Quand elle le sera, elle pourra donner occasion à un débat corrélatif du débat sur les fondements, débat aussi laborieux, non moins instructif du point de vue très central de l'idéal éducatif se poseront des questions sociales envisagées d'ordinaire sous leur aspect économique et politique. Il serait précieux d'apprendre à cette occasion des représentants les plus qualifiés du grand espoir de régénération socialiste et syndicaliste comment, dans leurs conceptions, des formes sociales nouvelles doivent aider à instituer la volonté juste dans les âmes.

Le rapport du Dc Félix Adler 1, traçant le schème des formes successives de l'éducation morale aux divers âges de la vie, fournit les cadres d'une série d'études de psychologie appliquée à l'éducation, qui complèterait heureusement les trois précédentes. L'éducation des anormaux, qui a donné lieu à plusieurs communications venues de presque tous pays, sauf de France, forme un objet d'études plus spécial, mais de grand intérêt pratique et théorique. Enfin des communications en assez grand nombre ont porté sur des questions assurément intéressantes, mais extérieures cependant aux problèmes centraux de l'éducation morale les questions relatives aux conditions purement physiques de l'éducation. L'étude de ces questions, d'ordre surtout médical, doit être utilement coordonnée aux études proprement pédagogique; mais il importe de ne pas confondre deux points de vue qui sont distincts.

En somme j'estime que, sans se livrer à des classifications arbitraires, le Comité organisateur du prochain Congrès trouvera dans les travaux de La Haye des éléments suffisants pour tracer un programme organique et précis, dessinant les parties principales de l'éducation et marquant leur coordination par rapport à des fondements psychiques et sociaux capables de porter des systèmes éducatifs divers, mais homologues. Peut-être aussi jugera-t-il opportun de limiter l'activité du congrès futur à quelques points essentiels de ce programme, afin de rendre par la concentration de l'étude plus direct le contact des esprits et plus féconde la discussion. Enfin -1. Les communications américaines sont réunies en un volume spécial Second International Moral Éducation Congress Papers contributed by american Writers. published by the american Committee oflhe international Congress, 1912.


ce ne serait pas un progrès insignifiant, si parmi les collaborateurs des futures assises de l'éducation -morale des équipes se formaient, pour présenter chacune sur un ensemble de questions des études reliées par une même inspiration, par des conditions communes d'expérience, et dont la collection constituerait le schème d'un système d'éducation relatif à.la-fois à des conditions particulières d'état social et d'opinion théorique, et aux besoins permanents de l'âme humaine. ,•-̃•.

Jean Delvozvé.


TABLE DES AUTEURS

Andler (Ch.). La philosophie des sciences historiques dans l'Allemagne contemporaine 129-168 Belot (E.). Les idées cosmogoniques modernes. 516-S37 Benrubi (J.). Rousseau, Gœthe et Schiller. 441-460 Bosanquet (B.). Les idées politiques de Rousseau 321-340 Bouglé (C.). Rousseau et le Socialisme. 341-352 Bourguin (M.). Les deux tendances de Rousseau. 353-369 Boutroux (E.). Remarques sur la philosophie de Rousseau. 265-274 Challaye (F.). Le syndicalisme jaune 256-263 Chiappelli (A.). Le progrès social comme substitution de valeurs.. 623-637 Claparède (E.). Rousseau et la conception fonctionnelle de l'enfance. 391-416 Colonna d'Istria (C.). Les formes de la vie psychologique 25-47 Couturat (L.). Sur la structure logique du langage. 1-24 Delbos (V.). Rousseau et Kant 429-439 Sur les premières conceptions philosophiques de Maine de Biran 751-776 Delvolvé (J.). Le Congrès international d'Éducation morale de la Haye 878-922 Djuvara (M.). La théorie électro-magnétique. 101-112 ̃ L'éducation sexuelle 613-622 Dufumier (H ). La philosophie des mathématiques de MM. Russell et Whitehead. 538-566 Dunan (Ch.). La nature de l'espace 777-809 Dwelshauvers (G.). Rousseau et Tolstoï 461-482 Guy-Grand (G.). Esthétique, Morale, Politique. 727-749 Hôffdfng (H.). Rousseau et la Religion 275-293 Jaurès (J.). Les idées politiques et sociales de J.-J. Rousseau. 371-381 Koyré (A.). Sur les nombres de M.«Bussell 722- 124 La Chesnais (G.). La Nature et l'homme d'après Sigurd Ibsen 68-79 Lechalas (G.). Une définition génétique du plan et de la ligne droite, d'après Leibniz et Lobatchevsky 718-721 Le Savoureux (R.). L'entreprise philosophique de Renouvier. 653-681 Leroy (M.). Les obligations des ouvriers syndiqués 113-128 Lévy-Bruhl (L.). Quelques mots sur la querelle de Hume et de Rousseau. 417-428 Mamelet (A.). La philosophie de G. Simmel 567-612 – – 682-717 – – 82S-877 Marcel (G.). Les conditions dialectiques de la philosophie de l'intuition 638-652 Marguet (F.). Translation solaire ou déformation du système sidéral. 169-192 Masson-Oursel. – Essai d'une théorie comparée du sorite 810-824


Millioud (M.). Ch. Secréta:n, sa vie, son œuvre* 505-515 Norero (H.). La socio-psychoiogie.de M-. !\Yundt_ LJ 80-100 Padoa (A.). La logique déductive 48-67 t 207-231 Parodi (D.). Les idées religieuses de Rousseau. ̃ 295-320 Poinoaré (H.). Pourquoi l'espace a trois dimensions 483-504 Rivaud (A.). Victor Brochard, philosophe et historien de la philosophie 232-255- Russell (B.). Réponse à M. Kbyré 725-726 Stammler (R.). Notion et portée de la •̃ Volonté générale » chez J.-J. Rousseau 383-389 Wilbois (J.). Devoir et durée 193-206


TABLE DES ARTICLES

Cosmogoniques (Les idées modernes), par E. Belot. S16-S37 î Devoir et Durée, par J.Wilbois. 1H3-206 Espace (Pourquoi l' a trois dimensions), par H. Poincaré 483-504 Espace (La nature de 1'–),parCh.Dunan. 777-809 Historiques (La philosophie des sciences dans l'Allemagne contemporaine. 129-16S Intuition (Les conditions dialectiques de la philosophie de l' -), par G. Marcel. 638-652 Langage (Sur la structure logique du -), par L. Couturat. 1-24 Il Logique (La déductive),, par A. Padoa. 48-67 ï 207-231 Maine de Biran (Sur les premières conceptions philosophiques de '), par V. Delbos. 751-776 Progrès social (Le comme substitution de valeurs), par A. Chiappelli 623-637 î Psychologique (Les formes de la vie -), par C. Colonna d'Istria. 48-61 i Renouvier (L'entreprise philosophique de -), par Le Savoureux. 653-681 os ::J Les idées philosophiques et religieuses. Co BOUTROUX (E.). Remarques sur la philosophie de Rousseau. 26S-274 0 HopFDiNG(H.).–Rousseau et la Religion. 275-293 i:2 PARODI (D.). Les idées religieuses de Rousseau. 29S-320 Les idées politiques et sociales.

BOSANQUET (B.). Les idées politiques de Rousseau. 321-340 <!) CouGLÉ(G.).–Rousseau et le socialisme. 3H-3g2 S BouRGUtN (M.). Les deux tendances de Rousseau. 353-369 ¡¡¡ JAURÈS (J.). Les idées politiques et sociales de J.-J. Rousseau.. 371-381 'g STAMMLER (R.). Notion et portée de la Volonté générale chez. l'i Rousseau. 383-389 '"CI Les idées pédagogiques.

1:: CLAPARÈDE (E.). Rousseau et la conception fonctionnelle de '@ l'enfance. 39}-4.i6 () l'i

Influences et variétés.

ti 1,ÉVY-BBUIIL (L.). Quelques mots sur la querelle de Hume et de S Rousseau. 417-428 2~DELBOS(V.).–Rousseau'etKant. 429-439 I3svnusi (J.). Rousseau, Gœthe et Schiller. 441-460 p DwELSHAuvERS (G.). Rousseau et Tolstoï. 461-482


Secrétan (Ch.), sa vie et son oeuvre, par M. Millibud. 505-515 Solaire (Translation ou déformation du système sidéral), par F. Marguet i 169-192 Sorite (Essai d'une théorie comparée du par Masson-Oursel. 810-824 ÉTUDES CRITIQUES

Brochard (Victor), philosophe et historien de la philosophie, par A. Rivaud •. :rr. <v,̃ 232-255 Ibsen (Sigurd) (La nature et l'homme, d'après –), par P. G. La Chesnais 68-79 Mathématiques (La philosophie des de MM. Russell et Whithead), par H. Dufumier -– -v •• 538-566 Simmel (G.) (La philosophie de par A. Mamelet 567-612 par A. Slameîet 682-717 – parA.Mamelet 825-877 Wundt (W.) (La socio-psychologie -de – ), par H. Norero. 80-100 D DISCUSSIONS

Electro-magnétique (La théorie ); par M. Djuvara, 101-112 Plan (Une définition génétique du– et de la ligne droite d'après Leibniz et Lobatchevsky), par G. Lechalas 718-721 Nombres (Sur les de M. Russell); par A: Koyré. 722-724 Réponse à M. Koyré, par B. Russell. 725-726 QUESTIONS PRATIQUES

Education morale (Le Congrès international d' _de la Haye), par J. Del volve ̃ :̃: 878-922 Esthétique, Morale, Politique), par G. Guy-Grand. 727-749 Obligation (Les des ouvriers syndiques), par M. Leroy. 113-128 Sexuelle (L'éducation – par M. Djuvara 613-622 Syndicalisme jaune (Le), par F. Challaye, 256-236


TABLE DES SUPPLÉMENTS

Livres français nomveamx.

ANCEL (L.) et BOUCHER (J.) Morale, In-12, 530 p. Paris, Delagrave. Nov., 8, II. "~=?e~'p7pa:fs:'Loni:ha~ et étude du système philosophique, 1 vol. illustré de 222 p., Paris, Louis Michand, 1910. Janv., 1, I.

BASCH (V.). I9lM~ Essai d'esthétique littéraire. In-8 de ~-352p.. Paris, Alcan, 1911. Janv., 6, II.

~"e~6e't~~l9~ changement (conférences faites à l'Université d'Oxford les 26 et 27 mai 1911). In-8, 37 p., Clarendon Press, Oxford, 1911. Mars, 2, 1. ~La~n~ In-8, xvc-271 p., Paris, Alcan, 1911. Nov., 7, I. BLARINGHEM (1,.). Les transformations brusques des êtres vivants. In-18, 353 p., Paris, Flammarion, 1911. Mai, 3, I.

BoUGL9 (C.). La sociologie de Proudhon. In-8, XVIII. 333 p. Paris, Armand Colin, 1911. Janv., 8, II.

BOURGEOIS (1,.). Solidarité, 76 éd. Rev. et augm. In-8, 11-~4 p., Paris, Armand Colin, 1912. Sept., 10, 1.

''°~dc''l~r~î" Contemporains. Le Socialisme français ael7mâiMS.In-[6,v;t,t[ip.Paris,Hachstte,19t2.–Nov 14, 11.

"A~n'9~Sep't"S' de la philosophie mathématique. In-8, XI-591 p., Paris, Alcan, 1912. Sept., 8, r.

et penseurs, Buchez, 1766-1895. In-16, 6-J p., Paris, Bloud, 1911. Janv., 8, II.

~I~397'~pa"i:. d'une science 'pédagogique les faits et les lois de l'éducation. In-8, xiii-391 p.; Paris. Alcan, 1910. Juillet, 2, Il.

CHERFLLS (Ch.). Système de politiqne positive, ou Traité de sociologio d'A. Comte. In--8, viii63~ p., Paris, Giard et Brière, 1912. -Juillet, 9, 1.

COIGNt:T (C.). De Kant à Bergson. In-16, 156 p., Paris, Alcan, 1911. Janv., 9, II. CREMF,R 1,6 problëme religieux dans la philosophie de l'action. MM. Blondel et Laberthonnière, préface de;\1. V. Delbos. In-8, XI![-1l2 p., Paris, Alcan, 1912. Mars, 4, II. CRISTIANI (L.). Du Luthéralisme au Protestantisme, évolution de Luther de ]5]7 à 152S. In,S, xxi-403 p., Paris, Bloud, 1911. Sept., 11, 1.

CYON (K. de). Dieu et Science, 2- éi., revue et aug. In-8, 483 p., Paris, Alcan, 1912. Mai, 2, II.

L'oreille, organe de l'orientation dans le temps et dans l'espace. In-8, xiv298 p., Paris, Alcan, 1911. –Janv 4, L °.

~?~ Eloges académiques et Discours. In-16, 525 p., A Hermann et fils, 1912. Sept., 13, 1.

'3~P~A~ philosophiques choisies (trad. de l'anglais). In-8, xxxm_301 poo Paris, Alcan, 1912. :\1ai, 6. II.

""n~r'e, Emile Durkheim, choix de textes, étude du système sociologique, 220 p., illustré, paris, Michaud, s. d. Janv., 6, L

DIDIER (J.). Condillac. In-16, 64 p., Paris. Bloud, 1911. Juillet, 8, II

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– L'action criminelle. In-8, 268 p., Paris, Alcan, 1911. Juillet, 8, 1. Vaschide (M.). Le sommeil et les rêves. In-18, 305 p., Paris, Flammarion, 1911. Juillet ̃>, II.

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Vuilliaud (P.). L'Humanisme au xv° siècle italien. ln-18, br. de 31 p., Paris, Figuière. 1911. – Janv., 6, II.

Windstosser (Maria – Etude sur la « Théologie germanique. » In-8, xi-218 p., Paris. Alcan, s. d. Sept. 11, II.

Worms (R.). Les principes biologiques de l'Évolution sociale. In-18, 122 p., Paris, Giard et Brière, 1910. Mai, 4. I.

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– Le sens et la valeur de la vie, trad. sur la 3e édition- par Marie-Anne Hullet et Alfred Leight, avant-propos de H. Bergson. In-16, 202 p.,

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30, II.

Thèses de Doctorat.

Terrallion. I. La Morale de Geulinc:; II. L'honneur, sentiment et principe moral.

Juillet, 29. II

Agrégation de Philosophie.

CONCOURS DE 1912.

I. Dissertations.'– II. Leçons. III. Mémoires et textes proposés pour le diplôme

d'études supérieures de la philosophie; Universités de Paris, Besançon, Bordeaux,

Caen, Ijille, Lyon, Montpellier, Poitiers, Rennes. Sept., 6, I, 8, II.

Nécrologie.

Dilthey (W.). Mars, 1, I.

Duproix (P.). Mars, 1, II.

Fouillée (A.). Septembre, 1, II.

Gomperz (T.). Nov., 1. I.

Liebmann (0.). Mars, 1, II.

Poincaré (H.). Sept., 1, I.

Variétés.

Congrès (IIe international d'Education morale). La Haye, 22-27 août 1912. Juillet,

3-2, 1.

Correspondance. Lettre de M. A. Fouillée. Janvier, 26, I.

Correspondance. Réponse à des critiques. Lettre de M. J. Delvolvé. Janvier, 27, II.

Correspondance. Lettre de M. L. Couturat. Mars, 24, I.

Erratum. – Janvier, 28, II.

Informations. École des Sciences de l'Éducation. Institut J.-J. Rousseau. Genève.

Mai, 23, II.

Informations. Institut international de Sociologie. Septembre, 23, II. Nov., 30, II.

Informations. Monument à Stuart-Mill. Nov., 30, II.

La philosophie dans les Universités. Septembre, 2, Il; 6, II. Nov., 2, I, 4, I.

Rectification. Septembre, 23, II.

L'éditeur-gérant Max Leclekc.